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Société

Publié le 30 nov 2013Lecture 6 min

Origines développementales de la santé et des maladies - Et après ?

P. CHAVATTE-PALMER INRA, UMR1198 Biologie du développement et reproduction, Jouy-en-Josas

De nombreuses études épidémiologiques montrent que les conditions de développement dans la période anténatale jouent un rôle important dans la prédisposition des individus à développer des maladies métaboliques (diabète, obésité, syndrome métabolique, etc.) ou cardiovasculaires à l’âge adulte. In utero, le placenta est l’organe clé pour les échanges fœtomaternels qui déterminent l’état nutritionnel du fœtus. Des données récentes obtenues chez l’animal indiquent un dimorphisme sexuel dans le métabolisme placentaire, qui explique que les conséquences à long terme du retard de croissance intra-utérin (RCIU) peuvent différer entre les deux sexes. Enfin, un rattrapage postnatal rapide est à l’origine d’une augmentation des risques de pathologie.

Effets à long terme de perturbations de la croissance intra-utérine À la suite des études pionnières de D. Barker et N. Hales en Angleterre au cours des années 1990, il est maintenant bien établi que le RCIU s’accompagne d’un risque accru de l’enfant à développer un syndrome métabolique ou des maladies cardiovasculaires à l’âge adulte. Le facteur de risque est associé à une perturbation du développement fœtal (retard ou excès de croissance) avec une courbe en U des risques, comme l’illustre une métaanalyse réunissant plus de 130 000 patients et qui démontre un risque augmenté à développer un diabète de type 2 chez les adultes ayant un petit poids de naissance (< 2 500 g) ou un gros (> 4 000 g) (figure 1)(1). Les risques d’obésité sont aussi augmentés chez les gros poids de naissance, alors que les données sont encore controversées pour les petits poids de naissance, avec un risque qui serait peut-être plus important pour les femmes que pour les hommes.   Figure 1. Relation entre le poids de naissance et le risque de développer un diabète à l’âge adulte. D. Barker a proposé une hypothèse pour expliquer ces phénomènes, en particulier pour expliquer ses observations sur les RCIU (figure 2)(2). Lorsque la nutrition fœtale est réduite, le fœtus adapte son métabolisme en adoptant un phénotype dit « économe ». La glycémie et le stockage de graisses sont maintenus, ce qui préserve le développement cérébral, alors que le développement cellulaire d’autres organes comme le pancréas ou le rein est altéré. De plus, si la perturbation nutritionnelle a eu lieu à une période critique du développement d’un organe (néphrogenèse, folliculogenèse ovarienne, etc.), l’organe concerné ne rattrapera jamais le déficit.   Figure 2. Proposition de schéma explicatif des origines développementales des maladies ayant donné naissance au terme « hypothèse de Barker ». À titre d’exemple, chez l’homme et dans les modèles animaux, on observe un déficit du nombre de néphrons chez les RCIU. À la naissance, l’organisme s’adapte et compense les adaptations physiologiques faites in utero, ce qui fait qu’on n’observe souvent que peu d’anomalies métaboliques dans la petite enfance. Ce n’est qu’à l’âge adulte, avec le vieillissement et l’accumulation de facteurs de risque (alimentation riche, manque d’exercice, etc.) que la prédisposition au syndrome métabolique apparaît. Rôle du rattrapage postnatal In utero, le fœtus met en place des mécanismes favorisant sa survie immédiate, mais le concept d’adaptation prédictive (figure 3) suppose que ces mécanismes persistent au cours de la vie postnatale, car l’environnement prénatal est le reflet de l’environnement postnatal futur de l’individu(3). S’il y a une inadéquation entre l’environnement intra-utérin et l’environnement postnatal en termes d’environnement au sens large et surtout de nutrition, les adaptations métaboliques mises en place in utero ne sont pas en adéquation avec l’environnement extra-utérin. On constate en particulier une augmentation des risques d’obésité, d’intolérance au glucose et de diabète lorsque le rattrapage pondéral postnatal est très rapide.   Figure 3. Principe de l’adaptation prédictive (Gluckman et Hanson, 2004). Par exemple, dans une population de 8 760 enfants nés à Helsinki entre 1934 et 1944, 290 ont développé un diabète de type 2 après l’âge de 40 ans. Le petit poids de naissance était significativement associé à une augmentation du risque de développer la maladie. De plus, les enfants qui ont développé un diabète, qu’ils soient RCIU ou non, présentent un décrochement de la courbe pondérale avec une augmentation significative du poids à partir de 7 ans (figure 4)(4).   Figure 4. Relation entre diabète de type 2 après l'âge de 40 ans et croissance postnatale (Eriksson et al., 2003). Transmission intergénérationnelle Des études sur des animaux modèles ont montré qu’il existe une transmission intergénérationnelle des risques métaboliques. Chez l’homme, une étude suédoise à partir de trois cohortes nées en 1890, 1905 et 1920 dans le nord de la Suède, a montré que l’accès à la nourriture des grands-parents ou des parents au cours de la période prépubertaire jouait un rôle sur la santé de leurs petits-enfants. Si les aliments n’étaient pas vraiment disponibles pendant l’enfance du père, la mortalité par maladie cardiovasculaire est réduite chez leurs descendants. De plus, l’incidence de la mortalité par diabète augmente si le grand-père paternel a été exposé à une surabondance de nourriture (OR 4,1 ; p = 0,01)(5). Plus récemment, une étude des petits-enfants des personnes exposées à la famine à Amsterdam durant la Deuxième Guerre mondiale a montré que les enfants des hommes nés de femmes exposées à la famine avaient un IMC plus élevé que les enfants issus de pères dont la mère n’avait pas été exposée à la famine (figure 5)(6).   Figure 5. Étude de la cohorte issue de la famine d’Amsterdam : transmission intergénérationnelle de la prédisposition à l’obésité et rôle de la voie paternelle en deuxième génération (Veenendaal et al., 2013)(6). Mécanismes Mécanismes épigénétiques Il est maintenant bien établi que la transmission de la mémoire des événements prénataux est en grande partie basée sur des mécanismes épigénétiques, c’est-à-dire des modifications, permanentes ou non au cours des mitoses, de l’expression des gènes sans changement de la séquence d’ADN. Les marques épigénétiques modulent l’accessibilité de l’ADN aux facteurs de transcription. Elles sont maintenues d’une génération cellulaire à l’autre. Il s’agit principalement de la méthylation des bases cytosines dans la double hélice d’ADN (effet en général inhibiteur de l’expression du gène), des acétylations/méthylations des protéines histones liées à l’ADN (figure 6)(7) et de micro-ARN qui inhibent la traduction des ARN messagers. À l’heure actuelle, les mécanismes de méthylation de l’ADN sont les mieux étudiés.   Figure 6. Représentation schématique des principaux mécanismes épigénétiques. Périodes critiques et rôle du placenta Les mécanismes épigénétiques contrôlent la différenciation cellulaire au cours du développement précoce de l’embryon. Les modifications de l’environnement maternel ou paternel (sous-nutrition, désordres métaboliques, etc.) avant même la fécondation et dans les jours qui suivent la fécondation peuvent aussi altérer la physiologie embryonnaire et avoir des effets à long terme sur l’apposition de marques épigénétiques et la santé de la descendance. Le placenta joue un rôle essentiel dans la régulation du transfert des nutriments de la mère au fœtus et dans le dialogue fœto-maternel. Il module donc les effets de l’environnement maternel dont il est aussi le témoin. D’origine fœtale, il est de même sexe que le fœtus : des études récentes à partir de modèles animaux montrent que la réponse fœtoplacentaire à l’environnement maternel est différente selon le sexe(8). Effets intergénérationnels Étant donné que le développement des gonades a lieu durant la gestation, les cellules précurseurs des gamètes peuvent être directement affectées et ainsi contribuer à l’apparition d’effets sur la deuxième génération (petits-enfants). Quelques études chez les animaux démontrent certains effets transgénérationnels sur plusieurs générations, probablement par le biais de marques épigénétiques transmises au travers de la lignée germinale (figure 7).    Figure 7. Mécanismes impliqués dans les effets intergénérationnels. Conclusion Les origines développementales de la santé et des maladies jouent un rôle non négligeable dans l’épidémie mondiale d’obésité et de maladies métaboliques. En France, la société savante francophone SFDOHAD (www.sf-dohad.fr) a été récemment créée afin de promouvoir la recherche, l’enseignement, l’éducation et la communication pour répondre aux nouvelles questions scientifiques, médicales et sociétales soulevées et promouvoir les nouveaux savoirs relatifs aux origines développementales, environnementales et épigénétiques de la santé et des maladies.   

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