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Thérapeutique

Publié le 30 sep 2012Lecture 10 min

Pancréas artificiel : où en sommes-nous ?

E. RENARD, Département d’endocrinologie, diabète, nutrition, CHU et Université de Montpellier, et CIC INSERM 1001, Montpellier.

La recherche du maintien de la glycémie dans un intervalle proche de la normalité avec un moindre risque hypoglycémique et le moins de contraintes possibles est aujourd’hui l’objectif déclaré de l’insulinothérapie, en particulier dans le diabète de type 1. La période actuelle voit arriver à maturation des dispositifs capables d’assurer une insulinothérapie en boucle fermée, dits « pancréas artificiels », compatibles avec une diffusion en routine dans un très proche avenir.

Le pancréas artificiel ambulatoire : un fruit du progrès technologique et informatique Trois éléments clés sont nécessaires à une insulinothérapie en boucle fermée : – un dispositif de perfusion d’insuline ; – un système de mesure continue de la glycémie ; – un module de contrôle capable de commander la quantité nécessaire et suffisante d’insuline à perfuser à chaque instant pour établir et maintenir la glycémie dans une zone de sécurité. Le tout doit être utilisable en ambulatoire, et de façon prolongée. Des pompes à insuline fiables, efficaces et discrètes Les pompes à insuline actuelles allient une bonne fiabilité mécanique et électronique, une maniabilité aisée, une source d’alimentation simple et durable, une capacité de stockage d’insuline suffisante, des cathéters de perfusion bien tolérés. La disponibilité des analogues de l’insuline d’action rapide a renforcé leurs performances en termes de pharmacocinétique et de pharmacodynamie. Qui plus est, leur capacité à être commandée sur un mode sans fil et à distance les rend accessibles à un module de contrôle intervenant sur le même mode. Le développement des pompes-patchs à canule directement issue du corps de pompe offre un gain supplémentaire attendu en termes de discrétion et de moindre altération de l’image corporelle. Les pompes à insuline prises en charge par l’assurance maladie pour le traitement du diabète constituent une base solide pour leur intégration dans un modèle fonctionnant en boucle fermée. La seule limite qui les caractérise est le recours à la perfusion sous-cutanée qui constitue un défi pour le système de contrôle en raison de l’inertie qui en résulte dans l’action de l’insuline, avec les inévitables délais entre la commande et l’action ou l’arrêt de celle-ci. Une mesure continue du glucose réalisable au moyen de capteurs peu invasifs La mesure continue de la glycémie a été marquée par le développement au cours des 10 dernières années de capteurs de glucose de plus en plus performants. Ce sont les capteurs de glucose enzymatiques (qui utilisent la glucose-oxydase), à type d’aiguilles implantables dans le tissu sous-cutané qui ont connu un véritable essor. Ces dispositifs permettent une estimation du niveau glycémique en continu pendant 6 à 12 jours sur la base d’un étalonnage sur la glycémie capillaire de la mesure du glucose réalisée dans le liquide interstitiel sous-cutané. Leur principe de fonctionnement contient en lui-même les limites de l’information fournie à un module de contrôle : • la première est liée au délai entre le niveau de glucose du liquide interstitiel et la glycémie, qui connaît en particulier des variations en cas d’apport de glucose exogène ou de consommation accrue de glucose par l’organisme ; • la seconde est celle de la stabilité de mesure au site d’implantation, la présence du capteur dans le tissu sous-cutané entraînant des réactions locales d’intensité variable selon la biocompatibilité du capteur, qui peuvent s’opposer à une libre diffusion du glucose et de l’oxygène vers les électrodes. Le traitement du signal du capteur occupe dès lors une place importante pour fiabiliser le calcul de la dose d’insuline à perfuser. L’absence de couverture financière du coût des capteurs, à l’heure actuelle, est un frein pour leur utilisation dans un modèle de boucle fermée. Des algorithmes de contrôle privilégiant la réduction du risque hypoglycémique Les algorithmes du module de contrôle permettant d’établir une boucle fermée sont aujourd’hui considérés comme des dispositifs médicaux par eux-mêmes. C’est pour une large part leur développement au cours de ces toutes dernières années qui a permis la multiplication des essais cliniques d’insulinothérapie en boucle fermée. Les algorithmes mis au point pour le pancréas artificiel hospitalier de type Biostator® – qui utilise la mesure directe de la glycémie et la perfusion intraveineuse d’insuline et de glucose –, ont été conçus sur le principe du rétrocontrôle, c’est-à-dire selon le mode d’une perfusion d’insuline proportionnelle à l’écart entre la glycémie à chaque instant et la cible visée et dérivée de la variation de la glycémie sur de courts intervalles de temps (algorithmes dits « PD »). Ce principe perd de ses performances en cas de délais concernant tant la cinétique d’action de l’insuline que la mesure des variations de la glycémie, comme c’est le cas avec les pompes à insuline et les capteurs de glucose qui font appel à la voie sous-cutanée. L’ajout d’une composante intégrale prenant en compte le délai pour normaliser la glycémie (algorithmes dits « PID ») ne suffit pas à contrecarrer l’inertie d’un système reposant sur la mesure du glucose interstitiel et la perfusion sous-cutanée d’insuline. Il en résulte des hyperglycémies postprandiales précoces et des hypoglycémies secondaires, l’insuline tardant à être délivrée lors de la montée glycémique postprandiale et étant délivrée par excès quand s’amorce la baisse glycémique. La pratique de bolus manuels avant les repas, créant de fait une boucle semi-fermée, est alors la seule solution pour synchroniser la montée glycémique et l’action de l’insuline. Ce modèle algorithmique a malgré tout permis les premiers essais d’insulinothérapie en boucle fermée au moyen de pompes portables et de capteurs placés sous la peau au début des années 2000. Le passage des essais intrahospitaliers à l’utilisation ambulatoire était cependant difficilement envisageable en raison des hypoglycémies observées, de fréquence similaire à celle obtenue avec des pompes utilisées en « boucle ouverte ». À partir de ce constat, l’idée de modéliser la relation entre la perfusion d’insuline et les mouvements glycémiques a fait son chemin, en s’appuyant sur des modèles physiologiques de cette relation prenant en compte les flux de glucose entrant dans la circulation et en sortant selon le niveau d’insulinémie. La perfusion d’insuline est dès lors déterminée selon la glycémie du moment et la prédiction de son évolution sous l’influence de l’insuline « active ». Les algorithmes ainsi fondés sur un modèle prédictif (MPC, pour model predictive control) ont permis d’entrevoir la faisabilité d’un pancréas artificiel ambulatoire autonome sûr, car exposant moins aux hypoglycémies, et efficace dans le maintien de la glycémie dans un intervalle prédéfini. Tout récemment, l’addition d’un module de supervision à ces algorithmes réalisant un système de contrôle dit « multi-couches » a encore accru la sécurité de ces algorithmes en priorisant la prévention du risque d’hypoglycémie. L’évaluation des algorithmes avant leur expérimentation clinique sur des simulateurs in silico, validés comme remplaçant l’utilité de l’expérimentation animale, a beaucoup concouru à accélérer leur élaboration. Des plateformes de liaison peu encombrantes et dotées d’une interface conviviale Au-delà de ces trois éléments clés, la création de plateformes de communication capables de recevoir l’information sur la mesure du glucose, de gérer l’algorithme de calcul et de commander la perfusion d’insuline, mais aussi d’être suivies à distance, est apparue indispensable pour permettre l’utilisation d’un pancréas artificiel sur le mode ambulatoire, en dehors des murs hospitaliers. L’ordinateur portable gérant l’algorithme relié au capteur de glucose et à la pompe à insuline par des câbles de connexion, le tout sous l’œil de l’investigateur, ne pouvait pas répondre au cahier des charges. Le développement des smartphones est venu à la rencontre de la question posée. La première plateforme construite sur la base d’un smartphone, dénommée Dias pour Diabetes Assistant, a été développée en 2011 par l’Université de Virginie (figure 1), assurant une communication sans fil avec un capteur de glucose et une pompe à insuline, et gérant l’algorithme. Elle est interactive, car elle permet par écran tactile l’entrée par le malade de données concernant ses prises alimentaires et son activité physique, et affiche en continu le niveau glycémique, la quantité d’insuline perfusée et les risques prédits d’hyper- ou d’hypoglycémies. Équipée d’une clé 3G, elle permet par un module créé à Montpellier de suivre à distance, via un serveur auquel elle envoie l’information, le niveau glycémique et la perfusion d’insuline ainsi que le bon fonctionnement des connexions. D’autres modèles du même type sont en gestation.   Figure 1. Plateforme de communication entre la mesure continue du glucose et la pompe à insuline, gérant l’algorithme de contrôle pour une insulinothérapie en boucle fermée ambulatoire. L’expérience clinique actuelle : du centre d’investigation clinique à l’ambulatoire Initiée à Montpellier en 2001 au moyen d’un système complètement implanté, séduisant mais à capacité de diffusion réduite, l’expérience de l’insulinothérapie en boucle fermée a connu un développement important au cours de ces 5 dernières années au moyen de pompes et de capteurs de glucose utilisant la voie sous-cutanée et commercialisés. Réalisée en centre d’investigation clinique, elle a connu ses premiers pas en dehors de l’hôpital tout récemment en France, en Italie, en Israël, puis aux États-Unis. La constante positive des résultats obtenus est la réduction considérable des hypoglycémies nocturnes lors de l’insulinothérapie en boucle fermée par rapport à la gestion habituelle par les malades de leur pompe à insuline sur les données des glycémies capillaires. Cette amélioration du contrôle a été obtenue même lorsque les malades avaient fait de l’exercice physique au cours de l’après-midi, ou consommé un dîner copieux ou alcoolisé. La sécurité a été soulignée par l’absence de déviations glycémiques dangereuses lors de l’exposition à ces conditions très déstabilisantes. L’objectif prioritaire est de faire reconnaître l’utilité de la boucle fermée pour l’insulinothérapie nocturne. Les essais pilotes réalisés récemment en période nocturne en dehors de l’hôpital ont confirmé la sécurité de l’insulinothérapie dirigée par un algorithme de type MPC. Une difficulté demeure dans le contrôle des excursions glycémiques postprandiales. Lors de l’utilisation des algorithmes MPC, l’annonce de la prise alimentaire, et plus précisément de son contenu glucidique, avant le repas vise à anticiper l’adaptation nécessaire de la perfusion d’insuline pour maîtriser l’ascension glycémique attendue. La complexité vient du fait de trouver le dosage entre un algorithme trop ou pas assez agressif pour affronter la montée glycémique. C’est pour aider à régler cette question que de nombreuses pistes sont en cours d’exploration : • analogues de l’insuline d’action plus rapide ; • association d’insuline et d’amyline ; • combinaison de la perfusion d’insuline et de glucagon ; • utilité de la voie d’administration intrapéritonéale ; • algorithmes différents fondés sur le raisonnement médical ; •  « smart » sensors plus rapides que les capteurs actuels. La maîtrise du contrôle glycémique en boucle fermée lors de la pratique d’une activité physique est un autre défi encore peu évalué. La prévention de l’hypoglycémie induite peut bénéficier d’un module de sécurité dit « de supervision » ajouté aux algorithmes MPC, ou encore de la combinaison de la perfusion de glucagon à celle de l’insuline. Le niveau d’intensité de l’exercice et son effet attendu au niveau individuel sur la glycémie selon la glycémie de départ et l’insulinémie en cours d’exercice demeurent des variables mal appréciées. Le rôle de capteurs de fréquence cardiaque et/ou respiratoire, d’accéléromètres, est envisagé pour contribuer à affiner les déterminants de la perfusion d’insuline.   Les conditions d’utilisation de l’insulinothérapie en boucle fermée en dehors de période nocturne nécessiteront encore beaucoup de travail expérimental pour être validées. Le nombre croissant d’équipes qui contribuent à cette recherche à travers la planète est un signe encourageant pour apporter les réponses à ces nombreuses questions. Le concept d’une insulinothérapie ambulatoire en boucle fermée n’est en tous cas plus de l’ordre du rêve, mais de la réalité (figure 2).   Figure 2. Premier essai chez un malade diabétique d’un pancréas artificiel autonome, ambulatoire, portable (Montpellier, octobre 2011). Conclusion Le pancréas artificiel ambulatoire devient réalisable grâce à des avancées technologiques en constante amélioration : - des pompes à insuline sûres et fiables ; - des capteurs de glucose donnant une mesure plus exacte et plus stable ; - des algorithmes de contrôle fondés sur un modèle prédictif ; - une plateforme de communication miniaturisée, mobile, interactive. Les essais cliniques sont de plus en plus convaincants : - une prévention efficace des hypoglycémies nocturnes ; - un maintien de la glycémie dans un intervalle cible ; - une utilisation possible hors de l’hôpital. Conflits d’intérêt L’auteur déclare, pour les données concernant cet article, avoir collaboré au cours des 3 trois dernières années avec les laboratoires Insulet et Dexcom (fourniture de matériel pour la recherche).

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