Publié le 31 aoû 2007Lecture 7 min
Créatinine, Cockcroft, Cockcroft corrigé, MDRD : les pièges, les erreurs
V. RIGALLEAU, C. LASSEUR, Université Bordeaux 2, Bordeaux
Le diabète est la première cause d’insuffisance rénale chronique (IRC). Les progrès de la pharmacopée antihypertensive, du contrôle glycémique, de la nutrition, prolongent de plusieurs années le délai avant la dialyse. Mais ils rendent nécessaire une meilleure évaluation de la fonction rénale des patients. Cet impératif a fait, au cours des dernières années, l’objet de recommandations de la National Kidney Foundation, de l’American Diabetes Association et de la Société française de néphrologie.
L'IRC est définie par une diminution permanente du débit de filtration glomérulaire (glomerular filtration rate : GFR). Les données sur les valeurs normales de la GFR dans la population générale sont peu nombreuses et essentiellement fondées sur des estimations et non des mesures de la GFR.
On parle d’insuffisance rénale lorsque la GFR est < 60 ml/min/1,73 m2.
Pour estimer la GFR, la créatininémie ne suffit pas
La créatininémie est un marqueur imparfait de la filtration glomérulaire.
Elle dépend aussi de la production de créatinine, elle-même fonction de la masse musculaire (donc des poids, âge et sexe du patient). La créatinine n’est pas seulement éliminée par filtration glomérulaire, mais aussi par sécrétion tubulaire, qui augmente avec l’insuffisance rénale. Il existe en outre des variations liées à la méthode de dosage (il est souhaitable de réaliser des dosages successifs pour un patient donné dans le même laboratoire) ou à des interférences médicamenteuses.
La mesure de la clairance de la créatinine suppose d’avoir un recueil intégral des urines des 24 heures, difficile à réaliser dans la vie réelle et doit être abandonnée, d’autant qu’elle surestime la GFR.
Les méthodes « de référence » mesurent directement la GFR, en étudiant l’élimination rénale de substances radioactives (51Cr-EDTA) ou non (inuline). Ces techniques sont lourdes et inadaptées aux mesures nombreuses et répétées qu’impose le suivi d’un grand nombre de patients.
Force est donc d’utiliser les formules de prédiction que recommandent les sociétés savantes.
D’où viennent les « formules » ?
La formule de Cockcroft et Gault est simple, son usage largement répandu.
CG (ml/min) = (140-âge [années]) x poids [kg] x K
créatininémie [µmol/l]
avec K = 1,23 pour les hommes et 1,04 pour les femmes.
Mais elle a été établie à partir de 249 patients, et sa validité dans certains groupes (obèses, diabétiques, sujets âgés, etc.) est incertaine.
L’équation de la MDRD (Modification of Diet and Renal Disease) a été établie à partir des données d’un essai clinique multicentrique qui étudiait l’effet de la restriction protéique alimentaire sur la progression de l’IRC. Par régression linéaire, les auteurs ont cherché à prédire la GFR mesurée chez 1 070 de ces patients, à partir de la créatininémie, et de données simples comme l’âge, le sexe, l’ethnie, mais aussi l’albuminémie et l’urée plasmatique. L’équation ainsi obtenue a été testée avec succès sur les 558 autres patients de l’essai. D’autres équipes ont, depuis, confirmé sa validité, particulièrement chez les sujets âgés. Sa version simplifiée est :
MDRD (ml/min/1,73 m2) = 186
x (créatininémie [mg/dl])-1.154
x (âge [années]) -0.203
x (0,742 si femme)
x (1,210 si Afro-Américain).
Des réglettes permettent son utilisation en « routine » clinique.
Toutefois, seulement 6 % des participants à l’essai MDRD étaient diabétiques. Leur représentation dans les études de validation ultérieures a aussi été faible (ou non signalée).
Ces formules sont-elles adaptées aux patients diabétiques ?
Plusieurs caractéristiques associées au diabète font que la validité des deux principales équations prédictives devait absolument être vérifiée dans le cas des patients diabétiques : leur poids, leur glycémie, et le large éventail des niveaux de fonction rénale de ces patients.
Le poids pose un problème pour la formule de Cockcroft
En effet, 90 % des diabétiques sont de type 2, donc souvent obèses. Comme nous l’avons vu, le poids est pris en compte dans la formule de Cockcroft, mais celle-ci est établie pour un poids normal. En cas d’obésité, le surpoids du patient est surtout de la masse grasse, et on peut s’attendre à ce que cela affecte le résultat. Chez 122 diabétiques néphropathes (dont 47 avec IMC compris entre 25 et 30, et 33 obèses), nous avons comparé la GFR mesurée (méthode au 51Cr-EDTA) à ses estimations par Cockcroft et MDRD1 (figure 1).
Figure 1. Comparaison de la GFR mesurée à ses estimations par Cockcroft et MDRD. * : p < 0,05 ; ** : p < 0,01 ; *** : p < 0,005 vs GFR isotopique.
La surestimation par la formule de Cockcroft dans le groupe des patients diabétiques obèses atteignait +55 % : une fonction rénale réduite peut donc être estimée comme normale par la formule de Cockcroft, qui calcule la GFR comme proportionnelle au poids, alors qu’elle ne l’est pas dès que la composition corporelle est modifiée par un surpoids. De façon inverse, cela aboutit aussi à une sous-estimation de la GFR chez des sujets de poids normal ou bas, pouvant faire porter, par excès, des diagnostics d’insuffisance rénale, donc faire proposer des mesures de restriction protéique alimentaire à des sujets dont la fonction rénale réelle ne le justifie pas, voire à des dénutris. Lorsqu’on en retire le poids, les performances de la formule de Cockcroft sont améliorées.
Ce défaut a en fait aussi été rapporté chez des patients non diabétiques dès qu’il existe un surpoids. Il s’aggravera avec l’augmentation générale de l’IMC, qui n’épargne pas les insuffisants rénaux : au contraire, l’obésité est un facteur maintenant bien reconnu comme favorisant l’insuffisance rénale.
Pour ces raisons, le biais lié au poids paraît rédhibitoire : il faudra un jour abandonner, ou du moins corriger, la formule de Cockcroft. En attendant, il faut savoir s’en méfier, dès que le poids n’est pas normal.
L’hyperglycémie est aussi néfaste à l’évaluation par Cockcroft
L’hyperglycémie aiguë élève la GFR, probablement du fait d’une vasodilatation des artérioles afférentes aux glomérules. Cet effet est discernable chez des sujets normaux, des diabétiques de type 1 ou de type 2, et en cas de néphropathie diabétique.
Chez 193 patients diabétiques, nous avons montré une corrélation positive entre l’HbA1c et la GFR2 : pour 1 % supplémentaire d’HbA1c, la GFR est plus élevée de 6 ml/min/1,73m2. Cet effet est aussi perceptible, de façon similaire, sur la GFR prédite par les deux équations. Mais les performances de la formule de Cockcroft pour le diagnostic d’insuffisance rénale modérée chutent chez les patients moins bien équilibrés (HbA1c > 8 %).
L’équation de la MDRD est donc plus « robuste », et doit être préférée en cas de déséquilibre glycémique.
La population des patients diabétiques présente un large éventail de fonctions rénales… d’où un problème avec l’équation de la MDRD
L’équation de la MDRD a été établie à partir des résultats de sujets insuffisants rénaux : elle leur est donc bien adaptée, mais elle sous-estime nettement les GFR des sujets normaux et, en conséquence, peut faire considérer comme insuffisants rénaux des sujets qui ne le sont pas. Certaines études réalisées chez des patients diabétiques ayant une GFR normale ou élevée ont de ce fait rapporté que l’équation de la MDRD n’avait pas d’avantage sur le Cockcroft.
La figure 2 montre, chez 200 patients que nous avons répartis par déciles de fonction rénale estimée, les niveaux correspondant de GFR mesurée par la méthode de référence (51Cr-EDTA), régulièrement plus élevés que l’estimation MDRD dans les déciles les plus élevés. On notera qu’une équation récemment proposée par l’équipe de la Mayo Clinic3 à partir d’une population mixte (avec et sans insuffisance rénale) évite ce biais. Cette « Mayo Clinic Quadratic equation » (MCQ) pourrait donc être utilisée chez tous les patients.
Figure 2. Fonction rénale estimée et calculée chez 200 diabétiques.
* : p < 0,05 ; ** : p < 0,005 ; *** : p < 0,005 vs GFR isotopique.
Quelle formule utiliser en pratique ?
Il est toujours préférable d’estimer la fonction rénale avec une équation plutôt que de se contenter du dosage de la créatininémie. Malgré les imperfections que nous avons vues, la formule de Cockcroft et Gault reste un outil d’utilisation simple et recommandée. Mais il faut être vigilant en cas de poids bas, ou élevé (ce qui est souvent le cas des patients diabétiques de type 2).
Mais en fait, c’est surtout chez les sujets insuffisants rénaux que les cliniciens veulent une évaluation précise ; dans leur intervalle de GFR, l’équation de la MDRD est bien meilleure4 ; elle ne nécessite, dans sa formule simplifiée, que la créatininémie et l’âge du patient ; il existe aujourd’hui des réglettes ou des sites de calcul comme : http://www.paris-nord-sftg.com/ outils.cockroft.0212.php3 http://www.kidney.org/professionals/ kdoqi/gfr_calculator.cfm.
Il est cependant hasardeux d’appliquer cette équation à la population générale, et d’en faire un outil de dépistage. Le biais particulier de l’équation de la MDRD (sous-estimation des GFR hautes, mais aussi surestimation des GFR basses) fait aussi qu’elle tend à sous-estimer le déclin de la GFR, ce qui pourrait offrir une place intéressante à l’équation de la Mayo Clinic, ou à de nouvelles formules basées sur le dosage de la cystatinémie.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :