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Diabète et médecine interne

Publié le 31 aoû 2006Lecture 10 min

Diabète chez les sujets infectés par le VIH

C. VIGOUROUX, Hôpital Tenon et INSERM U680, Paris

Il est maintenant bien établi que le traitement de l’infection par le VIH est un facteur de risque important de diabète.
Dans la grande majorité des cas, le diabète se développe dans le cadre d’un syndrome lipodystrophique apparu sous antirétroviraux, et nécessite donc une prise en charge spécifique qui doit :
• d’une part, intégrer l’ensemble des caractéristiques du syndrome : fonte adipeuse du visage souvent stigmatisante, redistribution du tissu adipeux en faveur d’une localisation intra-abdominale favorisant la résistance à l’insuline, dyslipidémie souvent sévère, stéatose hépatique, risque cardiovasculaire majeur ;
• d’autre part, prendre en compte les molécules antirétrovirales utilisées : une adaptation de ce traitement, en étroite collaboration avec l’infectiologue traitant, peut améliorer les troubles métaboliques, et il faut aussi évaluer le risque d’interactions médicamenteuses en cas de prescription additionnelle.

Risque de diabète sous antirétroviraux   Les patients infectés par le VIH sous antirétroviraux sont à haut risque de diabète. Dans une étude américaine récente portant sur 680 hommes infectés par le VIH, la prévalence du diabète, ajustée en fonction de l’âge et de l’index de masse corporelle, est 4,6 fois plus importante chez les patients séropositifs sous antirétroviraux que chez les patients séronégatifs. Le risque de développer un diabète est évalué à 10 % après 4 ans de traitement dans cette même étude. En France, les données épidémiologiques dont on dispose sont un peu plus anciennes, mais l’on considère qu’en 2000, entre 20 et 30 % des patients sous une trithérapie antirétrovirale comportant des antiprotéases depuis 12 à 20 mois présentaient un trouble de la tolérance au glucose. Devant ces chiffres préoccupants, le dépistage du diabète est devenu indispensable au suivi des patients traités pour une maladie VIH1.   Le syndrome lipodystrophique   Le diabète s’intègre le plus souvent dans un « syndrome lipodystrophique » de physiopathologie complexe, mais où l’insulinorésistance joue un rôle central. Historiquement, les premiers diabètes spécifiquement liés aux antirétroviraux étaient dûs à la toxicité pancréatique des analogues nucléosidiques utilisés à la fin des années 80 et au début des années 90, comme la didéoxycytidine (ddC) ou la didanosine (ddI). Les médicaments de cette classe thérapeutique agissent, en effet, en inhibant la rétrotranscriptase virale, mais l’ADN polymérase gamma, qui permet la réplication de l’ADN mitochondrial, peut également être leur cible : cette toxicité mitochondriale peut toucher de nombreux organes, dont le pancréas. Néanmoins, les pancréatites toxiques ont maintenant pratiquement disparu avec les molécules actuelles. En revanche, depuis 1998, on sait que l’association des traitements antirétroviraux s’accompagne du développement de « syndromes lipodystrophiques » (figure 1), qui regroupent tout ou partie des signes suivants : – lipodystrophie clinique (figure 2) : perte du tissu adipeux du visage très caractéristique, lipoatrophie des membres avec veines et reliefs musculaires saillants, souvent associées à une hypertrophie périviscérale du tissu adipeux réalisant un abdomen distendu alors que la graisse sous-cutanée est paradoxalement diminuée, et parfois à une véritable bosse de bison ; – résistance à l’insuline, que l’on peut dépister par l’hyperglycémie provoquée par voie orale (HGPO avec dosage de la glycémie et l’insulinémie à jeun, puis toutes les 30 minutes après prise de 75 g de glucose per os, pendant 2 heures) ; – dyslipidémie, avec hypertriglycéridémie (parfois majeure, supérieure à 15 g/l, exposant au risque de pancréatite aiguë), mais aussi hypercholestérolémie avec augmentation du LDL-cholestérol et HDL-cholestérol bas ; – et d’autres composantes habituelles du syndrome métabolique : hypertension artérielle, stéatose ou stéato-hépatite non alcoolique. La physiopathologie, complexe, provient essentiellement de la toxicité des analogues nucléosidiques et des inhibiteurs de la protéase du VIH sur l’adipocyte. Schématiquement, la toxicité mitochondriale des premiers favorise la lipoatrophie, tandis que les seconds inhibent la différenciation adipocytaire et la réponse à l’insuline, avec un effet délétère synergique des deux types de drogues. Les perturbations endocrines du tissu adipeux, dont la sécrétion de cytokines est altérée, ses remaniements inflammatoires, similaires à ce que l’on peut voir dans l’obésité, ainsi que la toxicité des acides gras dont le stockage est insuffisant, concourent au développement des troubles métaboliques. Enfin, les effets directs de certaines drogues, par exemple l’hypersécrétion hépatique de VLDL sous l’effet du ritonavir ou l’effet inhibiteur direct de l’indinavir sur le transport du glucose stimulé par l’insuline, renforcent les anomalies métaboliques secondaires aux perturbations du tissu adipeux (voir ref. 2 pour une revue complète sur le sujet). Bien que l’âge, l’indice de masse corporelle, l’ancienneté et la sévérité de l’infection par le VIH, ainsi que la qualité de la reconstitution immunitaire contribuent au risque de dévelop­pement du syndrome lipo­­dys­tro­phique, la durée cumulée d’utilisation des drogues antirétrovirales en est le facteur de risque principal. Si l’effet « classe thérapeutique » est indéniable, le degré de toxicité de chaque molécule individuelle est très variable. Ainsi, l’incidence des nouveaux cas de syndrome lipodystrophique a beaucoup baissé avec l’utilisation des molécules les plus récentes (par exemple lamivudine, ténofovir, abacavir plutôt que stavudine ou zidovudine dans le groupe des analogues nucléosidiques ; atazanavir plutôt qu’indinavir ou nelfinavir dans le groupe des antiprotéases). De plus, l’utilisation des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, en particulier la névirapine, a permis de limiter la prescription d’autres molécules plus toxiques. Figure 1. Historique des traitements de la maladie VIH et apparition des premiers cas de lipodystrophies. Figure 2. Lipodystrophies associées aux traitements antirétroviraux de l’infection par le VIH. Prise en charge du diabète au cours de l’infection par le VIH   Elle comporte de multiples facettes.   La prévention En premier lieu, la prévention des troubles métaboliques est primordiale au moment de l’instauration du traitement antirétroviral. Le choix des molécules antirétrovirales doit non seulement être adapté à la situation immunovirologique, mais également tenir compte des facteurs de risque familiaux et personnels de diabète, de dyslipidémie et de maladie cardiovasculaire1. La présence d’une éventuelle hépatite C associée est un facteur de risque supplémentaire d’insulinorésistance et de diabète. Corriger les habitudes alimentaires, favoriser l’activité physique, lutter contre le tabagisme font maintenant partie des recommandations officielles pour le traitement de la maladie VIH, à la fois pour prévenir et pour prendre en charge le syndrome lipodystrophique et ses complications métaboliques1. Le diabétologue sollicité pour la prise en charge de ces patients doit donc, après avoir apprécié la sévérité des différentes composantes du syndrome lipodystrophique et en collaboration avec l’infectiologue, discuter des possibilités de modifications éventuelles du traitement antiviral et évaluer, mettre en place ou renforcer les règles hygiéno-diététiques. Nombre de patients verront ainsi leur équilibre glycémique et leur triglycéridémie se maintenir à des taux acceptables grâce à la simple diminution des apports en sucres d’absorption rapide et en alcool et/ou au remplacement d’une molécule antirétrovirale par une autre.   Évaluer et traiter les différentes composantes du syndrome lipodystrophique   La lipodystrophie, en dehors des protocoles de recherche, s’apprécie essentiellement cliniquement. Elle est suspectée devant une visibilité anormale des veines et des muscles. L’épaisseur du tissu adipeux sous-cutané peut être évaluée précisément par la mesure des plis cutanés au compas de Harpenden, ou plus simplement en pinçant la peau. La quantité de graisse viscérale ne peut être évaluée précisément que par le scanner ou l’IRM, avec une coupe au niveau du corps vertébral de L4 qui permet de mesurer en même temps l’épaisseur du tissu adipeux sous-cutané abdominal. L’absorptiométrie biphotonique permet de compléter les données en évaluant la répartition segmentaire du tissu graisseux. Néanmoins, ces examens n’ont pas leur place en routine et doivent être réservés aux protocoles de recherche. En pratique, la mesure régulière au cours du suivi du périmètre abdominal (tour de taille à mi-chemin entre les dernières côtes et le grand trochanter) donne une bonne idée de l’adiposité intra-abdominale, et de la résistance à l’insuline qui lui est associée. Il est important d’évaluer le retentissement psychologique de la lipodystrophie, qui peut avoir des conséquences sur l’observance du traitement. Si le changement des traitements antiviraux (en particulier l’arrêt de la stavudine), et certains traitements médicamenteux (thiazolidinediones) peuvent permettre une amélioration, celle-ci est limitée et très lente (plusieurs mois). C’est pourquoi les formes sévères doivent bénéficier des techniques de comblement, dont deux sont prises en charge par la sécurité sociale dans cette indication : • l’autogreffe de graisse ou technique de Coleman, où le tissu adipeux sous-cutané abdominal, s’il est en quantité suffisante, est prélevé sous anesthésie générale pour être réinjecté au niveau des joues, • l’injection intradermique d’acide polylactique (New Fill®), qui se pratique en ambulatoire lors d’une consultation spécialisée. La dyslipidémie sera évaluée précisément avec un dosage effectué à 12 heures de jeûne, de triglycérides, de cholestérol total et des fractions HDL et LDL. Le calcul du LDL-cholestérol est souvent gêné par la triglycéridémie élevée (supérieure à 4 g/l) ; le dosage direct du LDL-cholestérol peut alors être demandé. Le traitement suivra les recommandations proposées pour la population générale en fonction des autres facteurs de risque cardiovasculaire, et débutera par le régime et, si possible, les modifications du traitement anti­viral. Les molécules les plus dyslipidémiantes sont la stavudine (analogue nucléosidique), le ritonavir ± lopinavir (inhibiteurs de protéase) et l’efavirenz (analogue non nucléosidique). Si les fibrates, utilisés dans les hypertriglycéridémies isolées ou prédominantes, peuvent être associés aux antirétroviraux, les statines, volontiers métabolisées par la voie du cytochrome P450 3A4, interagissent pour la plupart avec les antiprotéases. Seules la pravastatine et la rosuvastatine (ainsi que, dans une moindre mesure, la fluvastatine) peuvent être utilisées, mais seraient moins efficaces que dans la population générale. Le bilan hépatique et les CPK seront surveillés régulièrement sous hypolipémiants. Les huiles de poisson peuvent aider à faire baisser la triglycéridémie. Les associations statines-fibrates doivent être réservées à une prescription d’exception par des spécialistes. La résistance à l’insuline peut être évaluée par HGPO (cf. supra). En dehors de la mesure de l’insulinémie et de sa réponse au glucose, cet examen, pratiqué précocement devant une lipodystrophie débutante ou en préthérapeutique, présente l’avantage de dépister les diabètes qui se manifestent uniquement par une hyperglycémie poststimulative (> 11 mmol/l à 2 h de la prise orale de 75 g de glucose), alors que les glycémies à jeun restent inférieures à 7 mmol/l. En accord avec l’insulinorésistance périphérique prédominante, cette situation est fréquente chez les patients infectés par le VIH, et l’HGPO permet donc de dépister et de traiter précocement le diabète.   Les autres composantes du syndrome métabolique et le risque cardiovasculaire Le risque cardiovasculaire des patients atteints du syndrome lipodystrophique lié aux antiviraux est particulièrement important, en présence des multiples facteurs de risque associés. De plus, plusieurs études concordantes associent le traitement antiviral lui-même à un surrisque cardiovasculaire, la durée du traitement antiprotéase étant alors assimilée à un risque indépendant. Ainsi, la lutte contre le tabagisme, le dépistage et le traitement de l’HTA sont particulièrement importants chez ces patients dont la maladie VIH et ses traitements sont maintenant chroniques. Enfin, la stéatose hépatique, facteur de risque de cirrhose, doit être dépistée et surveillée. Elle peut bénéficier des traitements insulinosensibilisateurs (dont l’amaigrissement en cas de surpoids).   Le traitement de l’hyperglycémie elle-même   Du fait de la physiopathologie du diabète, centrée sur la résistance à l’insuline, qui ne se complique d’ailleurs pas toujours de troubles de la tolérance au glucose chez les patients infectés par le VIH, les règles hygiéno-diététiques et les médicaments insulinosensibilisateurs sont à privilégier. Comme dans la prise en charge du diabète de type 2, le contrôle des apports en sucres à index glycémique élevé, la limitation de l’alcool, particulièrement importante pour traiter aussi l’hypertriglycéridémie, la diminution des graisses saturées, la mise en place d’un objectif pondéral pour les patients en surpoids sont très importants. Dans ce contexte, certains patients ont beaucoup de mal à accepter de maigrir, l’amaigrissement évoquant pour eux la cachexie liée au VIH et la stigmatisation de la maladie VIH, tandis que l’obésité est considérée comme un facteur de « bonne santé ». L’exercice physique régulier est également un atout thérapeutique majeur, permettant de mobiliser spécifiquement la graisse viscérale et d’avoir un effet insulinosensibilisateur souvent important chez ces patients. La metformine et les thiazolidinediones sont les traitements médicamenteux de choix de l’hyperglycémie. La metformine inhibant la néoglucogenèse à partir du lactate, et celui-ci voyant sa production augmenter en présence d’analogues nucléosidiques toxiques pour la mitochondrie, le risque d’acidose lactique, bien qu’exceptionnellement rapporté, existe. L’insuffisance rénale, le risque d’hypoxie, ou les situations faisant évoquer une cytopathie mitochondriale patente (voir encadré) sont des contre-indications à la metformine. Concernant les thiazolidinediones, la pioglitazone semble être préférable à la rosiglitazone en raison de la meilleure tolérance sur le plan lipidique. Comme dans le diabète de type 2 de la population générale, le traitement de l’hyperglycémie pourra faire appel aux autres classes d’hypoglycémiants en fonction des résultats, et la recherche des complications dégénératives du diabète sera régulière.  Enfin, dans une étude concernant 112 patients infectés par le VIH, nous avons montré que l’HbA1c sous-estimait les glycémies moyennes de façon significative (en moyenne de 12,3 %) par rapport à une population de 1 238 sujets non infectés, cela étant probablement en rapport avec un processus hémolytique a minima sous antirétroviraux. Il convient donc de ne pas se contenter du dosage de l’HbA1c pour le suivi de ces patients, et d’utiliser aussi la mesure des glycémies au laboratoire ainsi que l’autocontrôle glycémique. Au total   Le diabète du patient infecté par le VIH nécessite une prise en charge globale de nombreux facteurs de risque cardiovasculaires associés, particulièrement importants à prendre en compte alors que la morbidité cardiovasculaire de ces patients est en constante augmentation. Les modifications éventuelles des traitements antirétroviraux, à discuter avec l’infectiologue traitant, et les règles hygiéno-diététiques sont à envisager en premier lieu, en particulier pour juguler les dyslipidémies dont les traitements médicamenteux sont relativement décevants. Les insulinosensibilisateurs sont à utiliser en première intention pour traiter le diabète, avec un intérêt supplémentaire pour les thiazolidinediones qui pourraient améliorer, bien que faiblement et à long terme, la lipoatrophie, et limiter l’évolution de la stéatose hépatique, souvent associée.

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