Publié le 29 juin 2005Lecture 10 min
La peau du diabétique
J.-F. CUNY, CHR Hôpital Bon Secours
Au cours du diabète, de multiples manifestations cutanées peuvent survenir et on estime que 80 % des diabétiques auront une dermatose à un moment ou à un autre. Celle-ci précède rarement la découverte du diabète ; le plus souvent elle apparaît tardivement et est associée à un diabète évolué, connu, parfois compliqué.
Il est classique de distinguer des dermatoses évocatrices, voire spécifiques du diabète, les dermatoses infectieuses, les dermatoses observées plus fréquemment chez le diabétique et les réactions cutanées liées au traitement. Les troubles trophiques représentent la principale complication cutanée, mais ne seront pas abordés ici.
Les dermatoses très évocatrices d’un diabète
Ces dermatoses doivent faire rechercher un diabète si celui-ci n’est pas connu ; certaines ont une évolution indépendante du diabète.
Nécrobiose lipoïdique
Elle peut être considérée comme un marqueur cutané du diabète bien que seulement 0,3 % des patients diabétiques en soient atteints. Inversement, la nécrobiose lipoïdique précède, révèle ou accompagne un diabète dans plus de 90 % des cas.
Cette dermatose, dont l’origine reste inconnue, siège de façon préférentielle sur la face antérieure des jambes, dans la région prétibiale mais d’autres localisations sont possibles (abdomen, avant-bras, visage). Les lésions peuvent être isolées ou multiples. Elles se manifestent par une plaque et des papules érythémateuses, à limites bien nettes, s’étendant progressivement et laissant un centre déprimé, atrophique, télangiectasique, de couleur brun-jaune. Après un traumatisme minime, une ulcération peut survenir.
Le diagnostic est porté sur la clinique ; l’histopathologie n’est pas indispensable mais est caractéristique en montrant une réaction granulomateuse à cellules épithélioïdes et giganto-cellulaires avec dégénérescence du collagène et destruction des annexes.
L’évolution est imprévisible pendant plusieurs semaines voire plusieurs années, et indépendante de l’équilibre du diabète. Dans de rares cas, un carcinome spinocellulaire peut survenir.
Le traitement n’en est pas codifié et différentes thérapeutiques ont été proposées :
– l’utilisation de dermocorticoïdes de classe I du type clobétasol en applications quotidiennes pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois permet parfois de faire régresser cette réaction granulomateuse. Certains ont proposé des injections intralésionnelles de corticoïdes voire, dans de rares cas, la prise d’une corticothérapie par voie générale, ce qui peut rendre l’équilibre du diabète plus difficile à obtenir ;
– d’autres solutions thérapeutiques ont également été envisagées : pentoxifylline, anti-agrégants plaquettaires, chloroquine, etc ;
– certains ont également proposé une excision chirurgicale de la plaque de nécrobiose en sachant que la cicatrisation peut être difficile à obtenir.
Figure 1. Nécrobiose lipoïdique.
Dermopathie diabétique
Il s’agit d’une dermatose fréquente qui n’est pas un marqueur spécifique du diabète car 20 % des personnes ayant une dermopathie ne sont pas diabétiques alors que 30 à 60 % des patients diabétiques ont cette dermatose. L’incidence est corrélée à la sévérité du diabète.
Il s’agit de plaques rondes ou ovalaires, hyperpigmentées, localisées sur la face antérieure des deux jambes, de façon bilatérale mais non symétrique, évoluant pour donner des plaques atrophiques cicatricielles.
L’origine en est inconnue mais pourrait correspondre à une hypovascularisation de la peau dans les régions prétibiales ; l’atrophie serait la conséquence de microtraumatismes. Cependant, aucune corrélation n’a été trouvée entre cette affection et la microangiopathie.
Il n’y a pas de traitement particulier à envisager. Il est souhaitable d’éviter les traumatismes qui peuvent être le point de départ d’ulcérations sur cette peau atrophique.
Figure 2. Dermopathie diabétique.
Épaississement de la peau
Trois aspects cliniques peuvent être observés.
Cheiroarthropathie diabétique ou syndrome de Rosenbloom
Elle a été décrite il y a de nombreuses années chez de jeunes patients ayant un diabète de type 1 et est considérée comme une conséquence de la microangiopathie ; une rétinopathie ou une néphropathie diabétique y sont souvent associées.
La cheiroarthropathie associe un enraidissement articulaire touchant tout d’abord les articulations interphalangiennes puis métacarpophalangiennes et une infiltration scléreuse, cireuse de la peau des extrémités avec atteinte plus marquée sur le dos des doigts. Cette affection débute par le 5e doigt, va progresser vers les autres doigts et vers le carpe. Elle est bilatérale, symétrique, indolore. La seule gêne est d’ordre fonctionnel puisqu’il existe un enraidissement limitant l’extension (signe de la prière, impossibilité de poser la main à plat sur une surface plane). Elle touche de façon inconstante les grosses articulations (poignet, coude, rachis).
Il n’y a pas de traitement à proposer.
Sclérose des extrémités sans enraidissement
Chez 20 à 40 % des diabétiques, on note une infiltration du dos des mains et des doigts sans atteinte articulaire associée.
Sclérœdème des diabétiques
Il s’agit d’une affection rare caractérisée par un épaississement marqué de la peau sur le dos et le cou chez les sujets obèses ayant un diabète de type 2 mal équilibré dont la prévalence serait de 3 % chez ces patients.
Le début se fait de façon insidieuse par une induration indolore diffuse et symétrique ; avec le temps, la peau devient brillante, sans ride, ne peut être ni pincée ni plissée avec parfois une diminution de la sensibilité superficielle dans les zones atteintes.
L’évolution est chronique sans aucune tendance à la régression avec extension sur le tronc, les bras et les jambes.
L’étude histopathologique montre un épaississement des faisceaux dermiques de collagène séparés par des espaces clairs remplis d’acide hyaluronique et de glycosaminoglycans.
L’origine en reste inconnue : anomalie de la glycosylation non enzymatique du collagène, le rendant moins soluble ?
Figure 3. Chéiroarthropathie diabétique.
Figure 4. Sclérœdème.
Bullose des diabétiques
Elle survient chez des patients ayant un diabète insulinodépendant ancien, mal équilibré.
Des bulles tendues puis flasques à liquide clair, stérile, apparaissent sans traumatisme préalable sur le dos et les faces latérales des mains et des pieds, les jambes et les avant bras. Elles guérissent en 2 à 3 semaines sans laisser de cicatrice et peuvent récidiver.
L’étude histopathologique montre un décollement soit intraépidermique, soit sous-épidermique.
Le diagnostic différentiel doit se faire avec une épidermolyse bulleuse acquise ou une porphyrie cutanée tardive.
Syndromes d’insulinorésistance
L’insulinorésistance, quel qu’en soit le type, est responsable d’un hyperinsulinisme stimulant les récepteurs à l’insuline de la peau.
L’acanthosis nigricans se caractérise par une peau épaissie, hyperpigmentée, de couleur jaunâtre à brun-noir, veloutée, localisée de façon symétrique dans les plis avec parfois un aspect papillomateux. Des acrochordons (ou molluscum pendulum) y sont souvent associés. L’étude histopathologique montre essentiellement une hyperkératose marquée avec papillomatose et des dépôts de glucose aminoglycan dans le derme.
L’acanthosis nigricans est souvent constaté chez l’obèse et le diabétique de type 2 et fait également partie de syndromes rares comportant un diabète tels que le diabète lipoatrophique, le syndrome de Lawrence-Seip…
Le traitement de l’acanthosis nigricans est celui tout d’abord de l’origine de l’hyperinsulinisme sous-jacent. Un traitement comportant soit des rétinoïdes topiques, soit des préparations kératolytiques peut être utilisé en complément.
Figure 6. Acanthosis nigricans.
La peau jaune ou xanthodermie
Il est fréquemment constaté une modification de la couleur de la peau qui devient jaunâtre ; cela pourrait être en rapport avec une augmentation du taux sérique de carotène.
Xanthomes éruptifs
La xanthomatose éruptive survient lors d’un diabète déséquilibré avec hyperlipidémie, glycosurie et hyperglycémie.
Il s’agit de multiples papules jaunâtres, fermes, parfois entourées d’un halo érythémateux, disséminées sur le corps avec localisation préférentielle sur les faces d’extension des membres.
L’étude histopathologique montre un infiltrat inflammatoire polymorphe dermique, des histiocytes spumeux contenant des lipides.
Le traitement consiste en une insulinothérapie rapidement instaurée.
Figure 5. Xanthomes éruptifs.
Les infections cutanées
Leur fréquence est augmentée en cas de déséquilibre du diabète ; il existe une corrélation entre le taux moyen de la glycémie et la survenue d’infections cutanées. Le traitement sera d’autant plus difficile que le diabète est déséquilibré ; en cas d’infections sévères, l’instauration d’une insulinothérapie est indispensable.
Mycoses cutanées
Infections à Candida albicans
Elles surviennent d’autant plus volontiers que le diabète est mal équilibré et peuvent parfois le révéler.
Plusieurs manifestations cliniques peuvent être observées : le muguet, la perlèche touchant la commissure labiale, la paronychie des doigts, l’intertrigo du 3e espace interdigital et la candidose génitale. Les caractéristiques cliniques communes sont : érythème vif, bordures émiettées et pustules, prurit et leucorrhées si infection génitale. L’évolution est souvent chronique tant que le diabète n’est pas bien équilibré.
Le traitement repose sur l’utilisation d’antifongiques imidazolés en topique, voire si nécessaire par voie systémique (fluconazole, kétoconazole) si l’infection est étendue et rebelle au traitement topique.
Infections à dermatophytes
Elles ne sont pas plus fréquentes chez le diabétique que chez le non-diabétique. En revanche, il convient d’être particulièrement attentif à une infection à dermatophytes des espaces inter-orteils ou des ongles des orteils car elles peuvent être la porte d’entrée d’une infection streptococcique (érysipèle). Le traitement de toute infection à dermatophytes du pied est impératif et peut reposer soit sur un traitement antifongique imidazolé topique, soit éventuellement en cas d’atteinte unguéale importante, sur l’utilisation de terbinafine par voie orale pendant plusieurs mois.
Figure 7. Périonyxis candidosique.
Figure 8. Onyxis dermatophytique.
Infections bactériennes
L’érythrasma est, semble-t-il, plus fréquent chez le diabétique et se caractérise par un intertrigo brunâtre à limites nettes. Le traitement topique par imidazolé ou antibiotique (macrolides) permet une guérison rapide.
Les infections cutanées à staphylocoques dorés ou à streptocoques bêta-hémolytiques seraient plus fréquentes chez le diabétique et l’évolution serait plus souvent défavorable, liée au déséquilibre du diabète. Une furonculose chronique doit faire rechercher un diabète ou un déséquilibre de celui-ci.
À côté de l’érysipèle typique, il est plus souvent constaté des tableaux infectieux graves du type dermo-hypodermite ou cellulite nécrosante nécessitant une antibiothérapie associée à un débridement chirurgical et éventuellement une oxygénothérapie hyperbare.
Figure 9. Érythrasma.
Les dermatoses observées parfois en association à un diabète
Toutes les dermatoses peuvent être observées chez des patients diabétiques. Cependant, certaines sont ou semblent associées à un diabète avec une plus grande fréquence, en sachant que ces constatations ne sont pas unanimement admises.
Prurit : le prurit nu généralisé et le prurigo n’ont pas de prévalence augmentée chez le diabétique.
Granulome annulaire : contrairement à la nécrobiose lipoïdique dont l’histopathologie est très proche, le granulome annulaire n’est pas observé avec une plus grande fréquence chez le diabétique, à l’exception des granulomes annulaires disséminés voire généralisés.
Lichen oral : sa prévalence chez le diabétique ne semble pas significativement différente de celle d’une population non diabétique.
Dermatoses perforantes : une dermatose perforante acquise, caractérisée par des papules kératosiques avec élimination de fibres de collagène ou élastiques altérées, a été décrite chez des patients ayant une insuffisance rénale et/ou un diabète ancien mal équilibré.
Vitiligo : son incidence serait augmentée chez les diabétiques.
Le diabète peut entrer dans le cadre de pathologies complexes ayant un symptomatologie cutanée : hémochromatose, maladie de Cushing, syndrome de Werner, pancréatite…
Réactions cutanées liées aux traitements
Lipodystrophie à l’insuline
Cette affection classique est rare actuellement en raison des insulines utilisées et de l’éducation du patient.
La lipoatrophie, qui correspond à une perte du tissu graisseux, peut être constatée sur les sites d’injections 6 à 24 mois après le début de celles-ci. Cette réaction est la conséquence de composés lipolytiques présents dans l’insuline ou d’immuns complexes ; la résolution spontanée est rare.
Les nodules sous-cutanés surviennent également aux sites d’injection et seraient la conséquence d’injection trop superficielle et de l’action lipogénique de l’insuline.
Figure 10. Lipoatrophie insulinique.
Réactions allergiques
Sulfamides hypoglycémiants
Chez 1 à 5 % des patients traités peut survenir un rash maculopapuleux prurigineux durant le premier mois de traitement. Une réaction de photo-sensibilité, une éruption lichénoïde, un purpura et un érythème noueux ont également été rapportés.
Biguanides
Les réactions cutanées sont rares (rash, urticaire, prurit).
Insuline
Des réactions cutanées pouvaient survenir chez 10 à 50 % des patients traités avec les insulines d’origine animale ; elles sont maintenant beaucoup plus rares avec les insulines humaines. Elles sont de différents types :
– réaction immédiate localisée : la plus fréquente, survenant 30 à 120 minutes après l’injection sous la forme d’un érythème prurigineux ou d’une urticaire localisée ;
– réaction retardée localisée sous la forme d’un érythème prurigineux devenant papuleux quelques heures à 24 heures après l’injection ;
– réaction immédiate généralisée : une urticaire généralisée voire un choc anaphylactique ont été rapportés ;
– réaction mixte : certains patients présentent une réaction locale immédiate qui régresse en 24 heures puis réapparaît secondairement et peut durer plusieurs jours.
Il a également été rapporté des dermatoses variées : purpura, eczéma généralisé, prurit, érythrodermie…
L’origine de ces réactions est multiple : l’insuline, quelle que soit sa nature, en rappelant que cela est maintenant beaucoup plus rare avec les insulines actuellement utilisées ; les excipients, dont le sulfate de protamine, le zinc, le métacrésol ; éventuellement le matériel utilisé (aiguille, antiseptique, acrylates du matériel de pompe à insuline…).
Un bilan allergologique est donc indispensable.
Figure 11. Allergie aux acrylates du cathéter de pompe à insuline.
Bibliographie sur demande auprès de la rédaction.
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