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Études

Publié le 30 nov 2011Lecture 6 min

L’étude ACCORD-BP va-t-elle modifier nos pratiques pour traiter un hypertendu diabétique ?

B. BOUHANICK, Service de Médecine Interne et hypertension-PCVM-CHU Rangueil, Toulouse

Si les recommandations françaises de 2005 définissent une PA cible < 130/80 mmHg chez l’hypertendu diabétique, force est de constater qu’il s’agit plus d’un consensus d’experts que de recommandations basées sur des niveaux de preuve élevés, en particulier pour la PAS (exception faite du patient microalbuminurique)1.
La publication récente de la relecture des recommandations européennes de 2007 le souligne d’ailleurs et il est ainsi proposé de débuter un traitement antihypertenseur pour des valeurs de PA plus élevées et conformes à celles recommandées dans la population générale, à savoir PAS/PAD >140/90 mmHg, et de baisser les PA mais sans fixer d’objectifs pour des valeurs entre 130 et 140 mmHg2.

L'étude ACCORD-BP publiée après cette analyse était très attendue puisqu’elle était censée trancher entre ces deux positions mais qu’en est-il réellement ?3   But et caractéristiques des patients inclus   Il s’agissait de comparer deux stratégies de traitement de l’HTA : – soit baisser les PAS < 120 mmHg ; – soit adopter un traitement plus conventionnel avec une PAS < 140 mmHg. Cette étude concerne 4 733 diabétiques de type 2 avec à l’entrée une PA moyenne à 139/76 mmHg sous trois antihypertenseurs et considérés comme à haut risque cardiovasculaire (CV). Ces patients ressemblent assez bien à ceux que nous suivons : âge moyen de 62 ans, 48 % de femmes, 13 % de fumeurs actifs, HbA1c moyenne à 8,3 % et durée du diabète de 10 ans ; 33 % avaient fait un événement cardiovasculaire, ce qui a son importance. Le critère principal composite de jugement est classique associant les infarctus du myocarde (IDM) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) non mortels et les décès cardiovasculaires. Le suivi est de 4,7 ans. Cette étude en intention de traiter devait mettre en évidence une différence de 20 % pour le critère primaire avec un nombre d’événements attendu de 4 % par an dans le bras témoin.   Quels sont les résultats « durs » de l’étude ?   Dès la première année, une différence de PA a été obtenue avec des PAS/PAD à 119,3/64,4 mmHg dans le groupe intensif vs 133,5/ 70,5 mmHg dans le groupe conventionnel, soit une différence de 14,2/6,1 mmHg au prix d’un nombre d’antihypertenseurs plus important : 3,4 vs 2,1. Aucune différence n’a été observée entre les deux groupes sur le critère principal : risque relatif à 0,88 (IC : 0,73-1,06 ; p = 0,20). Le taux annuel d’événements est de 1,87 % dans le groupe intensif vs 2,09 dans le groupe conventionnel ; 445 patients ont présenté 1 événement du critère primaire, sans différence entre les groupes. Toutefois, une différence a été constatée pour le nombre d’AVC totaux (qui reste un critère secondaire de jugement) : 0,32 %/an dans le groupe intensif vs 0,53 %/an dans le groupe conventionnel (RR = 0,59 ; IC : 0,39-0,89 ; p = 0,01), ce qui correspond à un nombre absolu d’événements relativement faible : 36 dans le groupe intensif vs 62 dans le groupe conventionnel. Le nombre d’AVC non mortels diffère aussi entre les deux groupes avec une réduction de risque de 39 % (p = 0,03) et a concerné 34 et 55 patients respectivement. Aucune différence n’a été observée pour les IDM, l’insuffisance cardiaque, les décès cardiovasculaires et toutes causes ou les événements cardiovasculaires majeurs entre les deux groupes, en plus ou en moins. Il y a eu 294 décès dont 118 de cause cardiovasculaire, sans différence entre les groupes.   Plus d’événements indésirables dans le groupe avec une PAS < 120 mmHg   Une hypotension (17 patients vs 1), une dysrythmie (12 vs 3), une hyperkaliémie (9 vs 1), une kaliémie < 3,2 mM (49 vs 27) ont été plus fréquemment rapportées dans le groupe PAS < 120 mmHg qu’en cas de PAS < 140 mmHg. Une augmentation significative de la créatininémie (de 13 mM chez l’homme et de 11mM chez la femme) a été constatée chez 13 % des patients de sexe masculin du groupe intensif vs 8 % du groupe conventionnel. Chez la femme, les fréquences respectives sont de 11 et 7 %. Le débit de filtration glomérulaire est plus faible dans le groupe intensif que dans le groupe conventionnel avec davantage de patients ayant des valeurs < 30 ml/min dans le groupe intensif (4,2 % vs 2,2 %). La fréquence de la macroalbuminurie est cependant plus faible dans le groupe intensif ; aucune différence en termes d’insuffisance rénale terminale ou de mise en dialyse n’est observée entre les groupes en fin d’étude.   Effet du traitement intensif sur les AVC. Critères secondaires de l’étude ACCORD. Quels enseignements tirer de l’étude ACCORD-BP ?   Cette étude nous apprend qu’au prix d’une augmentation du nombre des médicaments antihypertenseurs, il est possible d’atteindre des PAS cibles < 120 mmHg. Possible, mais sans doute pas souhaitable dans la population de cette étude, c’est-à-dire chez le diabétique de type 2 à haut risque cardiovasculaire, comme en atteste le rapport bénéfice/risque défavorable de cette stratégie, qui n’a pas d’impact sur la morbi-mortalité et s’accompagne d’un surcroît d’événements indésirables sérieux liés au traitement, comparativement à une cible de PAS < 140 mmHg. Certes, on pourrait argumenter sur la baisse des AVC liée à cette stratégie intensive mais rappelons qu’il s’agit d’un critère secondaire de jugement qui, en l’absence de différence sur le critère principal, a moins de valeur, même si force est de constater que la réduction de risque est du même ordre que celle déjà rapportée dans la littérature… Ainsi, le nombre de sujets à traiter pour éviter un AVC sur 5 ans est de 89 patients. Malgré le surcroît d’événements indésirables graves dans le groupe intensif, il n’y a heureusement aucune alerte en termes de mortalité pour des valeurs de PA basses, contrairement à ce qui est rapporté dans ACCORD-glycémie pour des HbA1c très basses. Cette analyse des résultats doit tenir compte de certaines limitations de l’étude qui ont trait à un probable défaut de puissance avec moins d’événements constatés qu’attendus. Par ailleurs, la population incluse ne concerne ni les moins de 40 ans, ni les plus de 79 ans. Enfin, pour ce qui est de la tolérance, le caractère « ouvert » de l’étude pourrait avoir un impact sur la déclaration des événements indésirables au détriment du groupe intensif. L’interprétation de l’évolution de la fonction rénale laisse perplexe car, si la macroalbuminurie est moins fréquemment mesurée en fin d’étude chez les patients intensivement traités (et pas la microalbuminurie !), son évolution reste dissociée de celle de la filtration glomérulaire, considérée par beaucoup comme un critère « dur » de jugement. Au final heureusement, le pourcentage de patients en insuffisance rénale terminale voire en dialyse reste superposable. Cependant, l’excrétion urinaire d’albumine n’est qu’un critère intermédiaire de jugement, tributaire de nombreux paramètres… On pourrait imaginer qu’une baisse drastique de la PA chez des patients fragiles polyvasculaires puisse être péjorative sur la fonction rénale…   Conclusion   Cette étude chez le diabétique de type 2 ne met pas en évidence de bénéfice clinique d’une stratégie de traitement antihypertenseur visant à atteindre une valeur cible de PAS < 120 mmHg comparativement à une PAS < 140 mmHg, cette stratégie ayant comme corollaire une augmentation des effets indésirables sérieux. « Seule » une réduction des AVC, critère secondaire, est obtenue dans le groupe intensif. La puissance statistique insuffisante de l’essai complique l’interprétation des données et, au final, ce travail ne permet pas de départager les deux cibles, 130 et 140 mmHg. À la question « l’étude ACCORD va-t-elle modifier nos pratiques ? », la réponse n’est pas univoque : - probablement oui, il faut sans doute éviter d’avoir un objectif cible de PAS < 120 mmHg chez les patients à haut risque cardiovasculaire chez lesquels une PAS proche de 135-140 mmHg est sans doute un compromis raisonnable ; - probablement pas, car on pourrait imaginer de réserver un objectif tensionnel plus strict aux alentours de 130 mmHg aux patients hypertendus diabétiques à plus faible risque cardiovasculaire et aux patients ayant une microalbuminurie, à la manière dont les objectifs glycémiques sont modulés en fonction de la gravité de la maladie.

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