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Études

Publié le 31 mai 2006Lecture 9 min

Après FIELD - Faut-il encore prescrire des fibrates chez les diabétiques de type 2 ?

M. KREMPF, Hôtel Dieu, Nantes

L’exception française n’était pas que sociale ou économique. Elle était aussi pharmacologique, portée par un laboratoire national et une tradition de prescription qui a permis pendant des années au fénofibrate d’être le médicament hypolipémiant le plus prescrit en France malgré l’arrivée des statines. Situation étonnante devant la quantité de preuves cliniques apportées par les statines, mais qui a repris beaucoup de sens ces dernières années avec l’accent mis sur la dyslipidémie du diabétique ou du syndrome métabolique, caractérisée par une réduction du HDL-cholestérol et une augmentation des triglycérides qui pourraient expliquer le risque vasculaire accru de ces patients.

Les fibrates permettent, en effet, une bonne amélioration de ce profil lipidique en augmentant le HDL-cholestérol d’environ 10 %, et en réduisant les triglycérides de 20 % et le LDL-cholestérol de 15 % en moyenne. De plus, les analyses de sous-groupes des études en prévention primaire (HHS) ou en prévention secondaire (VA-HIT pour les diabétiques) et pour le syndrome métabolique (BIP) avaient renforcé cet intérêt. Deux fibrates différents, le gemfibrozil et le bezafibrate, avaient permis d’obtenir sur ces profils de dyslipidémie des résultats significatifs sur la réduction des événements cardiovasculaires. Certes, des résultats supérieurs étaient obtenus avec les statines chez des diabétiques de type 2, notamment dans l’étude HPS pour le haut risque vasculaire ou, plus récemment, dans CARDS en prévention primaire, mais le risque résiduel restait toujours relativement élevé, à environ 70 %. Dans ce contexte, un essai dédié aux fibrates, contrôlé et randomisé, était indispensable pour évaluer leur efficacité avec les critères actuels d’évaluation. Les résultats de l’étude FIELD, réalisée avec le fénofibrate, rapportés à l’AHA et aussitôt publiés dans le Lancet, étaient donc attendus avec impatience.   Le schéma de l’étude FIELD : classique mais ouvert aux difficultés d’interprétation !   L’étude a débuté en février 1998 et la fin de l’inclusion est survenue en novembre 2002. Les patients devaient être diabétiques de type 2 et âgés de 50 à 75 ans. Le cholestérol total devait être compris entre 1,16 et 2,50 g/l et le rapport cholestérol total/HDL-cholestérol > 4 ou les triglycérides > 0,90 g/l et < 4,40 g/l. Ces patients ne relevaient pas, du moins à l’époque de l’inclusion, d’un traitement hypolipémiant. Les 9 795 patients ont été recrutés dans 63 centres d’Australie, de Nouvelle-Zélande et de Finlande. Ils étaient principalement composés d’hommes (63 %) et peu fumeurs (9 %). L’ancienneté moyenne du diabète était de 5 ans et le taux d’hémoglobine glyquée à 6,9 %, était obtenu avec un simple régime ou une monothérapie dans la majorité des cas. Seulement 22 % des patients étaient en prévention secondaire (environ 2 000, mais ce chiffre est bien supérieur à l’effectif des patients diabétiques de VA-HIT qui était de 700 sujets). Le profil lipidique était peu spécifique des patients chez lesquels l’effet du traitement était attendu puisque les triglycérides étaient à 1,51 g/l et le HDL-C à 0,47 g/l. Ils ont été randomisés en deux groupes recevant 200 mg de fénofibrate ou un placebo. Le critère principal de jugement était le décès coronaire et les infarctus du myocarde (IDM) non mortels. Le nombre d’événements souhaités pour obtenir une puissance suffisante et arrêter l’essai était de 500. La durée moyenne de l’essai a ainsi été de 5 ans. Les critères secondaires étaient les événements vasculaires majeurs (coronaires, AVC, décès d’origine cardiaque) ou le total des événements cardiovasculaires, y compris les revascularisations coronaires ou périphériques. Des critères tertiaires étaient également analysés concernant principalement la survenue d’une néphropathie diabétique ou une photocoagulation pour la rétinopathie. Au cours de l’essai (environ 2 ans après le début), la publication des résultats d’HPS a été communiquée aux patients et aux investigateurs en leur laissant libre choix pour introduire, le cas échéant, un traitement par statine. Malgré les précautions des investigateurs, les difficultés qui pouvaient être anticipées avec ce schéma d’essai sont liées : –  d’une part à l’hétérogénéité de la population étudiée avec un risque relativement faible pour les sujets en prévention primaire et un nombre relativement modeste de patients en prévention secondaire ; –  le profil lipidique ne correspondait pas aux indications potentielles ; –  de plus, l’introduction relativement aléatoire d’un autre traitement hypolipémiant durant l’essai pouvait être une forte source de confusion.   Des résultats décevants, mais utiles   L’introduction d’un fénofibrate a permis, comparativement au placebo, une réduction de 12 % du LDL-cholestérol et de 29 % des triglycérides. En revanche, la réduction du HDL-cholestérol a été modeste, de 5 % uniquement un mois après son introduction et 2 % en fin d’étude. Le traitement par fénofibrate n’a pas réduit de manière significative l’incidence des événements coronaires majeurs, qui était le critère principal de l’étude (- 11 %). L’essai est donc négatif. Cependant, il est possible de poursuivre l’analyse des données avec toutes les précautions d’interprétation que cela doit comporter sur le plan statistique. En décomposant le critère principal en ses deux éléments, on constate une réduction significative (p = 0,01) des IDM non mortels (24 %) mais, curieusement, une augmentation de la mortalité coronaire (19 %), non significative (p = 0,22). Pour les critères secondaires, les événements cardiovasculaires ont été réduits de manière significative de 11 % (p < 0,01). Le bénéfice est surtout lié à la réduction (p < 0,01) des IDM non mortels et des revascularisations coronaires (21 %). Il n’a pas été observé de réduction significative des AVC (10 %) et il existait une tendance, mais non significative, à l’augmentation de la mortalité cardiovasculaire et totale. Un programme d’analyse en sous-groupes prévu dans le protocole a été réalisé. Le résultat le plus perturbant concerne les patients en prévention secondaire qui ne tirent aucun bénéfice du traitement. En revanche, chez la majorité des patients en prévention primaire (78 % de l’effectif), une réduction significative (p < 0,001) de 19 % des événements cardiovasculaires a été constatée, correspondant à une réduction du risque absolu de 2 %, soit la nécessité de traiter 50 patients sur 5 ans pour prévenir au moins un événement. Pour ces mêmes sujets, la réduction des événements coronaires entrant dans le critère principal de jugement atteignait 25 % et était significative (p = 0,014). Toujours pour les événements vasculaires, le résultat était plus net chez les femmes, les sujets âgés de moins de 65 ans ou les patients ayant un niveau bas de HDL-cholestérol. En revanche, il n’est observé qu’une tendance bénéfique, mais non significative, chez les sujets ayant une hypertriglycéridémie ou un syndrome métabolique. Un traitement par statines a été introduit dans 19 % des cas en prévention secondaire et 11 % en prévention primaire, avec une nette différence entre le groupe placebo et le groupe fénofibrate puisque, respectivement, 23 % et 14 % étaient traités en prévention secondaire et 16 % et 7 % en prévention primaire. L’analyse des prescriptions montre une très forte progression durant l’essai avec pratiquement 40 % des patients traités dans le groupe placebo en fin d’étude contre 20 % dans le groupe fénofibrate. Une analyse statistique a tenté de prendre en compte l’introduction de ces traitements et après ajustement suggère un effet significatif du fénofibrate mais, selon les auteurs eux-mêmes, l’introduction du traitement par statine ne permet probablement pas à lui seul d’expliquer ce résultat négatif. Globalement, la tolérance du traitement a été bonne et en particulier il n’a pas été observé de complication musculaire chez des patients recevant le fénofibrate avec une statine. Il a également été observé un effet plutôt favorable sur un nombre très limité de patients concernant, d’une part, le nombre de traitements par photocoagulation laser et, d’autre part, l’absence de progression de néphropathie diabétique. À noter une légère augmentation de la créatinine observée avec l’ensemble des fibrates, réversible à l’arrêt du traitement. Deux éléments relativement étonnants doivent être soulignés : – un nombre relativement élevé de pancréatites avec le fénofibrate, ce qui est surprenant compte tenu de son indication dans l’hypertriglycéridémie majeure ; – une tendance nette à l’augmentation des thromboses veineuses profondes ou embolies pulmonaires. En revanche, le nombre de cancers n’était pas différent entre les deux groupes.   Statine ou fibrate : l’apport de FIELD   Le résultat de FIELD est donc décevant et ne vient pas confirmer les données observées dans VA-HIT. Les populations étudiées n’étaient pas exactement les mêmes dans ces deux essais puisque, pour VA-HIT, il s’agissait de prévention secondaire chez des sujets ayant des niveaux de HDL-cholestérol très bas, inférieurs à 0,32 g/l. Il ne s’agit manifestement pas de la population de FIELD où le niveau de HDL-cholestérol était en moyenne à 0,40 g/l et plutôt en prévention primaire. De plus, le gemfibrozil a permis d’obtenir une augmentation du HDL-cholestérol de 10 % environ dans VA-HIT, qui n’a atteint que 2 % dans FIELD. Nous n’avons pas d’information concernant les patients de FIELD en prévention secondaire ayant un niveau de HDL-cholestérol bas, mais il s’agit à priori d’un sous-groupe limité et peu informatif sur le plan statistique. En comparaison avec les statines, il n’est pas statistiquement correct de recréer des sous-groupes comparant leur effet dans le groupe placebo par rapport aux patients recevant uniquement du fénofibrate. Il n’est donc possible que de comparer les études publiées. - Chez les patients diabétiques en prévention secondaire, l’étude HPS a montré un résultat clairement significatif avec une réduction de plus de 20 % des événements cardiovasculaires avec 40 mg de simvastatine. Les données non encore publiées de l’étude TNT pour le sous-groupe des patients diabétiques permettent d’observer un résultat du même ordre avec l’atorvastatine. - En prévention primaire, les populations et le niveau de risque de l’étude CARDS  et du sous-groupe de FIELD ne sont pas très éloignés. Il est observé avec 10 mg d’atorvastatine une réduction significative de 30 % des événements cardiovasculaires en prévention primaire alors qu’elle n’atteint que 19 % dans l’étude FIELD. De plus, l’effet des statines est très rapide et apparaît quelques mois après leur introduction alors que, dans l’étude FIELD, les courbes ne divergent qu’après 2 ans. Malgré l’absence d’études comparatives directes, les données actuellement disponibles suggèrent un effet plutôt en faveur des statines. Enfin, il n’est statistiquement pas possible, selon les investigateurs, de juger de l’efficacité de l’association statine/fibrate, notamment en prévention secondaire, à partir des données de FIELD. Cette information aurait été particulièrement utile car elle répondrait à une question qui est régulièrement posée, notamment en prévention secondaire, pour tenter de réduire le risque résiduel observé avec le traitement par statines. Des essais spécifiques pourront être réalisés pour cela et l’étude ACCORD (simvastatine/fénofibrate) pourrait permettre d’obtenir une réponse à cette question d’ici quelques années.   En pratique   Les résultats de FIELD encouragent simplement à suivre les recommandations de traitement des dyslipidémies publiées en 2005 par l’AFSSAPS pour les patients diabétiques de type 2. Clairement, les statines sont le traitement de première intention chez ces patients. La place des fibrates doit être désormais limitée. En prévention secondaire, pour les patients ayant un niveau de LDL-cholestérol < 1 g/l mais un HDL-cholestérol très bas (< 0,35 g/l), l’utilisation du gemfibrozil en référence à l’étude VA-HIT peut se discuter. Plus généralement, quand les objectifs ne sont pas atteints, l’intérêt de l’association d’une statine avec de l’ézétimide, un fibrate ou l’acide nicotinique reste à démontrer. L’introduction d’une glitazone pour le contrôle glycémique doit être certainement favorisée après les résultats de l’étude PROActive, même si le bénéfice d’une association avec une statine n’apparaît pas très clair dans cette étude. Enfin, en cas d’intolérance aux statines, nous n’avons actuellement en prévention secondaire aucune donnée à notre disposition suggérant d’utiliser un traitement avec un bénéfice prouvé pour les patients. En prévention primaire, après l’étude FIELD, toujours dans le cadre de l’intolérance aux statines, le fénofibrate pourrait être utile.

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