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Neurologie

Publié le 29 juin 2005Lecture 9 min

Dépistage de la neuropathie chez le patient diabétique : monofilament ou diapason ?

H. GIN

Suivre un patient diabétique, c’est chercher à avoir le meilleur contrôle glycémique tensionnel et des paramètres lipidiques ; c’est aussi prévenir et dépister les complications : la consultation ophtalmologique recherche le microanévrisme pour mettre en route des traitements spécifiques de la rétinopathie, la recherche de la microprotéinurie permet de mettre en route un traitement par IEC ou sartans ; enfin, la recherche d’une neuropathie distale cherche à prévenir la complication la plus extrême de celle-ci, c’est-à-dire le mal perforant, puis, parfois malheureusement, l’amputation.

Le dépistage de la neuropathie relève uniquement de l’acte clinique. Il se pratique lors du bilan que l’on réalise au cabinet. L’électromyogramme est totalement inutile dans le cadre d’un bilan ou d’un diagnostic de neuropathie diabétique ; il ne peut servir qu’au diagnostic différentiel dans les formes très atypiques. Rappel physiologique La fréquence de la neuropathie croît avec la durée du diabète. Elle est plus compliquée qu’il n’apparaît au premier abord, car il existe différents types de fibres nerveuses (myélinisées, amyélinisées, motrices, sensitives, végétatives, etc.). L’atteinte des différents types de fibres et des différents modes de sensibilité peut se faire dans des associations variables, mais les atteintes sont toujours mixtes, avec prédominance de l’expression de tel ou tel type de fibre, et donc de tel ou tel mode de sensibilité. En ce qui concerne la sensibilité, il existe plusieurs types de sensibilité – superficielle, profonde, douloureuse et tactile – qui, là aussi, peuvent être touchées de façon variable, donnant des tableaux cliniques caractérisés parfois par la diminution voire la perte totale de la sensibilité ou de l’une des sensibilités, voire, dans d’autres cas l’exacerbation de celle-ci, donnant lieu à des hyperesthésies douloureuses ou des douleurs très particulières. Clinique La caractéristique clinique essentielle est son aspect insidieux, bilatéral, distal et symétrique. Il importe de retenir essentiellement l’élément insidieux, comme toutes les complications dégénératives du diabète, et l’élément distal. La neuropathie diabétique fait partie, en effet, des neuropathies métaboliques. Elle est liée à une souffrance du neurone, et quand un neurone souffre, c’est au niveau de ses fibres distales qu’il exprime en premier la souffrance ; parallèlement, ce sont toujours les neurones les plus longs qui souffrent, ces deux notions expliquant pourquoi la neuropathie diabétique s’exprime toujours de manière préférentielle au niveau des pieds et dans la distalité la plus extrême de ceux-ci. Il faut plusieurs années d’évolution d’un diabète pour engendrer une neuropathie, ce qui fait que la neuropathie est toujours une complication du diabète de type 1 et qu’elle peut parfois être découverte en même temps qu’un diabète de type 2. L’ensemble de ces données fait que le patient sera écouté avec attention par rapport aux signes cliniques qu’il peut ressentir au niveau des pieds, et qu’il sera examiné dans la distalité la plus extrême de ceux-ci, c’est-à-dire au niveau du gros orteil, de la face pulpaire des orteils et éventuellement en regard de la tête des métatarses. L’étude de la sensibilité superficielle au niveau du dos du pied ou de la sensibilité vibratoire au niveau de la malléole relève d’une pratique clinique fondée sur le retard diagnostique, puisque, avant qu’un dos du pied ou une malléole soient atteints, il y aura eu 15 à 20 cm d’évolution dégénérative des fibres nerveuses, donc plusieurs années d’évolution de la maladie. A rechercher des signes cliniques en dehors de la distalité la plus extrême, on s’expose donc avec certitude au retard diagnostique. Les signes fonctionnels Les signes fonctionnels sont frustes, insidieux et progressifs, et il faut prendre le temps d’écouter le patient. Celui-ci pourra parler de sensations d’hyperesthésies distales ou parfois de sensations de brûlure, voire de morsure ou de broiement. Toutes ces plaintes, aussi minimes soient-elles, sont des signes d’alerte vis-à-vis de la neuropathie. L’examen clinique Il sera lui-même basé essentiellement sur une inspection qui recherchera des troubles de la statique, des zones de frottement sur la face supérieure ou inférieure du pied, des zones de frottement entre les orteils, des déformations, des zones d’hyperkératose avec ou sans fissures et, enfin, des lésions interdigitales. Tous ces signes retrouvés à l’inspection clinique sont des signes de neuropathie déjà avancée. Il importe donc de chercher à la dépister de manière plus précoce et nous disposons pour cela d’outils manipulables directement au cabinet. Les outils Le monofilament : il s’agit d’un geste aujourd’hui devenu de pratique courante, les médecins ayant recours généralement à des monofilaments grammés à 10 g. Le monofilament n’explore que la sensibilité tactile. Pour être utile, son utilisation doit être rigoureuse, c’est-à-dire dans la distalité la plus extrême. Deux techniques existent : - La technique minimaliste qui doit explorer quatre zones de sensibilité, en regard de la face plantaire des 1er, 3e et 5e métatarses, ainsi que la face dorsale de la base du 3e orteil, en faisant attention à ne pas explorer des régions en regard d’une zone d’hyperkératose. Une fausse réponse à deux reprises sur une même zone est considérée comme signe de neuropathie. - Au mieux, 10 sites devraient être explorés sur chaque pied correspondant à la face pulpaire, puis la face dorsale, puis la zone en regard des métatarses des 1er, 3e et 4e orteils, plus la face dorsale de la base du 3e orteil. Deux fausses réponses sont suffisantes pour porter le diagnostic de neuropathie. La pratique du test au monofilament est bien codifiée, elle explore une distalité avancée dans le pied et ne s’intéresse pas à la sensibilité du dos du pied ou de la voûte plantaire. - Cependant, ce test apparaît comme qualitatif, basé sur une réponse normale ou fausse. Il s’agit donc de la loi « du tout ou rien », il n’y a pas de quantification du seuil lésionnel. Seul le recours à des filaments de grammages différents permet d’obtenir une exploration avec notion de seuil, et donc de suivre l’évolution de la maladie ; cependant, la pratique d’un tel examen est longue, et ses résultats doivent être consignés avec rigueur, pour pouvoir ensuite assurer un suivi de l’évolution du seuil de sensibilité de consultation en consultation. Le seuil vibratoire Le recours au diapason explore la sensibilité profonde ; celui-ci doit être utilisé avec le même raisonnement que le monofilament, c’est-à-dire que les zones explorées sont dans la distalité la plus extrême en regard de l’hallux et non pas au niveau de la malléole. L’exploration au niveau de la malléole est une exploration basée sur 20 à 25 cm de retard diagnostique. Cet examen est plus rapide, puisqu’il n’y a qu’une à deux zones à explorer. Comme le monofilament, il est basé sur la règle « du tout ou rien » lorsqu’on utilise un diapason de 128 hertz ; cependant, il existe des diapasons gradués, d’utilisation facile et rapide, permettant de définir un seuil vibratoire, et donc de suivre de consultation en consultation, l’évolution de ce seuil vibratoire. De manière un petit peu plus scientifique, mais pas plus difficile à utiliser, le recours au neuroesthésiomètre permet un bien meilleur suivi quantitatif. Il s’agit d’un appareil qui, à l’aide d’un courant électrique, induit une vibration au contact du patient, l’intensité de cette vibration étant proportionnelle à l’intensité du courant. L’exploration doit, là aussi, se pratiquer en regard de la tête de l’hallux. Elle permet une réponse fine et une détermination précise et reproductible du seuil de perception vibratoire. En général, celui-ci se situe entre 3 et 7 µV. Jusqu’à 15 µV, on estime qu’il n’y a pas de risque pour le pied ; à partir d’un seuil de 25 µV, le risque de voir apparaître une lésion au niveau du pied dans les 4 ans est multiplié par 7, et au-delà de 40 µV, la certitude de voir apparaître une lésion dans l’année est parfaitement démontrée si l’on ne fait rien. En pratique Le dépistage de la neuropathie est fondé sur une écoute du patient, une inspection du pied et la pratique, au minimum, de deux examens conjoints, le test au monofilament et l’utilisation du diapason ; en effet, chacun de ces tests explore des voies de la sensibilité différentes, et l’on ne peut pas se contenter de pratiquer un dépistage sur un seul mode de la sensibilité, au risque d’avoir exploré celui qui est le moins atteint. Il n’y a pas de test pour explorer la sensibilité végétative, il y a par contre, des signes cliniques directs : la peau sèche, l’hyperkératose et les fissures. Il ne s’agit pas de notions de pieds secs, mais de signes permettant d’identifier la neuropathie végétative. Le dépistage : pour quoi faire ? Suite à la consultation clinique, le praticien doit pouvoir établir s’il est face à un pied normal sans aucun risque ou s’il est face à un pied à risque ; il doit ensuite définir le niveau de risque, ce risque étant lié soit à des déformations sans neuropathie, soit à des lésions de neuropathie végétative isolée, telles l’hyperkératose, la fissure ou la sécheresse cutanée du pied, soit à une neuropathie sensitive débutante ou avancée. Il doit prévenir le patient de ce risque, en sachant qu’il est de mauvaise pratique clinique de dire à des gens qui n’ont pas de risque, qu’ils sont soumis à un risque, s’exposant alors au fait de les décourager de toute surveillance au bout de plusieurs années, puisque rien ne se sera passé ; en revanche, lorsqu’un patient présente un risque, il importe qu’il soit informé et qu’on lui donne les outils pour le prévenir. Ces outils sont basés sur l’hygiène, le contrôle des chaussures, l’examen régulier de la face des pieds, la vigilance démontrée du praticien à chaque consultation et un discours médical basé sur le fait que le pied sent moins bien et non pas que le pied ne ressent plus. En effet, en tant que médecin, nous avons toujours l’impression que la neuropathie est basée sur une perte de la sensibilité ; en fait, dans la vie quotidienne du patient, cette perte de sensibilité n’est pas ressentie, le patient ayant au fond de lui-même toujours l’impression de ressentir ses pieds, sauf dans les phases très avancées. En effet, cette perte de sensibilité est progressive, elle est donc insidieuse et, en conséquence, le patient a toujours la notion de sentir ses pieds, puisqu’il a toujours conscience de leur existence. Malheureusement cette sensibilité se fait toujours avec retard, et c’est ce retard qui conduira à la lésion. C’est donc de ce retard dont le patient doit être conscient pour pouvoir pratiquer une attitude préventive. Le patient devra alors être entouré par toute une série de personnes spécialisées, une infirmière lui donnant un conseil spécialisé, un podologue traitant de manière non agressive ses zones d’hyperkératose, ayant recours à des semelles de compensation des zones d’appui et enfin, éventuellement, à un chausseur spécialisé. Bien sûr, la notion de neuropathie ne peut pas se séparer de la notion d’artérite ; celle-ci s’explore, cliniquement par la chaleur cutanée et la palpation des pouls. Il existe aujourd’hui un consensus international, précisant bien que le dépistage du risque de lésion des pieds est l’étape initiale et incontournable de la prévention des lésions ; ce dépistage repose sur quatre gestes simples : – la recherche d’une déformation ; – l’exploration de la sensibilité (test proposé : monofilament 10 g) ; Grade 0 : Pas d’artérite, pas de perte de la sensibilité, possibilité de déformation non spécifique Grade 1 : Perte de la perception du monofilament sans artérite ni déformation Grade 2 : Perte du monofilament avec signes d’artérite ou déformation Grade 3 : Antécédents de lésion ou d’amputation – palpation des pouls ; – recherche de séquelles d’amputation ou de séquelles de lésions cutanées ayant duré plus de 3 mois. Ces 4 gestes débouchent sur une gradation de risques, conduisant elle-même vers une gradation de prise en charge : Cette gradation est imparfaite car elle ne permet pas, par exemple, de classer les patients qui ont une artérite sans neuropathie ; mais elle a déjà l’avantage de proposer une réflexion et une action. En effet, on peut dire que les grades 0 et 1 relèvent de la pratique au niveau du cabinet médical, et qu’à partir du grade 2, le rôle du médecin est bien sûr de définir le grade en ayant recours à d’autres acteurs spécifiques, la consul­tation podologique notamment, effectuée par un podologue  compétent dans la prise en charge du pied diabétique. Enfin, le diagnostic de neuropathie périphérique chez un patient diabétique doit intégrer la notion d’environnement clinique : ancienneté du diabète, alcool et carence vitaminique potentielle. Le raisonnement se donne pour but d’analyser : – la perte du sens douloureux qui protège des agressions extérieures ; – la perte du sens de la statique qui expose aux microtraumatismes ; – la perte de la protection végétative qui expose à la sécheresse, l’hyperkératose et la fissure.

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