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Neurologie

Publié le 04 déc 2016Lecture 12 min

Les troubles cognitifs chez les patients diabétiques âgés - Une nouvelle complication du diabète

B. BAUDUCEAU, L. BORDIER, Service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé

L’augmentation conjointe de l’espérance de vie et de l’incidence du diabète explique que sa prévalence se majore chez les personnes âgées. L’amélioration de la prise en charge des patients diabétiques âgés a fait régresser la mortalité de la maladie ; ce qui a conduit à l’émergence de complications qui n’avaient pas le temps d’apparaître auparavant. C’est ainsi que les troubles cognitifs et les démences sont devenues des complications préoccupantes du diabète en termes de santé publique. L’intérêt d’un équilibre glycémique optimal dans la population des patients diabétiques âgés reste controversé et les résultats des grandes études publiées en 2008 laissaient même planer un doute sur l’intérêt d’une intensification de l’équilibre glycémique chez des malades fragiles. Plusieurs études se sont intéressées à juste titre à l’épidémiologie des troubles cognitifs chez les patients diabétiques et au retentissement de l’équilibre glycémique sur leur apparition et leur aggravation.

Fréquence des troubles cognitifs et des démences chez les patients diabétiques   La maladie d’Alzheimer représente 70 % des cas de démence dans l’ensemble de la population générale. Les démences vasculaires et les démences mixtes constituent les autres causes les plus communes des états démentiels. En 2010, en France les démences intéressaient 750 000 à 850 000 malades, soit 12 % de la population totale, et ce chiffre sera multiplié par 2,4 d’ici 2050. En Europe, les chiffres varient selon les pays, mais globalement 1 sujet sur 4 de plus de 85 ans est atteint de démence et la prévalence ainsi que l’incidence sont plus importantes chez les femmes. Il s’agit donc d’un problème majeur de santé publique dont l’importance est croissante et qui intéresse tout particulièrement les patients diabétiques. En effet, le diabète constitue un facteur favorisant la survenue des troubles cognitifs et des démences. La présence de troubles cognitifs est majorée d’un facteur 1,2 et celle d’une démence de 1,6 lorsque les patients sont diabétiques. Cette augmentation est nette pour la maladie d’Alzheimer puisque les diabétiques ont un risque majoré de 39 % et s’avère plus importante encore pour les démences vasculaires avec un odds ratio de 2,38. La présence des troubles cognitifs est fréquemment sous-estimée comme le montre l’étude Gérodiab. La discordance notée entre l’estimation grossière déclarée par le praticien quant à la présence de troubles cognitifs dans 11 % des cas et la réalité des faits attestés par un MMSE < 25 dans 1 cas sur 4 témoigne de la méconnaissance habituelle de ces anomalies de la cognition. Cette constatation est importante car elle implique pour le patient une mauvaise compréhension de la gestion de l’alimentation ou du traitement et des erreurs fréquemment générées par le déficit mnésique.   Mécanismes d’apparition des troubles cognitifs chez les patients diabétiques Les mécanismes qui expliquent les troubles cognitifs au cours du diabète sont multiples et mal connus. L’âge est naturellement un facteur essentiel mais qui n’est pas spécifique du diabète. Le niveau d’étude initial doit être pris en considération pour l’évaluation des troubles cognitifs par le MMSE mais ce paramètre est également indépendant de la maladie diabétique. •L’hyperglycémie chronique et les fluctuations glycémiques interviennent par l’intermédiaire d’une majoration du stress oxydatif, des produits avancés de la glycation, de la dysfonction endothéliale et de l’hyperosmolarité cérébrale. L’hyperglycémie chronique est également responsable de l’apparition de la microangiopathie et de la macroangiopathie qui est ellemême favorisée par l’hypertension artérielle (HTA) et la dyslipidémie. L’incidence des démences semble majorée en cas d’élévation de la glycémie, aussi bien chez les patients diabétiques que chez les non diabétiques. Ces anomalies cognitives sont sous-tendues par des modifications cérébrales bien visualisées par l’imagerie fonctionnelle moderne. La présence d’un diabète coïncide avec une diminution du volume cérébral total et de celui de la substance grise. Les patients diabétiques présentent également davantage de lésions ischémiques et enfin un certain degré de corrélation est noté entre la gravité des lésions neuro-anatomiques et l’intensité du déficit cognitif. D’autres travaux rapportent des microlésions de la substance blanche, une atrophie cérébrale, notamment de la région de l’hippocampe qui est une zone essentielle des phénomènes de mémorisation. Les facteurs de risque cardiovasculaires interviennent en favorisant les accidents vasculaires cérébraux (AVC) et en conséquence les démences vasculaires. Ce fait explique que les patients diabétiques, qui sont fréquemment hypertendus et dyslipidémiques, présentent une majoration du risque de démence vasculaire. La survenue d’hypoglycémies sévères constitue un facteur majeur d’apparition des déficits cognitifs mais ces accidents sont également plus fréquents chez les malades déments en raison des troubles de la mémoire et du comportement qui perturbent les prises médicamenteuses et rendent aléatoire la régularité de l’alimentation. Ce fait constitue un véritable cercle vicieux puisque les troubles cognitifs doublent le risque de démence et que les troubles cognitifs multiplient par 3 les accidents hypoglycémiques sévères. Les résultats de l’étude post hoc Accord Mind indiquent que l’incidence des hypoglycémies sévères était fonction d’un score cognitif initial (le DSST pour Digit Symbol Substitution Test). L’évolution de ce score après 20 mois de suivi indiquait que les malades dont le score initial était le plus faible s’aggravaient le plus et présentaient le plus d’hypoglycémies. En revanche, les sujets dont le score était initialement le meilleur se dégradaient beaucoup moins et faisaient très peu d’hypoglycémies. Une étude portant sur plus de 16 000 diabétiques âgés de plus de 65 ans et suivis 20 ans montre qu’en fonction du nombre d’hypo glycémies sévères, le risque attribuable dans l’apparition d’une démence était de 2,39 % par an. L’odds ratio passait de 1 en l’absence d’hypoglycémie à 1,94 s’il existait dans les antécédents plus de 3 hypoglycémies sévères. En revanche, le risque des hypoglycémies mineures était inconnu. Toutefois, les études DCCT et EDIC menées chez des patients diabétiques de type 1 sont plutôt rassurantes sur ce point. En effet, si les hypoglycémies sévères étaient 3 fois plus nombreuses au cours du DCCT dans le bras intensif, cette fréquence était devenue identique dans l’étude de suivi EDIC. Ni la fréquence, ni la sévérité des hypoglycémies, ni le groupe de traitement n’étaient associés au déclin cognitif dans ces études qui portaient néanmoins chez des patients diabétiques de type 1 de découverte récente et donc beaucoup plus jeunes. En revanche, chez les patients dont l’HbA1c restait la plus élevée, un déclin modéré mais significatif était constaté sur la vitesse d’exécution des performances psychomotrices. Insulinorésistance. Plusieurs travaux ont démontré le rôle joué par l’insulinorésistance dans l’apparition des troubles cognitifs et des démences. La 3e enquête réalisée à partir de la Rotterdam Study 1997-99 portait sur 3 139 participants ni déments ni diabétiques à l’inclusion. Dans cette cohorte, 211 sujets ont développé une maladie d’Alzheimer, dont 71 dans les trois premières années. Après ajustement sur l’âge, le sexe, le niveau d’éducation, l’allèle E4 de l’ApoE, la pression artérielle et le traitement, l’existence d’une insulinorésistance augmentait de 39 % le risque de maladie d’Alzheimer à 3 ans. Enfin, l’insulinorésistance est associée à une atrophie du lobe temporal médian et à une altération des performances cognitives. L’insulinorésistance interviendrait dans la genèse des troubles cognitifs par la dysrégulation de la phosphorylation de la protéine tau et la clairance de la protéine amyloïde. Inflammation. L’obésité se caractérise par un état inflammatoire chronique de bas grade qui intervient sur les altérations cognitives. Le microbiote intestinal pourrait agir par l’intermédiaire des endotoxines lipopolysaccharidiques. Ce mécanisme produit un état inflammatoire par l’intervention de cytokines provenant en particulier des cellules microgliales. Cet état inflammatoire entraîne une apoptose des cellules bêta et une action sur le système nerveux. La microglie exerce un rôle essentiel en intervenant sur la phagocytose des neurones malades et l’élagage de certaines synapses. Enfin, la génétique portant notamment sur le rôle délétère de l’allèle E4 de l’Apo E est bien établi mais ne semble pas posséder de spécificité au cours du diabète. L’existence d’un syndrome dépressif constitue un facteur confondant avec les troubles cognitifs. En effet, la dépression peut simuler une détérioration intellectuelle et rendre difficile l’évaluation cognitive. Inversement, l’installation de troubles cognitifs est susceptible de favoriser l’apparition d’un syndrome dépressif.   Conséquences cliniques Les conséquences des troubles cognitifs et des démences chez les patients diabétiques âgés sont multiples et vraisemblablement sous-estimées. L’existence de troubles cognitifs et surtout d’une démence diminue l’espérance de vie. Ce fait est confirmé dans une grande étude observationnelle portant sur plus de 360 000 sujets d’un registre suédois. Dans ce travail, l’existence d’une démence limite l’espérance de survie à 10 ans à 40 % versus 70 % pour les sujets sans démence. Les troubles cognitifs majorent les complications plus spécifiquement gériatriques. Il est donc très important d’intégrer ce type de manifestations dans le bilan des diabétiques âgés. Il s’agit de la dénutrition, de la sarcopénie, des chutes, de la perte d’autonomie, de l’isolement social et familial, des accidents iatrogènes et de la dépression. Ainsi, une évaluation gérontologique standardisée à l’aide d’échelles validées, très couramment réalisée par les gériatres, devrait également être plus souvent effectuée par les praticiens en charge de patients diabétiques âgés. La responsabilité des troubles cognitifs dans la fréquence des hypoglycémies est attestée par de nombreuses études. Ainsi, dans The Fremantle Cognition in Diabetes Study portant sur 6 ans de suivi, seuls 60 % des patients diabétiques atteints d’une démence n’avaient pas présenté d’accidents hypoglycémiques sévères. En revanche, il n’existait pas de différence nette entre les patients présentant des fonctions cognitives normales et ceux avec altération cognitive sans démence. L’étude ADVANCE n’a noté aucune différence dans l’évolution de la cognition entre les 2 bras intensif ou conventionnel portant sur le niveau de l’équilibre glycémique. Toutefois, les sujets avec troubles cognitifs avaient un risque majoré de décès et d’accidents cardiovasculaires. Le nombre global des hypoglycémies était semblable quel que soit l’état des fonctions cognitives mais une baisse de 1 point de MMSE correspondait à une augmentation de 10 % du risque d’hypoglycémie sévère. Enfin, en cas d’altération profonde des fonctions cognitives, ce risque d’hypoglycémie sévère était multiplié par 2. L’intrication des troubles cognitifs et des autres complications du diabète est très probable. En effet, les affections cardiovasculaires et la microangiopathie peuvent jouer un rôle promoteur dans l’apparition des complications plus spécifiquement gériatriques. Cependant, cette relation peut être la conséquence du diabète et des facteurs de risque qui entraînent de façon concomitante les complications micro- et macroangiopathiques ainsi que les symptômes gériatriques. Il est cependant vraisemblable que ces deux types de complications influent l’une sur l’autre. Ainsi, l’existence d’une insuffisance cardiaque, d’une artériopathie des membres inférieurs, des séquelles d’un AVC ou une coronaropathie peuvent être à l’origine d’une diminution de l’autonomie, d’une dégradation des fonctions cogni tives, d’une dénutrition, ou générer une dépression. Inversement, ces symptômes gériatriques peuvent retentir sur ces complications macroangiopathiques en diminuant la qualité de l’observance ou en majorant le risque hypoglycémique.   Prise en charge des patients diabétiques âgés présentant des troubles cognitifs   Pour améliorer les soins, il est indispensable de dépister les troubles cognitifs chez les patients diabétiques afin d’adapter leur prise en charge. Le dépistage de ces troubles repose sur la constatation de modifications du comportement comme des oublis de rendezvous, une mauvaise tenue du carnet, une moins bonne hygiène, une augmentation de la fréquence des hypoglycémies, un déséquilibre inexpliqué du diabète ou l’apparition d’un état dépressif qui peut prendre le masque d’une démence. L’interrogatoire du patient est souvent trompeur car une présentation apparemment satisfaisante sur le plan cognitif peut donner le change, si bien que les dialogues avec l’entourage sont fréquemment plus contributifs pour ce dépistage. La réalisation de tests simples comme le MMSE permet de dépister et de quantifier l’importance des troubles cognitifs. Cette échelle validée évalue l’orientation temporo-spatiale, l’apprentissage, le calcul, le langage et les praxies constructives. Beaucoup d’autres tests ont été proposés et sont disponibles pour compléter l’évaluation gérontologique standardisée. En cas d’anomalies, un bilan psychométrique plus exhaustif, une imagerie cérébrale, un bilan biologique complet et une évaluation du retentissement des troubles sur l’autonomie permettent de porter un diagnostic positif et étiologique de la démence. Ainsi, la question de l’opportunité d’un dépistage systématique des déficits cognitifs par la réalisation d’un MMSE se pose clairement chez les patients diabétiques âgés. La recherche d’une cause éventuellement curable comme une tumeur frontale, une hydrocéphalie à pression normale, une carence en folates, une hypothyroïdie ou un état dépressif ne doit pas être négligée. La lutte contre les facteurs de risque associés est indispensable. Il convient de rechercher et de prendre en charge une dénutrition ainsi que d’anticiper la perte d’autonomie et de prévenir le risque de chutes favorisées par l’hypotension orthostatique et les troubles de la marche. Enfin, comme chez les sujets non diabétiques, l’indication des médicaments des démences est discutée. La présence de troubles cognitifs invite à revoir les objectifs glycémiques qu’il est indispensable d’individualiser comme cela est recommandé par les sociétés savantes. Les objectifs prônés par la HAS et la prise de position ADA-EASD de 2015 sont maintenant bien connus. Ainsi, chez les patients âgés, il est nécessaire de prendre également en compte le degré de fragilité dont les marqueurs sont, entre autres, les troubles cognitifs, le besoin d’aide pour certaines activités de la vie quotidienne, l’existence d’un état dépressif, la dénutrition, la sarcopénie et le risque hypoglycémique. Cette recommandation n’est pas pour surprendre puisque l’intérêt d’objectifs glycémiques stricts chez les sujets âgés diabétiques n’est pas démontré, d’autant que le risque hypoglycémique sur les accidents cardiovasculaires et les troubles cognitifs incite à ne pas viser des objectifs glycémiques trop ambitieux. Les hypoglycémies doivent être en effet limitées au maximum car elles jouent un rôle néfaste et complexe sur les altérations cognitives d’autant que chez les déments, ces accidents sont souvent méconnus en raison de leur caractère silencieux ou de l’atypie de leur présentation. Les mesures sociales et familiales adaptées doivent être mises en œuvre pour limiter la dénutrition et la mauvaise observance thérapeutique. L’évaluation du degré d’autonomie, de la dénutrition et la reconnaissance d’un syndrome dépressif constituent un préalable incontournable. L’adaptation de l’éducation thérapeutique aux possibilités du malade est indispensable et doit être étendue aux aidants dès que nécessaire. L’organisation des soins par l’intervention d’une infirmière bien formée à l’adaptation du traitement aux objectifs glycémiques conditionne la qualité de la prise en charge.    Conclusion   Les troubles cognitifs chez les patients diabétiques âgés méritent d’être mieux dépistés et mieux pris en compte puisque ces malades, souvent exclus des études traditionnelles, nécessitent une adaptation des objectifs et des traitements. En définitive, en raison de sa fréquence et de ses conséquences, le déclin cognitif doit être ajouté à la liste des complications chroniques du diabète. Deux écueils doivent être évités dans la prise en charge des patients diabétiques âgés : équilibrer de façon insuffisante les glycémies d’un malade dont l’espérance de vie est encore importante et qui aura donc le temps de développer des complications, et traiter de façon excessive un malade dont le pronostic ne dépend plus du diabète. Ceci implique qu’une évaluation gérontologique soit plus fréquemment pratiquée chez ces malades afin de privilégier la qualité de vie : « Il ne faut pas chercher à rajouter des années à sa vie mais plutôt essayer de rajouter de la vie à ses années » (Oscar Wilde dans Le Portrait de Dorian Gray).   Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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