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Frontière

Publié le 05 mar 2025Lecture 10 min

La boucle fermée en libéral : l’expérience du CIRDIA

Sylvie PICARD*, Emmanuelle LECORNET-SOKOL**, *CIRDIA, Point médical, Dijon, **FENAREDIAM, IPE, Paris

La mise en place des pompes à insuline était jusque très récemment réalisée quasi exclusivement en milieu hospitalier pour des raisons réglementaires, mais aussi et surtout parce que le cahier des charges d’un centre initiateur est considéré par la plupart des endocrino-diabétologues libéraux (EDL) comme trop lourd. Le remboursement fin 2022 des premières boucles fermées hybrides (BFH) avec une demande importante de la part des patients — et de longues listes d’attente dans la plupart des centres initiateurs — a obligé à réfléchir à une nouvelle organisation des soins. C’est ce que nous avons fait en créant et en développant le CIRDIA (Centre interrégional d’insulinothérapie automatisée) qui est un centre initiateur de BFH multisites à prédominance libérale.

Nécessité de centres initiateurs libéraux   La BFH devient le nouveau standard de soins du diabète de type 1 (DT1). En théorie, la BFH devrait être accessible à toute personne vivant avec un DT1 (PVDT1) qui le souhaite pour améliorer ses paramètres métaboliques et/ou sa qualité de vie. Et ceci dans un délai raisonnable pour ne pas entraîner de perte de chance. Les nouvelles recommandations HAS 2024 confirment ces indications assez larges. De ce fait, un rapide calcul permet d’estimer que plus de 300 000 PVDT1 seraient théoriquement éligibles à une BFH en France. Or, actuellement, environ 30 000 PVDT1 — moins de 10 % — sont équipées deux ans après le remboursement effectif du premier modèle : le calcul du délai qui serait nécessaire pour équiper à ce rythme toutes les personnes qui pourraient en bénéficier est inquiétant. Si les délais d’attente pour l’initiation d’une BFH se sont réduits dans la plupart des centres hospitaliers par rapport à 2023, ils restent encore supérieurs à 12 mois dans certains centres (CHU ou CHG) et les hôpitaux ne peuvent pas gérer l’initiation et encore moins le suivi de toutes les BFH. Ils doivent rester disponibles pour la gestion des urgences et des pathologies lourdes et/ou complexes. Par ailleurs l’initiation de BFH en milieu hospitalier mobilise beaucoup de paramédicaux (personnel infirmier en particulier) à une période où le recrutement est souvent difficile. Il est donc essentiel de diversifier l’offre de soins. C’est d’ailleurs une demande de nombreuses PVDT1 d’autant qu’environ 25 % d’entre elles sont suivies par des EDL, tandis que le décloisonnement ville-hôpital fait également partie des objectifs des autorités de santé. La simplification des systèmes, l’utilisation de la télésurveillance, l’utilisation du numérique par les patients sont autant de facteurs facilitant la prise en charge des patients au sein de structures simples, comme les cabinets médicaux. Enfin, la possibilité d’avoir des centres initiateurs de BFH libéraux est essentielle pour l’avenir de la diabétologie libérale, mais aussi de la diabétologie en CHG : un interne ou un assistant formé dans un centre expert de BFH ne voudra pas s’installer en libéral ou partir dans un CHG où il serait seul expert de BFH s’il n’avait pas la perspective de pouvoir continuer à initier des BFH et assurer le suivi de patients équipés de BFH.   Une exigence de qualité et de sécurité   Mais devenir centre initiateur de BFH ne s’improvise pas et ne se décrète pas du jour au lendemain. Un centre initiateur doit répondre au cahier des charges de la prise de position de la SFD de 2020 actualisé en 2024(1) et repris par les recommandations HAS 2024(2). Il est notamment nécessaire d’assurer une astreinte médicale 24/7, de participer à des RCP et d’avoir un niveau d’expertise élevé avec une formation continue pour les différents dispositifs qui évoluent très vite. C’est pour mutualiser nos moyens que nous avons créé le CIRDIA, qui est une association loi 1901. Le CIRDIA dispose d’une astreinte 24/7 avec un numéro de téléphone en « 09 » qui bascule automatiquement sur le portable du diabétologue d’astreinte. Le médecin d’astreinte a accès aux données CGM/pompe de chaque patient, ce qui suppose donc un partage des données : le CIRDIA possède un compte sur chaque plateforme et chaque PVDT1 qui intègre le CIRDIA signe un consentement au partage des données, déclenchant son accès au numéro d’astreinte. Et pour garantir un niveau d’expertise élevée, nous avons rajouté une exigence pour intégrer le CIRDIA en tant que membre prescripteur, qui est d’avoir à la fois le DES d’endocrinologiediabétologie et le DIU d’insulinothérapie automatisée qui donne accès à un enseignement théorique complet de 40 heures, mais exige aussi un stage pratique de 60 heures auprès d’une équipe en centre expert. Chaque médecin du CIRDIA conserve sa propre organisation et notamment la collaboration avec les paramédicaux avec lesquels il travaillait habituellement (infirmier(e), diététicien(ne), etc.). En revanche, et malgré des demandes, nous n’avons pas voulu intégrer de pédiatres dans le CIRDIA pour des raisons de sécurité : la gestion d’une cétose chez un enfant de 3 ans est très différente de la gestion d’une cétose chez un adulte et les critères de sécurité n’auraient pas été remplis. Nous n’avons pas non plus intégré de diabétologue des DOM-TOM pour des raisons pratiques de décalage horaire pour les réunions de type RCP et pour la gestion des astreintes. Cependant, nous restons bien entendu à disposition des uns et des autres s’ils voulaient calquer notre modèle pour leur organisation.   Et une participation à la recherche   Participer à la recherche médicale fait partie des attributions d’un centre initiateur de BFH et est inscrit dans les statuts du CIRDIA. Dès la création de l’association, nous avons recueilli les données anonymisées des PVDT1 incluses dans le CIRDIA – après bien entendu signature du consentement qui stipule cet aspect. Le recueil anonymisé se fait actuellement sur un tableau Excel sécurisé auquel seuls les membres prescripteurs du CIRDIA ont accès. Les données extraites manuellement ont déjà permis de communiquer lors du congrès de la SFD 2024 (communication affichée discutée), de la SFE 2024 (communication orale) et nous avons soumis un abstract pour l’ATTD 2025 et un résumé pour la SFD 2025. Par ailleurs, nous allons très prochainement soumettre un premier article pour publication dans une revue internationale. Nous avons mené cette recherche avec de faibles moyens. Nous avons obtenu un don de l’AFD-BFC, un autre de la Mutualité Française 39 (un grand merci à eux !) et nous avons remporté la 1re bourse FENAREDIAM 2024 avec notre projet novateur d’organisation des soins. Le tout complété par des fonds personnels afin de pouvoir payer la plateforme d’astreinte, la plateforme de RCP et la communication. Mais le futur s’annonce plus « organisé ». Nous sommes désormais centre investigateur dans une étude nationale de BFH et nous avons remporté une allocation de recherche de la Fondation Clément-Drevon dans le cadre des soins centrés sur la personne. Cette allocation servira à cofinancer une grande étude rétrospective au fil de l’eau et une enquête de satisfaction « CIRDIA-BFH » que nous allons mener de façon imminente avec la société (CRO) qui gère les études SFDT1 et OB2F (Sanoïa). Nous allons également répondre à d’autres appels à projets pour compléter le financement de cette étude, mais aussi pour réaliser une évaluation médico-économique du CIRDIA. Et nous sommes aussi soutenus par l’URPS de Bourgogne Franche-Comté pour discuter avec l’ARS d’un financement plus pérenne pour notre fonctionnement.   Une communication permanente   La communication fait partie intégrante de notre organisation. Il est essentiel de faire connaître le CIRDIA pour inciter d’autres EDL à nous rejoindre et ainsi progressivement « mailler » le territoire français pour que toutes les PVDT1 aient le choix des modalités d’initiation d’une BFH. Bien entendu, il est également important qu’un EDL non formé à l’initiation de la BFH puisse orienter ses patients soit vers un centre hospitalier soit vers un membre du CIRDIA pour cette initiation. À notre niveau, le suivi se fera ensuite soit par l’EDL qui a adressé le patient — dès que l’EDL le souhaite et répond aux critères d’un centre de suivi — soit vers le diabétologue du CIRDIA en fonction des circonstances et bien entendu également du souhait de la PVDT1. Il est également important que les CHU et les CHG, centres initiateurs nous connaissent pour pouvoir orienter des PVDT1 en cas de longue liste d’attente pour une BFH. La communication s’est faite initialement par une page LinkedIn rapidement associée à un site Internet « grand public » https://cirdia.fr où nous avons commencé à mettre des documents d’ETP accessibles à tous. Les membres du CIRDIA ont également accès à un extranet. Ces sites ont été faits « maison » et sont gérés de la même façon (la motivation permet ainsi de s’improviser webmaster…). Et nous multiplions aussi les réunions, les articles (comme celui-ci) pour faire connaître notre association, mais aussi diffuser nos premiers résultats.   Des premiers résultats encourageants   Bien entendu, nous ne pouvons pas discuter ici les résultats actuellement soumis à publication et nous allons donc nous concentrer sur les résultats déjà présentés lors des congrès, et qui concernaient tous l’évolution des paramètres AGP entre l’initiation de la BFH (M0), puis à 3 mois (M3) et 6 mois (M6), en notant que nous n’avons enregistré aucun événement indésirable grave lié au traitement. Lors du congrès SFD de mars 2024, nous avons rapporté les résultats de 35 PVDT1 et montré que, de M0 à M3 et M6, le TIR passait respectivement de 56,1 % à 75,4 % et 73,7 % sans augmentation des hypoglycémies puisque le TBR< 70 passait de 3,1 % à 1,8 % et 2,1 % (incluant le TBR< 54 qui passait de 0,2 % à 0,2 % et 0,3 %). Si l’on se focalisait sur les PVDT1 avec un TIR < 50 % à M0 (n = 11) le TIR passait de 35,8 % à 66,2 % et 66,4 % et chez les PVDT1 qui avaient un TBR< 70 ≥ 4 % (n = 12) celui-ci passait de 6,4 % à 1,5 % et 1,9 % alors que le TIR passait de 65,3 % à 81,0 % et 78,9 %. Ces résultats étaient encourageants malgré le faible effectif, puisque les données de la littérature rapportent habituellement un gain de TIR d’environ 10 % sous BFH. Pour le congrès de la SFE en octobre 2024(3), nous avons présenté les résultats actualisés de 116 patients à M6 qui confirment nos premières données avec un TIR qui passe de M0 à M3 et M6 de 53,7 % à 73,0 % et 72,8 % alors que le TBR < 70 passe de 2,5 % à 1,7 % et 1,5 % (incluant le TBR < 54 qui passe de 0,4 % à 0,3 % et 0,3 %) (figure 1). Surtout, nous avons montré que le nombre de PVDT1 atteignant l’objectif d’efficacité (TIR > 70 % ou GMI < 7 % ou TIR > 70 % et GMI < 7 %) était 3 à 4 fois plus élevé à M3 et M6 qu’à M0 (figure 2). L’objectif de sécurité (TBR < 70 < 4 %) était également plus fréquemment atteint et les PVDT1 qui atteignaient l’objectif combiné d’efficacité et de sécurité étaient 5 à 6 fois plus nombreuses à M3 et M6 qu’à M0. Nos résultats rejoignent totalement les résultats de la grande étude mondiale (101 629 patients issus de 34 pays) de P. Choudhary et coll.(4) : si l’on compare nos résultats à M6 versus ceux de l’étude mondiale, pour le TIR nous obtenons 72,8 % versus 72,3 %, pour le TBR < 70 : 1,8 % versus 2,0 %, pour le TBR < 54 : 0,3 % versus 0,4 % et pour le GMI : 7,0 % versus 7,0 %. Et, si l’on considère la proportion de patients atteignant un GMI < 7 %, nous rapportons 59,5 % versus 59,6 %, pour le TIR > 70 % : 62,9 % versus 62,5 % et pour le TBR < 70 < 4 % : 82,8 % versus 88,4 %. Pour le critère combiné efficacité + sécurité, nous rapportons une proportion de 44,8 % versus 47,7 % en notant que nous n’avions pas inclus le TBR < 54 < 1 % dans nos critères et que l’étude publiée ne portait que sur les utilisateurs du système Medtronic 780G, alors que, dans nos résultats, ce système était très majoritaire (76 %), mais que nous avions également 13 % d’utilisateurs du système Control-IQ et 9 % d’utilisateurs du système CamAPS. Figure 1. Évolution des paramètres AGP entre l’initiation (M0), 3 mois (M3) et 6 mois (M6) chez 116 personnes vivant avec un diabète de type 1 après initiation d’une BFH dans le cadre du CIRDIA. Figure 2. Pourcentage de patients atteignant les objectifs d’efficacité, de sécurité et combinés d’efficacité + sécurité avant initiation (M0) à 3 mois (M) et M6 après initiation d’une BFH dans le cadre du CIRDIA (n = 116).   Ces résultats sont donc très encourageants, montrant que le CIRDIA obtient des résultats similaires aux grandes études internationales, incluant presque mille fois plus d’utilisateurs de BFH. L’étude que nous allons mener permettra d’analyser les données de façon plus fine sur une durée plus longue (12 mois). Notre effectif s’agrandit et si aujourd’hui plus de 300 patients sont intégrés dans l’astreinte du CIRDIA (sous BFH ou pompe initiée dans le cadre du CIRDIA ou suivis par un diabétologue du CIRDIA après avoir eu une initiation dans un autre centre), ce sont environ 200 BFH qui ont été initiées en 18 mois dans le cadre du CIRDIA. CONCLUSION   • La diabétologie évolue de façon majeure et rapide : les dix dernières années ont notamment vu arriver la mesure du glucose en continu, puis la BFH, ce qui révolutionne la vie des PVDT1, mais aussi des diabétologues. • Une adaptation de nos pratiques est donc essentielle pour maintenir une offre de soins diversifiée, adaptée aux souhaits des patients, mais avec une garantie d’efficacité et de sécurité. • C’est pour cela que nous avons créé le CIRDIA qui répond à tous ces critères. • Nos premiers résultats sont encourageants et notre objectif est d’intégrer d’autres diabétologues sur tout le territoire français pour qu’à chaque endroit une PVDT1 puisse avoir le choix des modalités de mise en place d’une BFH tout en respectant bien entendu des garanties d’efficacité et de sécurité. Il en va aussi de l’avenir de la diabétologie libérale d’autant que les indications de BFH vont probablement encore s’élargir dans les prochaines années. Et nous espérons que les recommandations de la HAS parues en septembre 2024(2) vont inciter l’assurance maladie à inscrire à la nomenclature un acte d’initiation de pompe et de boucle fermée afin de permettre une cotation. • Le CIRDIA s’inscrit également dans la recherche clinique sur la BFH, ce qui est essentiel, car les patients pris en charge en pratique libérale ne sont peut-être pas les mêmes que ceux qui sont suivis en milieu hospitalier. • Nous vous tiendrons informés de nos progrès sur notre site Internet, sur notre page LinkedIn et dans de futurs articles. Liens d’intérêts : Aucun lié à cet article. En dehors SP est consultante et/ou oratrice et/ou rédactrice pour Abbott, Air Liquide, Asdia, Dexcom, Insulet, Isis Diabète, Lilly, Medtronic, Novo Nordisk, Orkyn, Roche Diabetes Care, Sanofi, VitalAire ; ELS est consultante et/ou oratrice pour Abbott, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Dexcom, IBSA, Insulet, Lifescan, Lilly, Novo Nordisk, Sanofi. Remerciements Nous remercions l’ensemble des membres du CIRDIA (par ordre alphabétique) : Dr Fabienne AMIOT-CHAPOUTOT (Sens), Dr Sophie BOROT (Besançon), Dr Clara BOUCHÉ (Paris), Dr Blandine COURBEBAISSE (Fontenay-Sous-Bois), Dr Joëlle Dupont (Saint-Etienne), Mme Audrey DUSART (IDE, Chambéry), Mme Laurence GANDOLFI (diététicienne, Paris), Dr Françoise GIROUD (CDOM 21, CROM), Pr Sandrine LABLANCHE (Grenoble), Dr Emmanuelle LECORNET-SOKOL (Paris), Dr François MOUGEL (Lons-le-Saunier), Dr Estelle PERSONENI (Châtenoyle-Royal), Dr Sylvie PICARD (Dijon), M. Philippe RACLET (AFD21, AFD-BFC, FFD). Nous remercions également les organismes qui nous soutiennent et/ou nous aident (par ordre alphabétique) : AFD-BFC, FENAREDIAM, Fondation Clément-Drevon, Mutualité Française 39, URPS-ML-BFC.

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