Obésité
Publié le 09 sep 2024Lecture 6 min
Contrôle pharmacologique de l’obésité, incrétines et efficacité de la contraception orale
Les effets secondaires rares des médicaments deviennent apparents à mesure que le volume de distribution de ces derniers s’accroît. Les réseaux sociaux, par leur effet caisse de résonnance, peuvent diminuer le délai d’alerte. Mais ils peuvent également donner lieu à des alertes mal fondées. C’est un phénomène de ce type qu’on observe actuellement avec le boom des analogues desincrétines, agents utilisés comme traitement pharmacologique miracle de l’obésité. Ces molécules sont accusées d’être à l’origine de la survenue de grossesses non désirées chez des femmes utilisant une contraception hormonale. Si un lien de causalité peut être discuté pour la prise orale, il est néanmoins difficile à envisager en cas d’utilisation de timbres ou d’anneaux contraceptifs. Or, des femmes ont attribué à ces drogues la survenue de grossesses non désirées alors qu’elles utilisaient des timbres contraceptifs.
Les incrétines et leurs analogues
Les incrétines sont des hormones naturellement sécrétées par les cellules intestinales en réponse à une prise alimentaire (nutrient-stimulated) comportant glucose et acides gras. Le GIP (Glucose-dependant Insulinotropic Polypeptide) est sécrété par les cellules duodénales; le GLP-1 (Glucagon-Like Peptide-1) est sécrété par les cellules du jéjunoiléon. Physiologiquement, les incrétines participent à l’équilibre glycémique et à la régulation des apports nutritionnels. Leur effet cardioprotecteur est de mise en évidence plus récente (tableau 1).
L’industrie pharmaceutique a développé des agonistes des récepteurs des incrétines. Deux types d’indications distinctessont reconnues. Historiquement, la première a été le « traitement complémentaire dansle diabète de type 2 ». Plus récemment a été ajouté le «traitement pharmacologique de l’obésité».
Quatre agonistes des récepteurs du GLP-1 sont actuellement commercialisés en France. Tous ont l’indication « traitement complémentaire dans le diabète de type 2 » (tableau 2). Selon l’AMM, ils sont indiqués en cas de diabète de type 2 insuffisamment contrôlé, en association avec d’autres médicaments destinés au traitement du diabète, et en complément d’un régime alimentaire et d’une activité physique. Deux de ces quatre agonistes ont également l’indication « traitement pharmacologique de l’obésité ». L’AMM précise qu’ils sont indiqués comme traitement d’appoint à un régime hypocalorique associé à une augmentation de l’activité physique, pour la gestion du poids à long terme. Sont concernés les patients adultes ayant soit une obésité (IMC ≥ 30 kg/m²), soit un surpoids(IMC ≥ 25 kg/m²) associé à au moins une maladie liée au poids (comme l’hypertension, le diabète de type 2 ou la dyslipidémie) et après l’échec d’une intervention de gestion du poids. Ces deux agonistes sont commercialisés dans cette deuxième indication sous une autre appellation que dans l’indication « traitement du diabète de type 2 », à la fois parce que la posologie d’administration est plus élevée et parce qu’ils ne sont pas remboursés par la Sécurité sociale (tableau 2).
Un autre analogue, le tirzépatide, a la particularité d’avoir un double mécanisme d’action : il est agoniste à la fois du GIP et du GLP-1. Le tirzépatide fait l’objet d’un fort buzz médiatique, en particulier dans l’indication « amaigrissement ». Il est commercialisé aux États-Unis et en cours de commercialisation en Europe, où il vient de recevoir une autorisation de la European Medical Agency. L’autorisation européenne vaut pour les deux indications « traitement complémentaire dans le diabète de type 2 » et « traitement pharmacologique de l’obésité » (tableau 2). Bien qu’il ne soit pas (encore) commercialisé en France, le tirzépatide y est déjà utilisé, car, comme on le sait, les frontières géographiques ne sont pas étanches.
Interactions pharmacodynamiques avec les stéroïdes utilisés en contraception
Des interactions médicament-médicament directes sont peu probables, car l’effet d’inhibition ou d’induction des enzymes du complexe CYP ou d’inhibition des transporteurs de drogues des incrétines est marginal. Mais le retard de vidange gastrique qu’elles entraînent ralentit la vitesse d’absorption de diverses substances après leur ingestion orale (tableau 1). Conséquences possibles : diminution de la concentration maximale atteinte après l’ingestion (Cmax) et augmentation du délai après lequel cette Cmax est atteinte (tmax). En revanche, la biodisponibilité n’est généralement pas modifiée. Pour évaluer un éventuel effet pharmacodynamique, la drogue test utilisée est un contraceptif oral combiné associant éthinylestradiol et progestatif de synthèse.
En ce qui concerne les quatre analogues du GLP-1, on observe une baisse de la Cmax de l’ordre de 15 % pour les deux constituants, mais les valeurs se situent dans l’intervalle de tolérance, et le maintien de l’efficacité contraceptive est admis. Surtout, on n’observe pas de modification de la biodisponibilité, ni pour l’estrogène ni pour le progestatif. Pour chacun des deux constituants, la biodisponibilité mesurée après administration d’analogue du GLP-1 rapportée à la biodisponibilité contrôle est proche de 1 (figure).
Figure. Biodisponibilité de l’éthinylestradiol, du lévonorgestrel ou du norgestimate.
La biodisponibilité est mesurée par la surface sous la courbe (SSC) de la concentration d’une drogue en fonction du temps. La SSC observée après administration de l’incrétine pour chacun des composés d’un contraceptif oral combiné est rapportée à la mesure contrôle.
Dans le cas du tirzépatide, les résultats sont différents. Le retard de vidange gastrique est beaucoup plus important. Le délai nécessaire pour atteindre le tmax est très allongé (aux alentours de 4 heures). La biodisponibilité est diminuée pour les deux stéroïdes constituants du contraceptif test. La biodisponibilité de l’éthinylestradiol est abaissée de 20 %, et celle du norgestimate est abaissée de 23 % (figure). La Cmax est également abaissée (− 59 % et − 66 %, respectivement). Toutes ces valeurs se situent en dehors de l’intervalle de tolérance. L’efficacité contraceptive n’est donc plus assurée. La spécificité du tirzépatide par rapport aux autres analogues sur la biodisponibilité des stéroïdes contraceptifs ne reçoit pas d’explication. Un impact additionnel sur l’absorption en raison de sa double action agoniste du GIP et du GLP-1 a été suggéré.
Incrétines et efficacité contraceptive
Pour les quatre analogues actuellement commercialisés en France, les données pharmacologiques ne font donc pas craindre d’effet délétère sur l’efficacité de la contraception orale. D’ailleurs, les notices de ces spécialités ne mentionnent pas le risque de grossesse non désirée parmi les effets secondaires possibles. En revanche, pour le tirzépatide, le risque estréel, en particulier en début de prise. En effet, l’impact sur la vidange gastrique est plus important après une première dose et diminue après les doses suivantes. Les notices d’utilisation de Mounjaro® ou de Zepbound® indiquent qu’il faut conseiller aux utilisatrices de contraception hormonale orale d’adopter pendant les 4 semaines qui suivent l’initiation du traitement ou lors de chaque passage à un palier de dose supérieur, soit une voie d’administration parentérale soit une contraception mécanique. La mise en garde est clairement explicitée dans la notice d’utilisation de ces deux spécialités, mais vient bien loin dans la liste des effets délétères possibles. Cette précaution n’a pas lieu d’être en cas d’utilisation de contraception hormonale administrée par voie non orale.
En conclusion
Les données pharmacodynamiques permettent donc d’être rassurants en ce qui concerne l’efficacité de la contraception hormonale orale lors de l’utilisation des analogues d’incrétines actuellement disponibles en France.
Toutefois, chez les femmes débutant un traitement par Mounjaro® ou par Zepbound®, la survenue de grossesse non désirée est possible malgré l’utilisation d’une contraception orale, et les utilisatrices doivent être informées. Les alertes par les réseaux sociaux concernent l’ensemble des incrétines. À défaut d’être exactes, elles ont le mérite de mieux attirer l’attention sur la mise en garde figurant sur la notice du tirzépatide. Cela est important en raison de la croissance rapide de la consommation hors AMM des produits de la gamme.
Un dernier point : nausées et vomissements occasionnels sont des effets secondaires communs de ces drogues, spécialement en début de traitement. Pour rappel, l’expulsion d’un comprimé a le même effet qu’un oubli de comprimé.
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