Publié le 30 juin 2022Lecture 8 min
Patients diabétiques âgés : apport de la Prise de position de la SFD dans la prise en charge
Bernard BAUDUCEAU*, Lyse BORDIER*, Jean DOUCET**, *Service d’endocrinologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé, **Service de médecine interne polyvalente, Hopital Saint-Julien, CHU de Rouen
La publication au mois de décembre 2021 de l’actualisation de la prise de position de la Société francophone du diabète (SFD) sur les stratégies d’utilisation des traitements antihyperglycémiants dans le diabète de type 2 consacre une part importante à la question de la prise en charge des personnes âgées(1). Les points essentiels sur le plan pratique peuvent être soulignés à l’occasion de ce cas clinique.
Le diabète de Yvette, 79 ans, a été découvert il y a douze ans à la suite d’un examen systématique. Elle vit seule depuis le décès de son mari et est aidée deux fois par semaine par une femme de ménage. Son alimentation est irrégulière du fait d’un syndrome dépressif persistant, mais elle n’a pas maigri ces dernières semaines, son IMC est de 28 kg/m2. Cependant, son entourage constate quelques troubles cognitifs débutants qui induisent des erreurs dans ses prises médicamenteuses. Ce diabète est compliqué d’une rétinopathie non proliférante et d’une insuffisance rénale modérée stade 3B (débit de filtration glomérulaire : DFG : 41 ml/min/1,73 m2). Elle a présenté un accident vasculaire cérébral deux ans plus tôt et garde des séquelles motrices de l’hémicorps gauche.
Son traitement comporte de la metformine à la dose de 2 g/jour et sa dernière HbA1c est de 8,5 %. Elle reçoit par ailleurs une statine, un antiagrégant plaquettaire et un traitement pour son HTA comportant un sartan et un antagoniste calcique.
De nombreuses questions se posent quant à la prise en charge de cette patiente, les objectifs glycémiques et le traitement. La lecture de l’actualisation de la prise de position de la SFD permet de répondre à ces interrogations en soulignant la nécessité, dans un premier temps de bien évaluer sa situation sur le plan gériatrique.
│Évaluation gérontologique
La nécessité d’une prise en charge adaptée à l’état des patients est à l’évidence indispensable. En effet, rien n’est plus éloigné d’un sujet qui a bien réussi son vieillissement qu’un vieillard fragile présentant de multiples handicaps. L’utilisation de grilles validées permet la quantification de nombreux facteurs comme l’autonomie, les fonctions cognitives, l’état nutritionnel et les conditions de vie. Toutefois, en dehors des gériatres, l’évaluation gérontologique standardisée est rarement pratiquée de façon complète en diabétologie ou en médecine générale. Cependant, il est capital de distinguer grossièrement trois catégories de patients :
• Les sujets âgés « en bonne santé » présentent une pathologie correctement traitée et bien contrôlée. Ce cas n’est plus exceptionnel, mais nécessite une évaluation régulière, car ces personnes sont susceptibles de glisser au fil des années vers l’une ou l’autre des catégories suivantes.
• Les patients âgés « fragiles », à l’état de santé intermédiaire, sont affectés de plusieurs affections, de troubles nutritionnels ou d’un déficit cognitif. Cet état nécessite une surveillance attentive afin d’éviter une détérioration brutale vers le groupe des patients très malades et dépendants notamment à l’occasion d’un épisode aigu.
• Les personnes âgées « dépendantes et/ou à la santé très altérée » ont une espérance de vie réduite, sont souvent institutionnalisées et présentent de multiples affections qui nécessitent de nombreux traitements. Les altérations des fonctions cognitives sont particulièrement fréquentes et ces malades accusent une dépendance plus ou moins complète dans les actes de la vie courante.
Dans l’observation présentée, la présence de plusieurs pathologies, d’une insuffisance rénale, de troubles cognitifs débutants et d’une situation sociale précaire invite à considérer cette patiente comme fragile. Ce fait conduira à adapter les objectifs glycémiques, le mode de traitement et à proposer des mesures sociales destinées à améliorer ses conditions de vie. Cette démarche est essentielle en raison de l’intrication des complications liées au diabète et à l’âge.
│Éviter les hypoglycémies sévères
Les hypoglycémies sont particulièrement redoutées chez les personnes âgées, car elles majorent le risque de chutes, les complications cardiologiques ou neurologiques, notamment cognitives, et la mortalité. Elles peuvent être méconnues en raison d’une présentation atypique faite par exemple de troubles du comportement ou d’une forme totalement silencieuse notamment la nuit.
Ces accidents fréquents sont la conséquence d’une alimentation irrégulière et de l’insuffisance rénale qui majore l’activité des sulfamides hypoglycémiants. Ce risque hyp glycémique existe sous sulfamide, glinide et insuline ; il est plus important avec ces médicaments, lorsque le taux d’HbA1c est < 7 %, mais il peut aussi survenir lorsque le taux d’HbA1c est plus élevé. Si les hypoglycémies liées à l’insulinothérapie sont les plus fréquentes, celles qui relèvent d’un traitement par sulfamides sont les plus graves en raison de leur longue durée d’action nécessitant un resucrage prolongé. Les hypoglycémies sévères, c’est-à-dire celles qui nécessitent l’intervention d’un tiers, concourent à l’apparition des troubles cognitifs, mais ces accidents sont également plus fréquents chez les malades déments en raison des troubles de la mémoire qui altèrent la qualité de la nutrition et l’observance du traitement. Ainsi, les hypoglycémies sévères doublent le risque de démence tandis que les troubles cognitifs multiplient par 3 ces accidents hypoglycémiques.
La patiente dont le cas est ici rapporté présente un fort risque hypoglycémique en raison de son mode de vie, de son altération cognitive et de l’insuffisance rénale. Ce fait conduit à orienter la thérapeutique vers des médicaments qui n’entraînent pas ce type de complication ou à recourir à une insulinothérapie prudente tout en mettant en place des mesures sociales pour en amoindrir les conséquences.
│Des objectifs glycémiques ciblés avec une borne inférieure
La qualité de l’équilibre glycémique ne doit pas être négligée chez les personnes âgées, car une hyperglycémie chronique majore le risque des complications, notamment microangiopathiques. Enfin, les résultats de l’étude GERODIAB montrent que la mortalité à 5 ans augmente régulièrement en fonction des niveaux moyens de l’HbA1c(2).
En revanche, il est essentiel de limiter le risque d’hypoglycémie, notamment d’hypoglycémie sévère. C’est la raison pour laquelle la prise de position de la SFD distingue les objectifs glycémiques selon la présentation clinique des patients et en fixe des bornes inférieures.
• Les personnes âgées dites « en bonne santé » dont l’espérance de vie est jugée satisfaisante, peuvent bénéficier des mêmes cibles que les sujets plus jeunes, soit une HbA1c ≤ 7 % en portant une attention particulière au risque d’hypoglycémie en cas de traitement par sulfamide, glinide ou insuline.
• Pour les personnes âgées dites « fragiles », à l’état de santé intermédiaire, une cible d’HbA1c ≤ 8 % en restant au-dessus de 7 % en cas de traitement pouvant induire une hypoglycémie.
• Pour les personnes âgées dites « dépendantes et/ou à la santé très altérée », la priorité est d’éviter les complications métaboliques aiguës lors d’une hyperglycémie majeure, les épisodes infectieux et les hypoglycémies : des glycémies capillaires préprandiales comprises entre 1 et 2g/l et/ou une HbA1c < 9 % sont recommandées, en restant au-dessus de 8 % pour l’HbA1c et 1,40 g/l pour les glycémies capillaires préprandiales en cas de traitement par sulfamide, glinide ou insuline.
Ainsi, afin de limiter le risque hypoglycémique, il est préférable d’éviter de prescrire un sulfamide ou une glinide chez les sujets âgés « fragiles » ou « dépendants et/ou à la santé très altérée ».
Chez cette patiente fragile dont l’équilibre glycémique est imparfait avec une HbA1c à 8,5 %, l’objectif glycémique doit être fixé ≤ 8 %, d’autant qu’il existe des complications rétiniennes et rénales susceptibles de s’aggraver progressivement en cas d’hyperglycémie persistante. En revanche, la prescription de sulfamides susceptibles d’entraîner des hypoglycémies doit être absolument évitée, d’autant qu’il existe une insuffisance rénale.
│Prescription raisonnée
Chez les personnes âgées, les régimes restrictifs doivent être évités au profit d’une alimentation équilibrée en raison du risque de dénutrition. Une activité physique adaptée à l’état clinique mérite également d’être conseillée.
La metformine reste le traitement de première ligne avec une vigilance accrue sur sa tolérance. La posologie de la metformine doit être adaptée au degré de l’insuffisance rénale avec une dose maximale de 2 g/j pour un DFG entre 45 et 59 ml/min/1,73 m2 et de 1 g/j pour un DFG entre 30 et 44 ml/min/1,73 m2.
Lorsque l’objectif d’HbA1c n’est pas atteint sous metformine, le choix se portera en priorité vers l’ajout d’un inhibiteur de la dipeptidyl peptidase-4 (iDPP4) en raison de son excellent profil de tolérance.
Lorsque cette bithérapie n’est pas suffisante, l’instauration d’une insuline basale est la solution à privilégier. La prescription de sulfamide ou de glinide peut s’envisager chez certains sujets âgés « en bonne santé », mais le risque hypoglycémique induit par ces produits est plus important dans cette population. Chez les sujets âgés « fragiles » ou « dépendants et/ou à la santé très altérée », il est préférable d’éviter la prescription d’un sulfamide, d’une glinide ou d’une insulinothérapie intensifiée. Après 75 ans, l’utilisation des agonistes des récepteurs du glucagon-like peptide-1 (AR GLP-1) et des inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) doit être réservée à une minorité de patients, idéalement après avis d’un endocrinologue-diabétologue, car le rapport bénéfices/risques de ces molécules reste insuffisamment évalué dans cette population. Cependant, les dernières études montrent une efficacité équivalente par rapport aux sujets plus jeunes en termes de protection cardiaque et rénale, mais les effets secondaires sont souvent plus importants chez le sujet âgé.
Ainsi, la protection cardio-rénale peut constituer un argument en faveur de l’un ou l’autre de ces médicaments chez certains patients âgés notamment en cas d’insuffisance cardiaque. En revanche, la perte de poids, qui accompagne généralement la prise de ces produits, est très rarement un objectif prioritaire à cet âge. Les AR GLP-1 peuvent induire des troubles digestifs susceptibles d’aggraver un état de dénutrition. Les iSGLT2 peuvent entraîner une majoration de la diurèse et une hypovolémie, aggraver une hypotension orthostatique et ainsi favoriser les chutes. Lorsque les autres traitements antihyperglycémiants ne peuvent pas être utilisés ou en cas de déséquilibre chronique ou aigu lié par exemple à une complication cardiovasculaire ou infectieuse, l’insulinothérapie est recommandée, avec recours éventuel à une tierce personne et surveillance accrue des glycémies capillaires. Dans le cas clinique présenté ici, la posologie de la metformine doit être réduite de 1 g par jour en raison de l’insuffisance rénale (DGF : 41 ml/min/1,73 m2). Une bithérapie est indiquée pour parvenir aux objectifs en ajoutant un iDPP4 à une dose adaptée selon la molécule en fonction du degré de l’insuffisance rénale. Si l’objectif n’était pas obtenu avec cette bithérapie, d’autant que la posologie de la metformine nécessite d’être diminuée, l’initiation prudente d’une insulinothérapie par une basale serait indiquée.
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