Profession, Société
Publié le 25 mar 2020Lecture 4 min
COVID-19 - Témoignage strasbourgeois
Un entretien avec le Pr Laurence KESSLER
Nous avons recueilli le témoignage du Pr Laurence Kessler, diabétologue aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, où l’épidémie d’infection COVID-19 a imposé une restructuration des services. Comme chacun le sait, le foyer qui a débuté à Mulhouse suite à un regroupement d’évangélistes, dont une proportion importante de personnes en provenance d’Italie, s’est caractérisé par un afflux de patients d’emblée très sévères, aboutissant à une saturation très rapide des services de réanimation. Depuis le 27 février, l’épidémie de COVID-19 s’est propagée dans toute la région.
Les données épidémiologiques analysées en Chine révèlent que 80 % des cas d’infection à COVID-19 se présentent comme des formes mineures, ne nécessitant pas de réanimation. Dans 20 % des cas, les formes sont plus sévères. La mortalité est de 2,5 % et des facteurs de gravité ont été identifiés : l’âge vient au premier plan (14 % de mortalité chez les > 80 ans), suivi par les maladies cardiovasculaires (10,5 %), le diabète (6,5 %), l’insuffisance respiratoire et l’hypertension artérielle (6 %). La sévérité de l’infection chez les sujets diabétiques pourrait s’expliquer par la conjonction de l’âge, des maladies cardiovasculaires et de l’hypertension, comorbidités fréquentes dans cette population. Toutefois, sur l’ensemble de la population testée positive pour le COVID-19, une surreprésentation de patients diabétiques n’a pas été observée ; en revanche, l’infection est plus sévère chez ces derniers.
Réorganisation des services
L’activité du service d’endocrinologie-diabétologie des Hospices civils a rapidement été réorganisée. Toutes les consultations présentielles ont été transformées en téléconsultation par téléphone. Seuls 4 patients aigus restent hospitalisés. L’hôpital de semaine est fermé et tous les patients chroniques restent confinés à domicile. Seuls trois groupes de patients diabétiques peuvent encore se rendre à l’hôpital :
• Les patients suivis pour une plaie du pied diabétique (une cohorte de 1 500 patients suivis aux Hospices Civils de Strasbourg), les 4 consultations de pied diabétique ayant été réduites à 1 seule ;
• Parmi les femmes suivies pour un diabète gestationnel, la majorité sont prises en charge sur la plateforme myDiabby, lorsqu’elles sont capables de le faire. Les patientes soumises à une surveillance intensive sont vues par les gynécologues qui vérifient les contrôles glycémiques et peuvent en référer au diabétologue pour adapter la prise en charge si nécessaire. Ne sont vues en consultation que les patientes qui ne sont pas en surveillance intensive de grossesse et ne peuvent pas bénéficier de myDiabby ;
• Pour les patients greffés, la surveillance biologique est réalisée en ambulatoire et les patients sont suivis en téléconsultation.
Ainsi une grande partie des consultations de diabétologie est réalisée sous forme de téléconsultations. Le service de diabétologie reçoit majoritairement des patients en provenance des urgences et n’étant pas diagnostiqué COVID-19. Dans le même bâtiment, le service de médecine interne s’est transformé en service COVID et le service de gériatrie accueille des patients diagnostiqués COVID mais ne pouvant par bénéficier de réanimation en raison de leurs comorbidités ou de leur âge très avancé. Certains diabétologues, dont L. Kessler, sont venus en renfort du centre de régulation du SAMU qui s’est rapidement trouvé débordé par les appels. Jusqu’à présent, ils n’ont pas été consultés pour intervenir auprès de patients diabétiques hospitalisés pour infection COVID-19.
Les diabétologues à disposition de la communauté médicale
La saturation des lits de réanimation s’explique par la durée de séjour dans ce secteur : un patient infecté COVID nécessite une durée moyenne d’intubation-ventilation de 20 jours, comparativement à une semaine pour les autres infections sévères. En secteur de réanimation à Strasbourg, à la date du 20 mars, 126 lits étaient disponibles, 85 étaient occupés par des patients COVID intubés-ventilés, 12 patients étaient en attente de diagnostic, 25 patients étaient intubés-ventilés mais non-COVID ; il restait 4 lits disponibles. Le secteur d’hospitalisation conventionnel compte 215 lits mobilisables, dont 180 sont utilisés pour des patients infectés, soit porteurs de formes mineures, soit déjà réanimés et qui ne peuvent retourner au domicile.
De l’autre côté du Rhin, la mortalité liée à l’infection COVID-19 est inférieure à celle qui est observée en France. L’une des explications serait due à la différence entre les modalités d’identification des cas. En France, quand un patient présente une symptomatologie évocatrice, la consigne est de le confiner à domicile, sans effectuer un dépistage systématique. Le dépistage est réservé aux patients avec des formes respiratoires graves et à certaines professions (santé, pompiers, forces de l’Ordre, armée) ; en Allemagne, la consigne est de dépister systématiquement.
Parmi la population touchée par l’infection à COVID-19, on observe de plus en plus de sujets jeunes qui basculent très rapidement dans l’insuffisance respiratoire, sans que l’on dispose de facteurs prédictifs de cet « orage cytokinique ». Contrairement à ce que l’on pouvait supposer, les patients greffés sous traitement immunosuppresseur ne sont pas particulièrement touchés pour le moment, mais ils représentent aussi une faible cohorte de patients par rapport à l’ensemble de la population exposée.
Pour le moment il n’y a pas de prise en charge spécifique diabétologique pour les patients diabétiques infectés. Que faire pour les patients diabétiques, a fortiori de type 1, âgés et porteurs de multiples comorbidités s’ils devaient développer une insuffisance respiratoire aiguë ? Une inquiétude sans doute partagée par l’ensemble de la communauté diabétologique.
À signaler que les services de régulation d’urgence sont en train de procéder à une estimation quantifiée de la dyspnée, qui est l’un des signes avant-coureurs de l’insuffisance respiratoire aiguë, avec la douleur thoracique.
Propos recueillis par M. DEKER
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