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Cardiovasculaire

Publié le 25 oct 2018Lecture 9 min

Regard critique sur l’utilité des angioplasties coronariennes chez le patient diabétique (hors SCA)

Fabrice BONNET CHU de Rennes

L’objectif principal du traitement du diabète est la prévention des complications, notamment cardiovasculaires, et de l’excès de mortalité. Le patient diabétique a un niveau de risque environ deux fois plus élevé qu’un patient non diabétique de même âge et l’hypothèse a été émise que des examens complémentaires, ou certains actes interventionnels, puissent être bénéfiques chez le patient diabétique. Cependant, la question du dépistage de l’atteinte coronarienne chez le patient diabétique reste très controversée. Son bénéfice n’a pas été clairement démontré et un groupe de travail de la Société française de cardiologie et de la SFD est en train d’élaborer des recommandations de bonne pratique.

En attendant les conclusions du groupe de travail, la question sous-jacente de la prise en charge la plus efficiente du patient avec coronaropathie, que celle-ci soit silencieuse ou pas, se pose toujours. En effet, le dépistage de l’ischémie myocardique n’aurait d’intérêt que si un traitement efficace réduisant la morbi-mortalité peut être proposé ensuite au patient. Mais c’est là que le bât blesse car, après plusieurs décennies, aucune réduction de la mortalité ou même du risque d’infarctus du myocarde n’a pu être démontrée après angioplastie coronarienne. Les bénéfices d’une revascularisation systématique par stent des sténoses coronaires observées à la coronarographie ne sont pas clairement démontrés par comparaison à un traitement médical optimisé, alors que cette stratégie est coûteuse et présente certains risques inhérents à la technique. La publication récente de l’étude OPTIMA soulève à nouveau la question de l’utilité de ces coronarographies, proposées un peu trop facilement à nos patients et qui débouchent bien souvent sur l’implantation de stents actifs nécessitant une double antiagrégation plaquettaire pendant 12 mois. Le patient diabétique est à haut risque cardiovasculaire Les maladies cardiovasculaires représentent la première cause de mortalité des patients diabétiques, devant le cancer. Dans l’étude ENTRED, qui a analysé un échantillon de sujets diabétiques de type 2 représentatif de la population des patients français, 32 % des décès étaient dus aux maladies cardiovasculaires(1). En France en 2013, il y a eu deux fois plus d’hospitalisations pour infarctus du myocarde chez les patients diabétiques (traités par médicaments) que dans la population non diabétique d’âge équivalent(2). Le risque absolu des femmes diabétiques demeure, certes, plus faible que celui des hommes diabétiques de même âge, mais leur risque relatif est plus élevé par comparaison aux femmes non diabétiques d’âge équivalent(3). Les données d’un consortium géant regroupant près de 690 000 participants en Europe et aux États Unis (Emerging risk factors collaboration) a montré que le risque de mortalité d’un patient diabétique de type 2 était comparable à celui d’un patient non diabétique après un antécédent d’infarctus d’AVC, par comparaison à une population de patients non diabétiques d’âge équivalent en prévention primaire(4). Angioplastie coronarienne : quels effets sur l’angor d’effort ? La première angioplastie d’une artère coronaire a été réalisée en 1978 en Suisse. Depuis, cette technique a connu une expansion exponentielle dans le monde avec l’ère de la cardiologie interventionnelle. Cependant, malgré de nombreux essais randomisés, une réduction de la mortalité ou même de l’incidence de l’infarctus du myocarde liée à l’angioplastie n’a pas pu être démontrée(5). Plusieurs études à la fin des années 1990 ont montré que l’angioplastie coronarienne était supérieure au traitement médical seul pour soulager les douleurs angineuses et conférait une amélioration de la durée de l’effort six mois après le geste de revascularisation(6). L’essai COURAGE a montré une diminution de la fréquence de l’angor à 30 jours après angioplastie par comparaison au traitement médical optimisé. Dans cette étude, 21 % des patients coronariens ayant eu une angioplastie ne présentaient plus de douleurs angineuses à un mois contre 10 % dans le groupe traitement médical(7). Cependant, il n’y avait plus de différence entre les deux groupes après 3 ans. Les recommandations internationales préconisent donc de ne proposer l’angioplastie que si l’angor reste mal toléré après un essai de traitement médicamenteux. Cependant en vraie vie, le recours à l’angioplastie est trop fréquent, voire systématique en cas d’angor (hors syndrome coronaire aigu - SCA). De plus, des études transversales aux USA ont montré que moins de la moitié des patients qui bénéficiaient d’une angioplastie avaient reçu auparavant un traitement médical optimisé, qui aurait dû leur être proposé avant de recourir à un tel geste invasif(8). Instabilité diffuse de l’athérome coronarien Au début des années 2000, l’essor de l’échographie endovasculaire a permis de montrer que chez la majorité des patients hospitalisés pour un SCA, une rupture de plaque athéromateuse était diagnostiquée dans une autre artère que celle supposée impliquée dans la survenue de l’infarctus et observée sur la coronarographie (lésion anatomique supposée coupable)(9). Les ruptures de plaques sont donc bien souvent dissociées des sténoses anatomiques visibles sur la coronarographie et peuvent être potentiellement fatales alors qu’elles sont extrêmement discrètes. Ces données nouvelles expliquent pourquoi une technique de revascularisation focalisée sur la « dilatation » d’une sténose anatomique ne réduit pas le risque de décès ou d’infarctus myocardique, même si elle peut soulager ou faire disparaître, à court terme, les douleurs d’angor. Il a d’ailleurs été démontré que plus les patients ont des lésions coronariennes nombreuses, plus le risque d’angioplastie ultérieure est élevé(10). Le patient diabétique est connu pour présenter des lésions athéromateuses plus diffuses et le pontage aortocoronarien s’est avéré être plus efficace sur les récidives cardiovasculaires que la revascularisation par angioplastie. De COURAGE à ORBITA Étude COURAGE L’étude COURAGE a randomisé 2 287 patients coronariens stables entre un traitement médical optimisé ou une angioplastie associée au traitement médical avec un suivi sur cinq ans(7). Dans les deux bras de l’essai, les objectifs thérapeutiques étaient stricts avec un LDL-C < 0,85 g/l, une HbA1c < 7 % en cas de diabète et 30 à 45 minutes d’activité physique d’intensité modérée, cinq fois par semaine. Le traitement pharmacologique comportait aspirine, clopidogrel, statine avec ezétimibe si nécessaire, IEC ou sartan, bêtabloquant, amlodipine et dérivés nitrés si besoin. Au cours de l’essai, la concentration du LDL-C est passée de 1 à 0,71 g/l et la pression artérielle systolique de 130 à 122 mmHg, témoignant de l’efficacité de la prise en charge médicale intensive mise en place. Au terme du suivi de 5 ans, aucune différence n’a été observée pour la mortalité totale ou l’incidence de l’infarctus du myocarde(7). De manière intéressante, après 5 ans, la prévalence de l’angor clinique était devenue similaire entre les deux groupes (26 % dans le groupe angioplastie vs 28 % dans le groupe médical seul), alors qu’elle était significativement plus importante dans le bras médical à 6 mois, à 12 mois et à 3 ans. Les résultats étaient identiques dans le sous-groupe des patients diabétiques de l’étude COURAGE, sans aucune différence de pronostic à 5 ans entre les deux bras testés. Ces données sont en accord avec une métaanalyse publiée en 2005 regroupant 11 essais et qui montrait l’absence de bénéfices de la revascularisation par angioplastie comparée au traitement médical seul chez les patients ayant une maladie coronaire stable chronique(11). Étude BARI-2D Cet essai a évalué chez 2 322 patients diabétiques de type 2 l’effet d’une revascularisation par comparaison à un traitement médical intensif. Après cinq ans de suivi, il n’y avait pas de différences en termes de mortalité, d’infarctus du myocarde ou d’AVC(12). Cette étude, réalisée uniquement chez des patients diabétiques, confirme les données de l’étude COURAGE. Des critiques ont cependant été formulées à propos de cette étude, notamment sur le fait que des patients à très haut risque et qui auraient pu tirer un bénéfice plus important de la revascularisation ont été exclus de l’essai et que ces résultats ne sont pas extrapolables à l’ensemble de la population des DT2. Étude ORBITA Les investigateurs ont inclus 200 patients avec angor et ischémie coronarienne et qui présentaient une sténose coronaire sévère monotronculaire à la coronarographie. Les participants ont tous bénéficié d’une optimisation du traitement médical pendant six semaines avec initiation et titration d’un traitement anti-angineux. À l’issue de cette période, 98 % des patients présentaient un angor persistant de classe II ou III et furent randomisés entre une angioplastie avec pose d’un stent actif ou une angioplastie blanche, sans pose de stent, ni dilatation de la sténose(13). Après la procédure, les patients comme leurs médecins ne connaissaient pas le bras de randomisation et la technique réalisée. À la fin de l’étude, les sujets recevaient en moyenne 2,9 médicaments dans les deux bras de l’étude. À l’issue du suivi de six semaines, il n’y avait aucune différence pour le critère principal qui était la durée d’exercice sur un tapis roulant, ni pour les critères secondaires (sévérité de l’angor, limitation physique, fréquence de l’angor)(13). Certes, l’angioplastie avait amélioré l’hémodynamique et l’aspect anatomique de l’artère coronaire, mais pas l’impact clinique à court terme. La seule différence significative observée après angioplastie comparativement au groupe témoin était des modifications à l’échocardiographie de stress sous dobutamine. Les implications de l’étude ORBITA • Tout d’abord, cet essai confirme l’absence de bénéfices de l’angioplastie coronarienne en comparaison au traitement médical optimisé dans l’angor stable, y compris chez ceux avec un angor persistant sous traitement. • Par ailleurs, une diminution des douleurs angineuses et une amélioration de la capacité physique ont été observées à court terme dans les deux bras de l’essai et notamment dans le groupe d’intervention simulée, qui pourtant n’a bénéficié d’aucune angi plastie effective, ce qui est en faveur d’un effet placebo non négligeable, voire insoupçonné. Certes, cet effet placebo a été moins important en amplitude que celui conféré par l’angioplastie, mais l’amélioration des critères était non significativement différente de celle notée dans le bras avec pose de stent... mais pour un coût bien moindre. • L’étude ORBITA plaide donc pour la prise en compte systématique de l’effet placebo par la réalisation d’études en double aveugle, y compris pour un geste invasif... lorsque cela est éthiquement réalisable. Quel traitement optimisé ? Cette question est cruciale et doit tenir compte des données des essais publiés. En premier lieu, les mesures hygiéno-diététiques restent importantes. Plusieurs études ont montré les bénéfices de la mise en place d’une activité physique, d’une diète méditerranéenne ou d’un programme de gestion du stress sur l’amélioration de l’intensité ou de la fréquence de l’angor(14). Dans l’étude BARI-2D, qui a concerné des patients DT2, le contrôle efficace des facteurs de risque cardiovasculaire était associé à une amélioration nette du pronostic à cinq ans(15). De même, dans l’étude DIAD, des tests fonctionnels ont mis en évidence une résolution significative de l’ischémie myocardique silencieuse résiduelle après 3 ans de traitement médical optimisé(16), ce qui suggère que l’ischémie myocardique peut être réversible sous traitement non invasif. Les cibles thérapeutiques qui ont été retenues pour l’essai COURAGE sont présentées dans le tableau. Ces cibles ambitieuses nécessitent souvent une optimisation des traitements médicamenteux, notamment hypolipémiant. La question de l’observance thérapeutique ne doit pas être négligée. Celle-ci était forte dans l’essai COURAGE et, dans la vraie vie, l’adhésion est bien moins forte, ce qui peut expliquer des résultats plus décevants... Il a d’ailleurs été montré que l’observance est associée à la survie chez les patients coronariens, ce qui souligne tout l’enjeu pour le clinicien de susciter et de maintenir une bonne observance au long cours, gage d’un meilleur pronostic(17). D’après les objectifs de l’étude COURAGE(7). Conclusion Malgré les progrès dans la prise en charge du syndrome coronarien, les patients diabétiques demeurent à haut niveau de risque en 2018, y compris en France. Il n’existe pas de bénéfices démontrés de l’angioplastie chez le patient diabétique asymptomatique ou avec angor stable, par comparaison au traitement médical intensif. L’enjeu pour le clinicien en 2018 est donc avant tout d’optimiser le traitement médical (statine à dose efficace, traitement antihypertenseur performant, traitement antidiabétique, antiagrégant plaquettaire), avant d’envoyer trop rapidement le patient pour une coronarographie qui, trop souvent, conduit à un geste de revascularisation avec une pose de stent à la clé, source de dépense supplémentaire, qui expose à des effets indésirables potentiels, pour un bénéfice qui n’est pas établi (figure).

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