Endocrinologie
Publié le 30 avr 2017Lecture 9 min
Le point sur le diabète induit par les somatostatinergiques
Bruno VERGÈS, Service endocrinologie, diabétologie et maladies métaboliques, Hôpital du Bocage, CHU de Dijon ; Inserm CRI 866, Dijon
Les agents somatostatinergiques ont une place importante en endocrinologie, en particulier dans le traitement de l’acromégalie, de la maladie de Cushing et des tumeurs neuro-endocrines. Les somatostatinergiques de première génération, octréotide et lanréotide, sont utilisés depuis de nombreuses années ; plus récemment, un somatostatinergique de nouvelle génération, le pasiréotide, qui a fait preuve d’une efficacité supérieure, a été mis sur le marché. Cependant, les somato statinergiques, et plus spécialement le pasiréotide, sont à l’origine de troubles du métabolisme glucidique et de diabètes.
Effets des somatostatinergiques de 1re génération sur le métabolisme glucidique
Les anomalies du métabolis me glucidiques induites par les somatostatinergiques de 1re génération, l’octréotide et le lanréotide, sont, en règle, mineures et les cas de diabètes induits sont rares. Chez les patients acromégales traités par lanréotide, il est noté une augmentation modérée de la glycémie à jeun associée à une réduction de l’insulinosécrétion. Chez les patients diabétiques de type 2 connus, il n’est pas noté de modification significative de la glycémie, ni de la production hépatique de glucose sous octréotide. Il apparaît que, chez les patients diabétiques de type 2, la diminution modérée de l’insulinosécrétion induite par l’octréotide est compensée par une réduction parallèle du glucagon et de la GH. Ainsi, chez les patients diabétiques de type 2, traités par insuline, aucune diminution des doses d’insuline n’est nécessaire, sauf en cas d’insuffisance rénale. En revanche, chez les patients diabétiques de type 1, il est observé une diminution de la glycémie et de la production hépatique de glucose sous octréotide, ce qui nécessite de réduire les doses d’insuline.
Effets du pasiréotide sur le métabolisme glucidique
Le pasiréotide, utilisé dans le traitement de la maladie de Cushing, de l’acromégalie et des tumeurs neuro-endocrines, est à l’origine de très fréquentes hyperglycémies et de diabètes.
Pasiréotide et maladie de Cushing
Il faut déjà signaler que la prévalence du diabète est élevée dans la maladie de Cushing, estimée à 33 % dans le registre européen des syndromes de Cushing. Cependant, si le traitement de la maladie de Cushing s’accompagne en règle d’une abolition des anomalies glucidiques secondaires à l’hypercorticisme, le traitement par pasiréotide dans la maladie de Cushing est à l’origine de diabètes malgré une amélioration significative de l’hypercorticisme.
Dans une étude de phase 2 avec un suivi de 2 ans, il a été observé, chez les patients atteints de maladie de Cushing traités par pasiréotide, un taux de survenue d’hyperglycémie de 57,9 %(1). Tous les patients de cette étude ont présenté une augmentation de la glycémie à jeun et, parmi les 16 patients ayant initialement une glycémie à jeun < 1,00 g/l, sous pasiréotide la glycémie à jeun a été mesurée entre 1,00 et 1,26 g/l chez 6 patients, entre 1,26 g/l et 2,00 g/l chez 4 patients et ≥ 2,00 g/l chez 6 patients.
Dans une étude de phase 3, une hyperglycémie a été observée sous pasiréotide chez 118 des 162 patients (73 %)(2). Il était noté, dans cette étude, une hyperglycémie de grade 3 (sévère) ou de grade 4 (très sévère) chez 20 % des patients. Il a été nécessaire de mettre en place un traitement antidiabétique chez 74 des 162 patients (46 %) de l’étude. Le traitement par pasiréotide a dû être interrompu, en raison du diabète, chez 6 % des patients. Parmi les 107 patients de l’étude qui n’avaient pas de diabète avant l’initiation du traitement, 51 (48 %) avaient, à la fin de l’étude, une HbA1c > 6,5 %, signant un diagnostic de diabète. Le risque d’événements secondaires hyperglycémiques était significativement plus élevé chez les patients présentant une hyperglycémie ou un diabète avant l’instauration du traitement par pasiréotide. Aucun cas d’acidocétose, ni de coma hyperosmolaire n’a été rapporté dans cette étude. L’augmentation des glycémies sous pasiréotide est apparue rapidement après initiation du traitement avec une stabilisation à partir du 3e mois.
Il est intéressant de noter que l’hyperglycémie observée sous pasiréotide lors de l’initiation du traitement pour maladie de Cushing peut, dans certains cas, être résolutive avec possibilité d’arrêt du traitement diabétique instauré au cours du suivi, en raison de la normalisation parallèle de la cortisolémie.
Pasiréotide et acromégalie
En dehors de tout traitement somatostatinergique, la prévalence du diabète est augmentée dans l’acromégalie. Ainsi, dans le registre français d’acromégalie, la prévalence du diabète est de 22,3 %, sur une base de 519 patients. Cependant, si le traitement de l’acromégalie s’accompagne en règle d’une abolition des anomalies glucidiques secondaires à l’excès d’hormone de croissance, le traitement par pasiréotide dans l’acromégalie est à l’origine de diabètes malgré un contrôle satisfaisant de la maladie.
Ainsi, dans une étude réalisée chez des patients acromégales n’ayant jamais reçu de traitement médical de l’acromégalie, il est observé, sur un suivi d’un an, 28,7 % d’hyperglycémies et 19,1 % de diabète sous pasiréotide contre 8,3 % d’hyperglycémies et 3,9 % de diabète sous octréotide(3). Dans cette étude prospective, une augmentation franche de l’HbA1c a été observée sous pasiréotide versus octréotide, chez les patients diabétiques connus (+0,87 % vs 0,03 %), chez les patients prédiabétiques (+0,64 % vs 0,11 %) et chez les patients normoglycémiques au début de l’étude (+0,75 % vs 0,37 %). L’hyperglycémie était la première cause d’arrêt du traitement par pasiréotide, dans cette étude.
Au cours de l’étude PAOLA, comparant 2 doses de pasiréotide (40 mg et 60 mg) à l’octréotide ou au lanréotide, chez des patients dont l’acromégalie n’était pas contrôlée, l’hyperglycémie a été retrouvée chez 67 % des sujets sous pasiréotide 40 mg et chez 61 % des sujets sous pasiréotide 60 mg contre 30 % des patients sous octréotide ou lanréotide. Dans cette même étude, parmi les sujets ayant une glycémie normale initialement, une hyperglycémie a été observée chez 46 % des patients sous pasiréotide 60 mg et chez 38 % des patients sous pasiréotide 40 mg contre 0 % chez les patients traités par octréotide ou lanréotide. La survenue des hyperglycémies sous pasiréotide est précoce, observée principalement au cours du 1er mois de traitement.
Dans une étude ayant comparé le pasiréotide à l’octréotide sur une durée de 25 mois, il apparaît nettement que l’HbA1c augmente significativement à 3 mois puis demeure stable ultérieurement, confirmant l’effet précoce du pasiréotide sur le métabolisme glucidique. Dans cette étude, parmi les patients ayant une HbA1c normale avant mise en route du traitement par pasiréotide, 52,7 % sont devenus prédiabétiques et 23 % diabétiques. Par ailleurs, 65 % des patients prédiabétiques sont devenus diabétiques sous pasiréotide.
Une métaanalyse récente objective que le taux des hyperglycémies est moins élevé en cas de traitement par pasiréotide retard administré mensuellement (57,3 %-67 %) qu’en cas de traitement par pasiréotide d’action immédiate administré 2 fois par jour (68,4 %-73 %). Chez les patients acromégales, traités par pasiréotide, le nombre d’arrêts du traitement en raison d’une hyperglycémie était plus faible avec la forme retard qu’avec la forme immédiate.
Pasiréotide et tumeurs neuro-endocrines
Il est aussi observé des hyperglycémies lorsque le pasiréotide est utilisé dans le traitement des tumeurs neuro-endocrines. Dans une étude ouverte de phase 2, chez des patients atteints de tumeurs neuro-endocrines pancréatiques et extrapancréatiques, il est observé sous lanréotide 60 mg, une hyperglycémie chez 79 % des patients, incluant 14 % de grade 3 (sévère). Une étude de phase 3, comparant le pasiréotide à l’octréotide chez des patients atteints de tumeurs neuro-endocrines avec syndrome carcinoïde, rapporte 28,3 % d’hyperglycémies sous pasiréotide contre 5,3 % sous octréotide.
Physiopathologie des anomalies du métabolisme glucidique induites par le pasiréotide
Chez les sujets sains, un traitement de 7 jours par pasiréotide entraîne une augmentation significative de la glycémie après charge en glucose associée à une réduction franche de l’insulinosécrétion ainsi qu’à une diminution modérée de la glucagonémie. Parallèlement, il est observé une abolition complète de la sécrétion de GLP-1 et de GIP. En revanche, 7 jours de traitement par pasiréotide ne modifient pas la sensibilité à l’insuline évaluée par clamp euglycémique hyperinsulinémique.
La réduction de l’insulinosécrétion sous pasiréotide apparaît secondaire à une diminution franche de sécrétion des incrétines (GLP-1, GIP) et possiblement à un effet direct sur les îlots de Langerhans.
En effet, l’expression des récepteurs à la somatostatine de type SST5 est supérieure dans la cellule bêta (87 %), comparativement à la cellule alpha (35 %), alors que l’expression des récepteurs de type SST2 est supérieure dans la cellule alpha (89 %), comparativement à la cellule bêta (44 %). En raison d’une activation plus forte par le pasiréotide des récepteurs SST5 que des récepteurs SST2, il est observé une réduction plus prononcée de l’insuline que du glucagon.
L’hyperglycémie observée sous pasiréotide est réversible à l’arrêt du traitement et, chez des sujets sains, l’hyperglycémie induite par l’administration d’une dose de pasiréotide sous-cutanée (600 ou 1 200 mg) avait totalement régressé 23 heures après l’injection.
Prise en charge thérapeutique
Dans une étude réalisée chez 90 sujets sains traités pendant 7 jours par pasiréotide, l’aire sous la courbe après charge glycémique était augmentée de 69 % sous pasiréotide seul. Cette augmentation était réduite de 72 %, 45 %, 29 % et 13 % sous traitement conjoint par liraglutide, vildagliptine, natéglinide et metformine respectivement. Parallèlement, il était noté, dans cette étude, que la réduction de la sécrétion d’insuline observée sous pasiréotide était significativement moindre en cas de traitement conjoint par agoniste de GLP-1 ou inhibiteur du DPP4(4). Cette étude souligne l’intérêt d’un traitement par incrétines (inhibiteurs de DPP4, agonistes du GLP-1) des hyperglycémies induites par le pasiréotide.
Des consensus d’experts ont fait des propositions de surveillance et de prise en charge des anomalies du métabolisme glucidique induites par le pasiréotide. Il est ainsi conseillé de doser la glycémie à jeun et l’HbA1c chez tout patient avant l’initiation d’un traitement par le pasiréotide.
Toute glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l (7 mmol/l) ou toute HbA1c ≥ 6,5 % fera considérer le patient comme diabétique et il lui sera conseillé de réaliser une autosurveillance quotidienne des glycémies capillaires à jeun et postprandiales dès le début du traitement par pasiréotide.
En cas de glycémie à jeun < 1,26 g/l (7 mmol/l) et d’HbA1c < 6,5 %, il est recommandé de mettre en place une autosurveillance des glycémies capillaires à une fréquence de 1 à 2 fois par semaine à jeun et en postprandial, au cours de la première semaine de traitement puis une fois par semaine à jeun et en postprandial au cours des 3 premiers mois de traitement. Toute anomalie glycémique nécessitera de renforcer l’autosurveillance glycémique et de mettre éventuellement en place un traitement antidiabétique.
Il sera par ailleurs nécessaire de réaliser, chez tous les patients, un dosage de la glycémie à jeun une fois par mois au cours des 3 premiers mois de traitement ainsi qu’un dosage d’HbA1c tous les 3 mois. Chez les sujets non diabétiques, la mise en évidence d’une glycémie à jeun ≥ 1,26 g/l (7 mmol/l) ou toute HbA1c ≥ 6,5 % impose la mise en route de mesures hygiéno-diététiques.
Si HbA1c est > 7 %, il sera nécessaire de mettre en place un traitement antidiabétique avec une préférence pour un inhibiteur de DPP4 qui apparaît plus efficace que la metformine en cas de diabète induit par le pasiréotide. Lors du suivi ultérieur, si l’HbA1c demeure supérieure à 7 %, il sera nécessaire de renforcer le traitement, dans un premier temps, par une association inhibiteur de DPP4 + metformine, puis dans un second temps par une association metformine + agoniste du GLP-1 voire, en cas de réponse insuffisante, par une association metformine + insuline.
Chez les patients diabétiques connus, une HbA1c > 7 % (ou une glycémie à jeun > 1,50 g/l) nécessitera de renforcer le traitement antidiabétique en privilégiant un traitement par inhibiteur de DPP4 ou par agoniste du GLP-1.
Il sera aussi utile de renforcer l’autosurveillance glycémique en cas d’augmentation de la dose de pasiréotide.
L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts en rapport avec cet article.
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