Études
Publié le 15 fév 2017Lecture 9 min
Les agonistes du récepteur du GLP-1 en 2017 - Après 3 grandes études de sécurité cardiovasculaire
Bernard CHARBONNEL, Université de Nantes
Les agonistes du récepteur du GLP-1 sont un traitement devenu classique du diabète de type 2 et chacun en connaît les avantages : bonne efficacité hypoglycémiante et perte de poids, avec les inconvénients des effets secondaires digestifs, etc. Chacun connaît aussi le distinguo pharmacocinétique entre les agonistes dits courts, qui n’agissent que quelques heures après l’injection, avec un effet prandial prédominant (exénatide et lixisénatide, ce dernier non disponible en France) et les agonistes longs, qui couvrent les 24 heures, qu’ils soient administrés une fois par jour comme le liraglutide ou une fois par semaine comme l’exénatide long-acting ou le dulaglutide. À vrai dire, seuls ces agonistes longs sont désormais utilisés en pratique clinique car plus puissants et mieux tolérés que les agonistes courts.
Les données nouvelles concernant cette classe thérapeutique sont les résultats des études dites de sécurité cardiovasculaire publiés récemment, ELIXA pour le lixisénatide, publiée en 2015, LEADER pour le liraglutide, publiée en juin 2016, SUSTAIN-6 pour le semaglutide (non encore commercialisé), publiée en septembre 2016.
Principes et limites des études de sécurité cardiovasculaire
Rappelons le principe, et les limites, de ces études de sécurité cardiovasculaire réclamées par la FDA depuis la controverse de la rosiglitazone : le dessin de ces études compare en l’occurrence un agoniste du récepteur du GLP-1 à un placebo, mais en add-on de tous les autres traitements, y compris l’insuline, qui doivent être intensifiés au mieux des recommandations. Il y a donc logiquement, dans toutes ces études, une intensification plus importante des traitements antidiabétiques dans le bras placebo de manière à compenser l’effet hypoglycémiant de la molécule évaluée. D’où généralement une faible différence d’HbA1c entre les deux bras.
Il faut bien comprendre que ces études de sécurité cardiovasculaire demandées par les agences ne répondent pas à la question clinique : est-ce que faire baisser la glycémie avec en l’occurrence un agoniste du récepteur du GLP-1 prévient les événements cardiovasculaires ?
Il faut comprendre que, si neutralité cardiovasculaire il y a, ce qui était le cas dans les études des DPP4-inhibiteurs, ou ce qui est le cas avec le lixisénatide dans l’étude ELIXA, cela veut dire sécurité cardiovasculaire (placebo-like), sans préjuger d’un éventuel effet positif du médicament lié à la diminution glycémique (qui n’est pas évaluée du fait du dessin de l’étude).
Il faut également comprendre que, si bénéfice cardiovasculaire il y a, ce qui est le cas du liraglutide et du semaglutide, ce bénéfice n’est pas lié (ou à la marge) à l’action hypoglycémiante du produit, mais à d’autres propriétés « au-delà de la glycémie », ce qui est un peu paradoxal, puisque la raison principale de prescription des antidiabétiques en pratique clinique est de diminuer l’HbA1c. Ces remarques méthodologiques étant faites, voici le résumé des résultats.
Résultats des études
L’étude ELIXA avec le lixisénatide(1)
Dans une population particulière, puisque après un syndrome coronarien aigu, il n’y a eu aucune différence dans la survenue des événements cardiovasculaires majeurs, y compris le risque d’insuffisance cardiaque, sous lixisénatide comparé au placebo. La sécurité cardiovasculaire du lixisénatide est donc démontrée, mais sans bénéfice spécifique supplémentaire.
L’étude LEADER avec le liraglutide(2)
Cette étude a été analysée en détails dans un numéro précédent (Diabétologie Pratique n°57, octobre 2016). Il y a eu une réduction significative de 13 % sous liraglutide du composite cardiovasculaire habituel, le MACE (mortalité cardiovasculaire, infarctus du myocarde et AVC non mortels), alors même que les patients étaient traités au mieux, notamment vis-à-vis de la pression artérielle et des lipides. Les patients étaient à haut risque cardiovasculaire, 80 % en prévention cardiovasculaire secondaire, 20 % en prévention cardiovasculaire primaire mais avec des facteurs de risque.
L’étude SUSTAIN-6 avec le semaglutide(3)
Cette étude est venue conforter les résultats de LEADER et sera au centre de cet article. Il y a eu une réduction significative et impressionnante de 26 % sous semaglutide du composite cardiovasculaire habituel, le MACE, alors même que les patients étaient traités au mieux, notamment vis-à-vis de la pression artérielle et des lipides. Les patients étaient à peu près les mêmes que ceux de LEADER pour le haut risque cardiovasculaire, 83 % en prévention cardiovasculaire secondaire et/ou insuffisance rénale, 17 % en prévention cardiovasculaire primaire mais avec des facteurs de risque.
Quelques commentaires sur l’étude SUSTAIN-6, comparée à l’étude LEADER
• Le semaglutide est un agoniste du récepteur du GLP-1 actuellement en développement (Novo Nordisk) et non commercialisé. Il s’agit, comme le liraglutide, d’un agoniste du récepteur du GLP-1 dérivé du GLP-1 humain et non reptilien, lié à l’albumine pour en prolonger l’action et le protéger de la dégradation par la DPP4. La différence principale d’avec le liraglutide est une demi-vie beaucoup plus longue, ce qui permet une administration une fois par semaine et non pas une fois par jour. À noter qu’un semaglutide oral est en développement.
• L’étude SUSTAIN-6 est de moindre ambition que LEADER, beaucoup plus courte, sur moins de sujets, avec logiquement moins d’événements survenus en cours d’étude, car il s’agit d’une étude avant enregistrement, pour permettre ce dernier dans le cadre des procédures de la FDA. La véritable grande étude d’événements cardiovasculaires avec le semaglutide vient de commencer.
• Les caractéristiques des 3 297 patients inclus dans SUSTAIN-6 sont très proches de ceux (n = 9 340) inclus dans LEADER, notamment sur l’âge à l’inclusion (environ 65 ans), la durée de diabète (entre 13 et 15 ans), l’HbA1c à l’inclusion, 8,7 %, beaucoup plus élevée que dans les études sur les DPP4-inhibiteurs. À noter tout de même qu’il y avait plus de patients sous insuline à l’inclusion dans SUSTAIN-6, 58 % contre 45 % dans LEADER.
• Une différence importante entre les deux études, outre le nombre des sujets inclus, est la durée de l’étude, simplement 2 ans pour SUSTAIN-6 contre près de 4 ans pour LEADER, puisqu’il s’agissait au départ de démontrer simplement une bonne sécurité (non-infériorité) pour l’enregistrement du produit. Moins de patients, durée plus brève, ceci explique qu’il y a moins d’événements, donc une moindre puissance. Il faut donc être prudent pour l’interprétation des chiffres statistiques car quelques événements de plus ou de moins dans un sens peuvent changer les significativités.
• Une certaine différence existe entre les deux études sur le contrôle glycémique en cours d’étude (figure 1). Dans les deux cas, il y a une baisse glycémique initiale importante, à peu près de même ampleur sous liraglutide dans LEADER et sous semaglutide (de 8,7 % d’HbA1c à environ 7 %) dans SUSTAIN-6. Mais il y a ensuite intensification du traitement dans le bras placebo, du fait du dessin même de ces études, et un certain degré d’échappement dans le bras actif, de telle sorte que la différence d’HbA1c s’atténue nettement à 0,4 % dans LEADER, y compris lorsqu’on regarde cette différence à 2 ans pour pouvoir comparer les deux études. Elle s’atténue aussi dans SUSTAIN-6, mais reste tout de même relativement importante, vers 0,8 %. Il y a pourtant eu, comme dans LEADER, une nette intensification thérapeutique dans le bras placebo, deux fois plus d’introduction de différentes médications hypoglycémiantes, deux fois plus d’introduction d’insuline ou d’intensification des schémas d’insuline, comparé au bras semaglutide.
Figure 1. Contrôle glycémique en cours d’étude dans LEADER (liraglutide) et SUSTAIN-6 (semaglutide).
• La perte de poids sous semaglutide est importante, entre 3 et plus de 4 kg par rapport au placebo (suivant la dose employée), ce qui est supérieur à ce qui était observé dans LEADER sous liraglutide. La baisse tensionnelle est du même ordre que celle observée sous liraglutide dans LEADER, environ 2 mmHg de différence par rapport au placebo pour la pression artérielle systolique.
• Le résultat global sur le critère primaire des 2 études, à savoir la survenue des événements cardiovasculaires majeurs, le composite MACE (mort cardiovasculaire, infarctus du myocarde et AVC non mortels) montre une réduction qui semble supérieure à celle observée sous liraglutide dans LEADER, soit un bénéfice de -26 % (vs -13 %), ce qui est évidemment spectaculaire. Il faut cependant être prudent vu les différences de puissance statistique entre les deux études et l’essentiel est sans doute de dire que les deux études montrent un bénéfice cardiovasculaire de l’agoniste du récepteur du GLP-1. Le profil des courbes est superposable dans les deux études, avec une séparation qui n’est pas immédiate mais après environ un an, pour s’accentuer ensuite avec le temps.
• Ce qui est par contre mal expliqué, étant donné la similitude de résultat pour le critère primaire, ce sont les différences sur les composants de ce critère primaire (figure 2). Dans LEADER, les trois composants du composite primaire sont du bon côté de la ligne du 1, avec une réduction significative pour la mortalité cardiovasculaire (RR : 0,78) et non significative pour l’infarctus du myocarde (RR : 0,88) et l’AVC (RR : 0,89). Dans SUSTAIN-6, il n’y a rien pour la mortalité cardiovasculaire (RR : 0,98) ni la mortalité toutes causes (RR : 1,05), mais une réduction du risque d’infarctus du myocarde non mortel (RR : 0,74, mais non significative) et une réduction spectaculaire du risque d’AVC non mortel (RR : 0,61, significative), ces deux derniers composants venant rendre compte de la réduction du MACE, alors que c’était plutôt la mortalité dans LEADER. L’explication proposée est que l’étude a été trop courte pour que le bénéfice sur les complications athéromateuses ait eu le temps de se traduire par une réduction de la mortalité ; cela reste à démontrer.
Figure 2. Le critère primaire et les trois composants du critère primaire dans LEADER (liraglutide) et SUSTAIN-6 (semaglutide).
• Il y avait une tendance à une réduction non significative du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque dans LEADER, il n’y a rien, ni dans un sens ni dans un autre, concernant ce risque dans SUSTAIN-6 (RR : 1,11 ; 59 cas sous semaglutide vs 54 cas sous placebo).
Les agonistes du récepteur du GLP-1 en 2017 après ces grandes études
• Dans la même classe thérapeutique, celle des agonistes du récepteur du GLP-1, l’étude ELIXA avec le lixisénatide n’a pas montré de bénéfice cardiovasculaire mais simplement une neutralité. Ceci confirme qu’il faut toujours être prudent avant de parler d’effet-classe. Parmi les agonistes du récepteur du GLP-1 disponibles en France, seul le liraglutide a pour l’instant démontré un bénéfice cardiovasculaire. Ceci dit, les patients de l’étude ELIXA, en post-syndrome coronarien aigu, ne sont pas les mêmes que ceux des études LEADER et SUSTAIN-6. Par ailleurs, même appartenant à la même classe, il s’agit de molécules assez différentes, le liraglutide ayant une durée d’action de 24 heures et le semaglutide d’une semaine alors que le lixisénatide n’a une durée d’action que de quelques heures. Il faut sans doute, pour montrer un bénéfice cardiovasculaire, que l’exposition au médicament soit plus ou moins continue. Les résultats positifs des études LEADER et SUSTAIN-6 sont en tout cas un argument supplémentaire en faveur des agonistes longs par rapport aux agonistes courts.
• Ces grandes études d’événements ne permettent pas de proposer un mécanisme pour le bénéfice cardiovasculaire observé. La réduction glycémique peut rendre compte au mieux d’une faible partie de ce bénéfice. Certes, elle est plus importante dans SUSTAIN-6 mais l’étude n’a duré que deux ans et il n’y a finalement pas de différence considérable dans l’exposition globale des patients à la charge glycémique entre les deux bras, en tout cas elle est insuffisante pour rendre compte d’un bénéfice de 26 %. Il est donc généralement proposé que c’est l’addition d’une amélioration des différents facteurs de risque classiques, non seulement la glycémie, mais aussi le poids, la pression artérielle, peut-être les lipides postprandiaux, qui vient rendre compte du bénéfice cardiovasculaire, une hypothèse complémentaire étant une action positive directe du GLP-1 sur le système cardiovasculaire, dont témoignent un certain nombre de données expérimentales.
• En termes de stratégie de traitement, le résultat positif de LEADER pour l’agoniste du récepteur du GLP-1 disponible (résultat renforcé par SUSTAIN-6 mais le semaglutide est encore en développement) est un argument important pour l’utilisation du liraglutide, à tout le moins chez les patients en prévention cardiovasculaire secondaire. Si on peut sans doute comprendre l’obstacle que constituent les injections pour beaucoup de patients en prévention cardiovasculaire primaire par rapport à la facilité d’emploi d’un DPP4-inhibiteur (un comprimé, pas d’effets secondaires, bonne sécurité cardiovasculaire, etc.), cet obstacle ne devrait plus en être un lorsqu’il y a une maladie cardiovasculaire constituée, vu le bénéfice démontré dans cette situation et ceci un peu à tous les stades de la maladie (environ la moitié des patients était sous comprimés et la moitié sous insuline dans les deux études).
Conclusion
En tout cas, le message pour la communauté cardio-diabétologique est clair : contrairement à un certain scepticisme ambiant au sujet des médications antidiabétiques, il se confirme que, au moins certaines d’entre elles préviennent le risque cardiovasculaire.
Il convient en 2017 de traiter le diabète en utilisant les molécules qui ont fait la preuve au minimum de leur sécurité cardiovasculaire et, au mieux, de leur bénéfice. C’est le cas du liraglutide, en attendant le semaglutide.
Conflits d’intérêts
Bernard Charbonnel a reçu des honoraires de consultant, conférencier, ou des défraiements de : AstraZeneca, Boehringer-Ingelheim, Janssen, Lilly, Merck-Sharpe & Dohme, Novartis, Novo Nordisk, Sanofi, Takeda.
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