Publié le 22 fév 2017Lecture 12 min
Contrôle glycémique chez le diabétique dialysé sous insuline
Louis MONNIER, Claude COLETTE, Institut universitaire de recherche clinique, Montpellier
L’insuffisance rénale chronique est l’une des complications classiques du diabète sucré. Les atteintes rénales sont le plus souvent la conséquence d’un diabète mal équilibré. L’insuffisance rénale perturbe l’équilibre du diabète. Les traitements par insuline et par dialyse, quand ils sont nécessaires chez ces patients, introduisent des éléments supplémentaires d’instabilité.
Dans le diabète de type 1, la néphropathie du diabétique évolue sur plusieurs périodes(1). Elle est la conséquence d’une microangiopathie glomérulosclérose) qui touche des capillaires glomérulaires et qui conduit à une disparition progressive des glomérules rénaux. Quand les lésions deviennent trop importantes apparaît une insuffisance rénale chronique hypertensive, protéinurique et urémique qui finit par évoluer vers une insuffisance rénale chronique terminale qui ne peut être traitée que par greffe rénale ou par hémodialyse. Dans le diabète de type 2, les lésions sont plus complexes et moins spécifiques avec un mélange de glomérulosclérose diabétique et de néphroangiosclérose. Quand on sait que près de la moitié des sujets dialysés sont des diabétiques de type 2 et que le pourcentage de survie à 5 ans est de l’ordre de 35 %(2), il apparaît que la prise en charge de ces sujets est un problème crucial de santé publique. C’est surtout la mortalité cardiovasculaire qui est très augmentée chez ces sujets, car le patient diabétique de type 2 en insuffisance rénale chronique terminale est déjà porteur depuis de nombreuses années de lésions vasculaires diffuses.
L’insuffisance rénale chronique chez un patient diabétique de type 2 dialysé est souvent associée à d’autres désordres cliniques (hypertension artérielle) ou biologiques (dyslipidémie avec hypertriglycéridémie, diminution du HDL-cholestérol, augmentation du LDL-cholestérol). Par ailleurs, ces états sont souvent accompagnés d’un état de dénutrition, d’une anémie et d’un syndrome inflammatoire chronique. Les traitements par insuline et par dialyse, quand ils sont nécessaires chez ces patients, introduisent des éléments supplémentaires d’instabilité. En premier lieu, la pharmacodynamie et la pharmacocinétique de l’insuline injectée sont modifiées par l’atteinte des fonctions rénales(3). En deuxième lieu, les besoins insuliniques et les modalités insuliniques varient d’un jour à l’autre selon que le sujet est ou non en séance de dialyse. C’est cet aspect du problème que nous allons développer, en soulignant d’emblée que le bon équilibre diabétique, le contrôle des différents facteurs de risque et le maintien d’un état nutritionnel convenable sont autant de facteurs qui peuvent exercer une influence bénéfique sur l’espérance de vie de ces patients(4).
L’HbA1c est-elle un marqueur fiable de l’équilibre glycémique chez les diabétiques hémodialysés ?
L’anémie présente chez la majorité des insuffisants rénaux chroniques dialysés réduit la durée de vie des érythrocytes dont le renouvellement est en plus accéléré par les traitements par érythropoïétine qui sont fréquemment administrés à ces patients. Dans ces conditions, le dosage de l’HbA1c conduit à une sous-estimation de ce paramètre. En revanche, au cours de l’insuffisance rénale chronique dialysée, l’augmentation du taux plasmatique de l’urée, en particulier entre les dialyses, risque d’entraîner une carbamylation de l’hémoglobine. Étant donné que cette hémoglobine carbamylée est dosée avec l’HbA1c, on peut assister à une surestimation de l’HbA1c(5).
Sous-estimation du fait de l’anémie ? Surestimation du fait de la carbamylation ? Quelle est l’anomalie qui prédomine ? Plus probablement la sous-estimation du fait de l’anémie. Dans ces conditions et pour trancher le débat, le mieux est de demander aux patients dialysés de faire, un jour sans dialyse, un profil glycémique 7 points avec 3 glycémies préprandiales, 3 glycémies postprandiales et 1 glycémie avant le coucher. En faisant la moyenne de ces 7 glycémies et en utilisant la courbe établie par l’étude ADAG (A1c-Derived Average Glucose)(6) (figure 1), il est possible d’avoir une estimation de l’HbA1c. Dans la majorité des cas, le taux de l’HbA1c mesuré au laboratoire sera inférieur à celui estimé à partir des profils glycémiques 7 points. Une autre méthode pour estimer le taux réel de l’HbA1c est de considérer que toute baisse du taux de l’hémoglobine totale de -3 g/dl doit faire l’objet d’un ajustement de l’HbA1c de +1 %(7). Ainsi, après correction, on s’aperçoit qu’un patient que l’on croyait bien équilibré avec une HbA1c à 7 % est en fait à 8,5 % parce que son taux d’hémoglobine totale est de 9 g/dl taux normal = 13 g/dl).
Figure 1. Relation entre la glycémie moyenne et l’HbA1c d’après l’étude ADAG.
Le holter glycémique : outil utile ou indispensable
L’enregistrement glycémique continu, lorsqu’il est pratiqué de manière comparative un jour de dialyse et un jour sans dialyse, fournit des renseignements incomparables pour ajuster le traitement antidiabétique, en particulier par insuline.
Pour mieux appréhender le problème, prenons l’exemple concret d’une patiente, insuffisante rénale chronique, hémodialysée, diabétique de type 2, traitée par glargine U100 20 unités avant le dîner. Les séances d’hémodialyse sont pratiquées 1 jour sur 2 entre 13 heures et 19 heures.
Les jours sans dialyse, le profil glycémique est relativement correct avec une moyenne glycémique sur 24 heures aux alentours de 1,50 g/l en dépit de dérives hyperglycémiques après le repas du soir et après le repas de midi (figure 2).
Les jours de la dialyse, le profil glycémique est fortement perturbé avec survenue d’une hypoglycémie au moment du « débranchement » de la dialyse, en fin d’après-midi (figure 2). Le reste du profil glycémique est perturbé avec en particulier un rebond glycémique marqué après le resucrage qui suit la fin de la dialyse. Ce rebond s’accompagne d’une hyperglycémie soutenue lors de la première partie de la période nocturne (figure 2).
Interprétation des résultats du holter
Ces résultats montrent que les profils glycémiques sont acceptables les jours sans dialyse, même si la glargine U100 à la dose de 20 unités avant le dîner n’assure pas un contrôle glycémique parfait. En revanche, l’hémodialyse, par la fuite de glucose qu’elle entraîne, s’accompagne d’épisodes hypoglycémiques en fin d’après-midi.
Pour mieux comprendre le mécanisme de ces hypoglycémies en fin de dialyse chez les patients diabétiques insulinés, il convient de rappeler rapidement les principes de l’hémodialyse. Au cours de l’hémodialyse, il y a échange de substances entre le secteur sanguin et le dialysat, les 2 secteurs étant séparés par une membrane de filtration. L’eau et les toxines traversent cette membrane en passant du secteur sanguin dans le dialysat. Le glucose traverse la membrane dans les 2 sens. Pour éviter les hypoglycémies en cours de dialyse, on utilise un dialysat titré à 5,5 mmol de glucose par litre, soit 1 g/l (figure 3). Chez un patient dialysé dont la glycémie est > 1 g/l avec une glycémie qui reste élevée pendant la majorité de la dialyse, il va y avoir un flux permanent de glucose du secteur sanguin vers le dialysat. La fuite de glucose par le dialysat peut être importante plusieurs dizaines de grammes) avec pour conséquence une hypoglycémie en fin de dialyse vers 19 heures.
Figure 2. Enregistrement glycémique continu caractéristique d’un diabétique de type 2 traité par insuline et hémodialysé un jour sur 2. L’enregistrement est réalisé sur 2 jours consécutifs :
- un jour avec une séance d’hémodialyse entre 13 h et 19 h partie supérieure de la figure ;
- un jour sans dialyse partie inférieure de la figure.
La patiente ne prend pas de petit-déjeuner. Elle prend son repas de midi entre 12 et 14 heures. Le soir elle prend son repas aux alentours de 19 h. Les jours de dialyse, ce repas commence vers 19 h, au moment du « débranchement » de la dialyse. De plus, elle fait une injection d’insuline glargine U100 Lantus®) au début de son repas du soir. Le trait rouge représente la moyenne glycémique sur 24 heures. En jaune est représentée la zone d’hypoglycémie < 70 mg/dl).
Figure 3. Flux de glucose au cours d’une séance d’hémodialyse lorsqu’elle est pratiquée chez un sujet diabétique dont la glycémie est largement supérieure à 1 g/l. Le bain de dialyse est en général titré à 5,5 mmol de glucose par litre soit 1 g/l). Si la glycémie du patient est très élevée, il y a un transfert important de glucose du secteur sanguin vers le dialysat avec pour conséquence une fuite importante de glucose hors de l’organisme. Si le traitement antidiabétique n’est pas adapté, cette fuite de glucose non utilisé par l’organisme risque d’entraîner des hypoglycémies parfois sévères en fin de séance de dialyse.
Adaptation des schémas insuliniques en fonction des jours avec ou sans dialyse
À la lumière de l’observation que nous venons de présenter, il apparaît que le problème majeur est souvent la survenue d’hypoglycémies en fin de séance de dialyse. Pour cette raison, le schéma insulinique devrait être modifié le jour avec dialyse.
D’un point de vue général, la dose globale d’insuline qui assure la couverture des besoins insuliniques devrait être diminuée le jour de la dialyse. Cette mesure en apparence simple à première vue est pourtant plus complexe dans la réalité.
Prenons le cas le plus simple d’un diabète de type 2 sous insulinothérapie basale seule et traité par une seule injection d’analogue prolongé de l’insuline administrée avant le dîner, c’est-à-dire au moment du débranchement de la dialyse. Dans ce cas, il faut diminuer la dose de l’insuline basale par exemple la glargine U100). Dans la mesure où l’injection pratiquée la veille avant le dîner assure la couverture des besoins insuliniques sur une période de 24 heures, c’est-à-dire sur l’intervalle de temps qui inclut la période de la dialyse, c’est cette dose qui devra être diminuée de quelques unités pour éviter les hypoglycémies en cours et en fin de séance d’épuration extrarénale.
Envisageons maintenant le cas plus complexe d’un patient diabétique de type 1 traité par un schéma basal-bolus. Comme dans le cas précédent, il faut diminuer la dose d’insuline basale, injectée avant le dîner, la veille du jour de la dialyse. Toutefois, il faut également diminuer les doses d’insulines prandiales (analogues rapides de l’insuline) pendant la journée de dialyse. Cette mesure est surtout cruciale pour l’injection qui précède le repas de midi et la séance d’hémodialyse si cette dernière débute aux alentours de 13 heures.
En plus du problème des hypoglycémies en fin de dialyse et au moment du débranchement, un autre problème peut se poser. Il s’agit des rebonds hyperglycémiques liés au resucrage excessif et trop rapide au moment du débranchement.
Chez un sujet soumis uniquement à une insulinothérapie basale, une injection a minima (2 à 3 unités) d’un analogue rapide de l’insuline immédiatement après le débranchement au début du resucrage, peut s’avérer nécessaire/utile si ce resucrage (dîner + prise de sucres rapides) apporte une quantité de glucides excessive (au-delà de 70-80 g par exemple). Si ce resucrage apporte 100 g de glucides, 2 unités d’analogue rapide de l’insuline peuvent s’avérer utiles pour éviter le rebond hyperglycémique. Ce calcul est basé sur le fait que 1 unité d’analogue rapide permet en général de métaboliser un apport alimentaire égal à 10 g de glucides.
Chez un sujet soumis à un traitement basal-bolus, après avoir diminué la dose de midi d’analogue rapide pour éviter les hypoglycémies en cours de dialyse, il faudra peut-être convertir cette diminution de dose de midi en augmentation de dose au moment du dîner pour éviter le rebond hyperglycémique. Prenons l’exemple concret d’un malade soumis à un traitement basal-bolus avec 6 unités d’analogue rapide à midi et le soir avant le dîner. La séance d’hémodialyse est programmée pour l’après-midi. Dans ces conditions la dose de midi sera par exemple réduite de 2 à 3 unités (soit 4 unités à midi) et celle du soir sera augmentée d’une quantité équivalente (soit 8 unités le soir). Il est bien certain que ces conseils généraux doivent être modulés en fonction du patient. À cet égard, nous n’insisterons jamais assez sur le fait que le holter glycémique utilisé pour comparer un jour avec dialyse avec un jour sans dialyse peut être d’une aide considérable dans l’adaptation des traitements insuliniques chez un diabétique insuliné hémodialysé.
Autres remarques
En dehors des problèmes liés à la dialyse, l’insuffisance rénale chronique est par ailleurs un facteur de variabilité dans l’action de l’insuline et dans les besoins insuliniques. L’insuffisance rénale entraîne un état d’insulinorésistance, qui a priori augmente les besoins insuliniques, mais en contrepartie, une partie de l’insuline circulante est normalement métabolisée par les reins(3,8,9). C’est pour cette raison que l’apparition d’une maladie rénale chez les diabétiques insulinés peut s’accompagner d’une diminution des doses d’insuline. Il est souvent difficile de savoir quel facteur va être prédominant. Dans la mesure où l’insulinorésistance et le défaut de métabolisation de l’insuline par les reins, qui ne sont plus fonctionnels, sont 2 facteurs qui interviennent de manière diamétralement opposée sur les besoins insuliniques, c’est l’observation clinique chez un patient donné qui donnera la réponse.
Les mesures diététiques chez le patient diabétique dialysé(10)
Ces mesures ne sont pas spécifiques aux diabétiques insulinés et peuvent être étendues à tous les diabétiques quel que soit le traitement antidiabétique en cours.
Considérations générales
Ce problème est complexe car il faut gérer à la fois la diététique du diabète sucré et celle de l’insuffisance rénale chronique avec un risque majeur : la dénutrition calorico-protidique est extrêmement fréquente chez ce type de patient, en particulier lorsqu’il est dialysé. Les apports protidiques se situent souvent aux alentours de 0,6 à 0,7 g/kg/jour et les apports caloriques sont de l’ordre de 20 à 25 kcal/kg/j. Il faut se rappeler que les apports recommandés chez l’adulte sain sont de 1 g/kg de poids idéal/jour pour les protéines et de 35 kcal/kg de poids idéal/jour. Par ailleurs, l’insuffisant rénal chronique doit également assurer plusieurs autres objectifs pour compenser des états de carences spécifiques en oligoéléments, en vitamines, en calcium. À l’inverse, il faudra réduire les apports en certains minéraux : Na, K et phosphates.
Prescrire un régime pour contrôler les variations glycémiques
Chez un patient diabétique insuliné, il est recommandé de contrôler les apports glucidiques en quantité et en qualité. Le pourcentage des calories glucidiques devrait se situer aux alentours de 45 %, en privilégiant les glucides complexes (aliments amylacés) et en répartissant les prises de glucides sur la journée (3 repas principaux et introduction de collations, en particulier lorsqu’il existe un risque d’hypoglycémie)(11). Par ailleurs, pour éviter la survenue d’hypoglycémies qui se produisent régulièrement au moment du « débranchement » de la dialyse, vers 19 heures, il faudrait introduire 1 ou 2 petites collations apportant une vingtaine de grammes de glucides au cours de la séance d’hémodialyse.
Les apports de sucres dits rapides, sucreries, entremets sucrés, pâtisseries, ne doivent pas être bannis de l’alimentation de l’insuffisant rénal chronique dialysé. Ainsi, il convient d’être très souple dans ce domaine car l’hypertriglycéridémie qui accompagne souvent l’insuffisance rénale chronique et les montées glycémiques postprandiales sont des problèmes relativement accessoires par rapport à la dénutrition calorico-protidique qui est fréquemment rencontrée dans cette pathologie. Par ailleurs, les aliments à goût sucré sont souvent ceux qui sont les mieux acceptés chez ces patients qui signalent souvent un état d’inappétence. En d’autres termes, il est préférable d’accepter la consommation de produits à goût sucré s’ils doivent en partie combler le déficit des apports énergétiques en stimulant l’appétit.
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