Hypoglycémie
Publié le 03 fév 2017Lecture 7 min
Mesurons-nous suffisamment le coût des hypoglycémies ?
B. BAUDUCEAU, L. BORDIER-SIRVIN, Service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé
En dehors de quelques médecins français, la terre entière considère que l’équilibre glycémique est essentiel pour prévenir les complications du diabète en association avec la lutte contre les facteurs de risque cardiovasculaire. Cet objectif nécessite fréquemment la prescription de médicaments susceptibles d’induire des hypoglycémies comme les insulinosécréteurs ou l’insuline. Les dernières recommandations émises par la HAS ont pris en compte, de façon parfaitement respectable, la dimension économique des soins des patients diabétiques, et tout particulièrement le prix des médicaments. Malheureusement, les conséquences des hypoglycémies en termes de santé et de coût n’ont sans doute pas été mesurées à leur juste niveau.
Fréquence des hypoglycémies chez les patients diabétiques de type 1 et de type 2
Les différents types d’hypoglycémies sont aujourd’hui bien définis mais leur fréquence est incertaine et globalement sous-estimée. Les hypoglycémies sévères, qui nécessitent l’intervention d’un tiers, devraient être faciles à reconnaître, surtout lorsqu’elles ont été suivies d’une hospitalisation. Toutefois, les codages réalisés par les services d’urgence mentionnent le malaise, la chute ou l’accident vasculaire, sans toujours noter la cause réelle représentée par l’hypoglycémie. En dépit de cette limite, les hospitalisations pour hypoglycémies sévères en France se monteraient à plus de 27 000 séjours au cours de l’année 2012.
D’ailleurs aux États-Unis, les hospitalisations pour hypoglycémie sont aujourd’hui plus fréquentes que celles pour hyperglycémie et intéressent tout particulièrement les patients âgés.
Dans une étude observationnelle menée au Royaume-Uni, la fréquence des hypoglycémies sévères des patients diabétiques de type 1 ou de type 2 traités par insuline s’élève en fonction de l’ancienneté du traitement. Globalement, la fréquence des hypoglycémies sévères est plus importante chez les patients diabétiques de type 1 que chez les diabétiques de type 2, mais comme la prévalence du diabète de type 2 est 20 fois supérieure, ces accidents sont donc très fréquents chez ces patients et leur gravité est certaine en raison de leur durée parfois prolongée, notamment en cas d’insuffisance rénale. Les hypoglycémies sévères qui ne nécessitent pas d’hospitalisation, sont nettement plus fréquentes et touchent en France 250 000 patients pour 1,3 million d’épisodes. Ces hypoglycémies sévères font l’objet de la grande majorité des études au détriment des formes moins graves mais qui sont beaucoup plus fréquentes. Les hypoglycémies symptomatiques, confirmées ou non, concerneraient plus de 1 million de patients. Ces chiffres ne prennent pas en compte les hypoglycémies asymptomatiques dont la prévalence est de loin la plus élevée mais qui sont complètement méconnues, notamment chez les personnes âgées. L’étude ENTRED, menée entre 2007 et 2010, a confirmé l’ampleur de ces chiffres puisque 9 % des patients diabétiques de type 2 déclarent avoir présenté au moins une hypoglycémie sévère au cours des 12 derniers mois avec en moyenne 5 épisodes par an. Dans l’étude DIALOG, menée en vie réelle, chez des patients diabétiques traités par insuline depuis au moins 1 an, 85,7 % des patients diabétiques de type 1 et 45 % des patients diabétiques de type 2 ont eu au moins une hypoglycémie au cours du mois de suivi de l’étude. Une hypoglycémie sévère a été observée chez 13,3 % des patients diabétiques de type 1 et 6,7 % des patients diabétiques de type 2. Les médicaments responsables, en dehors de l’insuline, sont représentés dans la quasi-totalité des cas par les insulinosécréteurs, glinides ou sulfamides hypoglycémiants, prescrits de façon isolée ou en association avec la metformine ou les inhibiteurs de DPP4. Les coûts humains et financiers de ces accidents hypoglycémiques, qui sont donc d’une très grande fréquence, méritent d’être examinés de près car ils semblent avoir été très largement sousévalués.
Les coûts humains des hypoglycémies
Parmi les accidents iatrogènes, l’insuline et les insulinosécréteurs se situent à la deuxième et à la quatrième place des médicaments responsables d’une hospitalisation aux États-Unis.
Les conséquences cliniques directes des hypoglycémies sont loin d’être anecdotiques. En effet, dans une étude menée à Taiwan chez 77 611 patients diabétiques de type 2, les hypoglycémies majorent le risque d’AVC d’un facteur 2,55, la maladie coronaire de 2,35 et la mortalité totale de 3,49. Les hypoglycémies favorisent les troubles du rythme ventriculaires et seraient responsables, au moins pour partie, du « dead in bed syndrome ».
Les populations fragiles, notamment les jeunes enfants et les patients âgés, sont particulièrement exposées aux hypoglycémies. C’est ainsi que la survenue d’hypoglycémies sévères double le risque de démence chez les seniors.
Outre ces conséquences très graves sur le plan clinique, les hypoglycémies majorent le risque de malaises ou de chutes avec pour effet la survenue de fractures qui peuvent être dramatiques chez les personnes âgées. Toutefois, chez ces patients, les hypoglycémies sévères seraient plutôt un marqueur de risque lié à des comorbidités traduisant un état de fragilité, ainsi que l’a suggéré l’étude ACCORD.
Tous ces phénomènes retentissent considérablement sur la qualité de vie et favorisent les états dépressifs. C’est ainsi que l’étude DAWN 2 a révélé que plus de la moitié des patients diabétiques de type 1 mais également un grand nombre des patients diabétiques de type 2 s’inquiètent du risque hypoglycémique, tout particulièrement la nuit. Ces craintes retentissent sur l’entourage et perturbent la quiétude de la vie familiale, surtout s’il s’agit d’enfants ou de personnes âgées. C’est ainsi que dans cette même étude, près des trois quarts des membres de la famille des patients sous insuline craignaient la survenue d’épisodes d’hypoglycémies nocturnes.
Les coûts indirects induits par les médicaments susceptibles d’induire des hypoglycémies
L’automesure glycémique est une avancée majeure dans la surveillance des patients diabétiques et est recommandée par la HAS. Au cours du diabète de type 1 ou de type 2 recevant de l’insuline, cette autosurveillance est incontournable. En revanche, chez les patients diabétiques de type 2 qui ne reçoivent pas d’insuline, l’automesure glycémique n’est recommandée qu’en cas de prise d’insulinosécréteurs comme les sulfamides hypoglycémiants ou les glinides. Ce fait implique un surcoût indirect de ces médicaments qui doit être pris en compte. La prescription de glucagon pour les patients à risque hypoglycémique est aussi une dépense pour la société qui doit être comptabilisée.
Le risque hypoglycémique est également un frein à l’intensification du traitement du diabète et constitue donc une limite pour parvenir aux objectifs glycémiques. Ce fait favorise la survenue des complications, notamment microangiopathiques qui sont elles-mêmes très coûteuses.
Le coût direct des hypoglycémies
Les coûts des accidents hypoglycémiques doivent regrouper les frais d’intervention d’urgence des secours comme les pompiers, le Samu ou les personnels soignants. Les hospitalisations en lien direct avec l’hypoglycémie ou en rapport avec ses conséquences comme un accident vasculaire ou une fracture liée à une chute constituent des dépenses très importantes. En effet, selon les organismes officiels en France en 2012, le coût des hospitalisations sévères se serait monté à 116 millions d’euros, soit près de 1,7 % des coûts totaux liés au diabète. Bien que variables, les frais engendrés par les hypoglycémies sévères sont également très élevés dans les différents pays occidentaux.
Les conséquences financières doivent aussi prendre en compte les accidents du travail ou de la route, les arrêts de travail et donc la perte de la productivité des patients.
Au total, les hypoglycémies sont très coûteuses mais le montant des frais qu’elles induisent n’a pas été évalué de façon globale et approfondie. Pourtant, la prise en compte de ces dépenses est indispensable pour la réalisation d’une étude médico-économique de qualité portant sur le coût des soins des patients diabétiques.
En conclusion, faut-il revoir les recommandations de la HAS ?
La menace hypoglycémique est incontournable chez les patients diabétiques de type 1 ou de type 2. Parvenir aux objectifs glycémiques nécessite de garder à l’esprit le risque d’hypoglycémie qui est inévitable avec l’insuline ou les insulinosécréteurs. Toutes les études convergent pour montrer la grande fréquence de ces accidents qui peuvent conduire à de graves complications.
Si les insulines modernes comme les analogues lents n’ont pas montré de bénéfice franc en termes de normalisation glycémique, elles permettent dans toutes les études de réduire significativement le nombre d’hypoglycémies par rapport aux insulines humaines comme la NPH. Ce fait devrait être pris en compte dans les recommandations qui prônent actuellement l’insuline NPH en première intention pour les patients diabétiques de type 2 et réservent les analogues lents de l’insuline aux patients à risque d’hypoglycémie nocturne préoccupant.
Au cours du diabète de type 2, les nouvelles classes médicamenteuses comme les inhibiteurs de DPP4, les analogues du GLP1 et les inhibiteurs des SGLT2 ont pour intérêt de ne pas comporter ce risque hypoglycémique. Les recommandations de la HAS publiées en 2013 limitaient les indications des incrétines aux malades à risque hypoglycémique en raison du manque de recul de leur utilisation mais surtout, sans que cela soit clairement exprimé, du fait de leur coût. Depuis, les résultats de TECOS ont montré la sécurité d’emploi de la sitagliptine tandis que ceux de EMPA-REG et de LEADER viennent de mettre en exergue l’intérêt dans la protection cardiovasculaire de l’empagliflozine, qui n’est toujours pas disponible en France, et du liraglutide.
Les réelles réticences des autorités de santé portent en fait sur le coût de ces médicaments comparativement à celui des insulino-sécréteurs. Les firmes pharmaceutiques ont depuis très largement diminué le prix unitaire de ces médicaments. Une évaluation économique sérieuse ne doit pas occulter une vision plus globale des frais directs et indirects induits par la prescription des différentes classes médicamenteuses. Dans un souci d’économie de santé, le coût global des hypoglycémies mériterait d’être bien évalué dans un souci de transparence non partisan. Aux résultats de cette enquête, une révision des recommandations de la HAS pourrait être rédigée sans trop de myopie dans un souci d’efficacité médical et financier.
Les auteurs déclarent avoir des conflits d’intérêt avec la plupart des firmes pharmaceutiques impliquées dans le traitement du diabète.
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