Publié le 14 oct 2016Lecture 5 min
Prise en charge des troubles métaboliques induits par les traitements antipsychotiques
J.-L. SCHLIENGER*, J.-M. DANION** *Professeur honoraire à la Faculté de médecine, Strasbourg **Pôle Psychiatrie, CHU de Strasbourg
Les maladies mentales sévères exposent à un risque accru de surmortalité cardiovasculaire liée à la fois aux répercussions de l’affection psychiatrique sur les habitudes de vie et aux effets des traitements spécifiques. La majoration du risque cardio-métabolique justifie une prise en charge multidisciplinaire en plus du traitement spécifique en accord avec les recommandations de l’Association européenne de psychiatrie formulées en concertation avec les sociétés européennes de diabétologie et de cardiologie(1).
Une incidence accrue de l’obésité, du syndrome métabolique, des dyslipidémies et du diabète a été rapportée avant traitement dans toutes les populations présentant des troubles mentaux sévères, qu’il s’agisse de schizophrénie (les plus étudiés) ou de troubles de l’humeur en raison, notamment, d’un tabagisme fréquent, d’une activité physique limitée et de conditions sociales parfois défavorables. Les antipsychotiques ont un effet métabolique délétère qui risque de faire apparaître ou de majorer les troubles métaboliques. Il en est ainsi tout particulièrement de certains antipsychotiques (AP) de 2e génération (dits atypiques) dont la meilleure tolérance globale par rapport aux AP classiques est à nuancer par la fréquence de survenue d’effets secondaires métaboliques pouvant être préoccupants à long terme.
Obésité, diabète et dyslipidémie
Sous traitement par AP, la prise de poids est fréquente, parfois spectaculaire et plus marquée sous AP de 2e génération mais toujours imprévisible du fait d’une grande variabilité individuelle à support génétique vraisemblable. Elle est expliquée par une stimulation de l’appétit et de la prise alimentaire du fait d’une interaction avec les neuro-médiateurs sérotoninergiques, dopaminergiques et histaminiques. Un effet sur la dépense énergétique a également été envisagé.
Les effets diabétogènes des AP sont avant tout imputables à la prise de poids excessive responsable d’une résistance à l’insuline. Toutefois des arguments expérimentaux suggèrent que les AP atypiques pourraient exercer un effet direct sur la sécrétion d’insuline et sur l’insulinorésistance, indépendamment de la prise de poids. La description de quelques rares cas de diabète aigu avec acido-cétose survenus au décours d’un traitement par olanzapine ou clozapine plaide en faveur d’un effet diabétogène direct de ces AP atypiques.
Les AP sont également associés à la survenue d’anomalies lipidiques athérogènes avec, outre une augmentation du cholestérol LDL et une diminution du HDLC, une élévation des triglycérides qui est plus fréquente en cas de prise pondérale. Le syndrome métabolique, témoin de l’obésité viscérale et de l’insulinorésistance, est très fréquent (2 à 4 fois plus fréquent dans la schizophrénie)(2). L’ensemble, évoluant vraisemblablement dans un contexte génétique prédisposant, concourt à la majoration du risque cardiovasculaire.
La fréquence des troubles métaboliques intrinsèques aux affections mentales sévères et l’induction de troubles métaboliques par le traitement spécifique justifient une évaluation du risque cardio-métabolique avant et durant les premiers mois de traitement afin de déceler les stades précoces d’obésité, de diabète ou de syndrome métabolique. Par ailleurs l’existence d’un état métabolique à risque devrait faire privilégier les molécules à risque métabolique moindre.
Évaluation initiale
L’anamnèse s’attache à préciser les antécédents personnels et familiaux et, surtout, les habitudes de vie (consommation de tabac et d’alcool, niveau d’activité physique, style alimentaire). Le calcul de l’IMC, la mesure du tour de taille et de la pression artérielle, et un bilan biologique (anomalies lipidiques, glycémie à jeun) permettent d’évaluer le risque cardiovasculaire avant traitement. La correction des facteurs de risque (au besoin par un traitement médicamenteux) et des conseils d’hygiène de vie comportant la lutte contre la sédentarité et la prescription d’un régime visant à réduire le poids ou à garantir le maintien du poids, sont de mise mais souvent peu suivis d’effet. Le recensement des facteurs de risque peut contribuer au choix des AP en prenant en compte les effets métaboliques potentiels des molécules disponibles.
Au cours du traitement
La surveillance précoce et répétée dès le premier mois porte sur la prise de poids, la pression artérielle et la glycémie, particulièrement chez les patients traités par clozapine ou olanzapine. Elle permet de rappeler les recommandations quant aux habitudes de vie et à renforcer les conseils diététiques et d’activité physique en s’adressant autant au patient qu’à son entourage. Un nouveau bilan clinique et biologique est souhaitable à 3 mois. Une augmentation pondérale rapide (> 5 % du poids initial) ou une altération durable de la glycémie et du profil lipidique conduit à renforcer le suivi diététique puisque plusieurs études ont montré qu’une intervention sur le style de vie pouvait être efficace pour prévenir par exemple la conversion d’une intolérance au glucose en diabète(3). Il est de mise d’évaluer avec prudence et circonspection l’indication d’un changement de psychotrope en gardant à l’esprit que les bénéfices sur l’état psychique priment sur la prévention des effets métaboliques.
L’apparition ou l’aggravation des perturbations métaboliques en dépit des mesures préventives et d’accompagnement non pharmacologiques relève d’un traitement médicamenteux :
- metformine en cas de diabète pour contrer l’insulinorésistance(4) ou, en cas d’aggravation, recours aux incrétines à type d’IPP-4 ou d’analogue du GLP-1 dont l’effet pondéral est intéressant. L’insu linothérapie n’est pas proscrite mais expose à une majoration de la prise de poids qui peut être minimisée par l’association d’un analogue lent de l’insuline (type glargine ou détémir) en bed-time à un analogue du GLP-1 (à type de liraglutide) ;
- statine ou fibrate selon le type de dyslipidémie ;
- IEC en cas d’hypertension artérielle (en étant attentif à la possibilité d’une hypotension orthostatique induite par certains AP).
Les critères de surveillance sont les mêmes que chez les sujets ne présentant pas de troubles psychiatriques sévères.
Conclusion
Les sujets souffrant d’une maladie mentale sévère sont à considérer à risque sur le plan cardio-métabolique.
Outre le traitement psychiatrique, ils relèvent d’une stratégie de dépistage des facteurs de risque cardio-métabolique et d’une prise en charge appropriée fondée sur des mesures hygiéno-diététiques et, si nécessaire, sur des moyens pharmacologiques dans le cadre d’une concertation pluridisciplinaire où le médecin traitant, l’endocrinologue et d’autres professionnels de santé (diététicien, éducateur sportif) se positionnent en appoint de la prise en charge spécifique.
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