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Neurologie

Publié le 10 jan 2016Lecture 11 min

Déclin cognitif, démence et diabète - Existe-t-il une relation ?

H. GIN, Université de Bordeaux


Le déclin cognitif et la démence s’observent d’autant plus facilement avec l’avancée en âge. Avec l’allongement de l’espérance de vie, la proportion de sujets âgés augmente dans la population générale, et le déclin cognitif et la démence deviennent des situations de plus en plus fréquentes. La démence est une des affections les plus emblématiques de l’avancée en âge, mais elle présente deux versants totalement différents : la maladie d’Alzheimer d’un côté, la démence vasculaire de l’autre.

La démence est une entité complexe regroupant des tableaux cliniques différents allant des maladies neurodégénératives, parmi lesquelles la maladie d’Alzheimer, aux pathologies vasculaires comme la démence vasculaire. La première est caractérisée sémiologiquement par une perte totale des caractères et des traits spécifiques de la personnalité du patient associée à des comportements destructurés, alors que la seconde (la démence vasculaire) se caractérise par des troubles de la mémoire portant essentiellement sur les événements récents, associés à l’ensemble des éléments classiquement rencontrés dans ce que l’on appelait le « syndrome lacunaire », sans déstructuration réelle de la personnalité. La question posée est de savoir s’il existe une relation entre diabète et démence ; en effet, le diabète est une pathologie chronique qui évolue sur de nombreuses années et, lorsqu’une démence s’installe, il est logique, aussi bien pour l’entourage que pour le corps médical, de se demander si celleci fait partie de l’évolution de la vie ordinaire ou si la pathologie chronique qu’est le diabète a facilité ou a participé à part entière à l’installation de la démence. Mais quel type de démence ? Il importe d’analyser séparément les arguments intellectuels et les preuves épidémiologiques. Quels arguments en faveur d’une relation entre diabète et démence ? Diabète et maladie d’Alzheimer La maladie d’Alzheimer est une maladie complexe dont un des éléments anatomiques caractéristiques est l’accumulation au sein des tissus cérébraux de substances amyloïdes bêta et de protéines tau. Il existe des arguments en faveur d’une relation entre diabète et accumulation de substrats amyloïdes bêta car l’enzyme qui dégrade l’insuline est aussi un des principaux régulateurs des niveaux de substance bêta amyloïde au sein des tissus nerveux. On peut concevoir « intellectuellement » qu’un hyperinsulinisme tel que celui rencontré dans le diabète de type 2 soit susceptible de réduire la clairance des substances β amyloïdes via une inhibition compétitive de ces enzymes de dégradation. In vitro, l’excès d’insuline semble être associé à une augmentation des taux extracellulaires des peptides Aß. Une des explications fait intervenir l’IDE (insuline degrading enzyme). L’IDE est en effet la principale enzyme de dégradation de l’insuline, mais elle est aussi la première protéase capable de dégrader le peptide Aß. L’hyperinsulinisme va donc détourner une partie de l’activité de l’IDE et contribuer théoriquement à l’accumulation de peptide Aß, permettant d’initier la cascade ß amyloïde. Parallèlement, un taux d’acides gras libres élevé (souvent rencontré chez le patient diabétique de type 2 et dans le syndrome métabolique) inhibe l’IDE et, par là même, peut aussi être un initiateur du processus. De même, sachant que le diabète de type 2 se traduit par une insulinorésistance, on peut imaginer que celle-ci affecte l’ensemble des cellules de l’organisme, dont les cellules cérébrales et en conséquence puisse devenir un des promoteurs du développement local de substances ß amyloïdes. Par ailleurs, un cercle vicieux a été décrit, dans lequel la protéine ß amyloïde est elle-même capable d’activer la glycogène synthase kinase 3 et d’induire de manière indirecte une insulinorésistance cérébrale. Enfin, l’insuline agit sur toute une cascade de transmissions du signal intracellulaire, faisant intervenir IRS1 ainsi que des activités sérines thréonines kinases qui font partie des processus de signalisation intracellulaires au niveau de l’hippocampe. Or, l’hippocampe est une des zones cérébrales facilement touchées par le processus de la maladie d’Alzheimer. Il y a donc des raisons intellectuelles de penser qu’il puisse y avoir une relation entre diabète et maladie d’Alzheimer. Diabète et démence vasculaire La démence vasculaire est caractérisée par une atteinte dégénérative des petits vaisseaux cérébraux aboutissant à des micro-infarctus locaux sans antécédent de véritables accidents vasculaires cérébraux cliniques. Les facteurs susceptibles d’initier cette dégénérescence vasculaire sont bien connus : essentiellement l’hypertension, mais tous les facteurs susceptibles de participer à la pathologie vasculaire pourraient intervenir. Le diabète de type 2 représente donc, par essence, LA maladie susceptible de faire le lit de la démence vasculaire ; en effet, le diabète de type 2 associe souvent obésité, hypertension, dysmétabolisme, hypertriglycéridémie… À l’inverse, l’insuline participe à la plasticité cérébrale en modulant l’activité des récepteurs au glutamate et au GABA. Il est démontré que l’injection intracérébrale d’insuline chez le rat (normal non insulinorésistant) et intranasale chez l’homme améliore la mémoire générale du rat et la mémoire verbale chez l’homme. En aucun cas il ne faut confondre insuline injectée par voie intracérébrale et hyperinsulinisme induit par un état d’insulinorésistance. La question se pose donc de savoir pour quelle part le diabète est susceptible d’intervenir dans la pathologie démentielle. Les données épidémiologiques Dans la cohorte GERODIAB, il est retrouvé près de 30 % d’anomalies cognitives chez les personnes âgées de plus de 70 ans et ayant conservé leur autonomie. Au-delà de l’altération cognitive, les données de la littérature rapportent une prévalence 2 à 3 fois plus élevée chez la personne diabétique âgée, par rapport aux non diabétiques appariés. Si un certain nombre d’études à charge ont établi une relation entre l’importance des lésions anatomiques type Alzheimer et le diabète, la plupart des études réalisées ont mis en évidence une relation importante et certaine entre diabète et démence vasculaire, alors que la relation avec la maladie d’Alzheimer semble un peu plus faible. Il n’en reste pas moins que, chez les patients diabétiques, la maladie d’Alzheimer est présente et est rencontrée comme en population générale. Cependant, l’ensemble des études épidémiologiques laissent supposer que la charge de la démence vasculaire est beaucoup plus importante dans une population diabétique alors que la charge de démence type Alzheimer se rapproche de celle d’une population générale tout en étant un peu supérieure. Les données épidémiologiques semblent donc nous amener à penser que s’il y a une relation entre diabète et démence, celleci se fait essentiellement à travers les démences vasculaires, même si l’Alzheimer reste une réalité. Cette notion est importante car les facteurs conduisant à la démence vasculaire peuvent être contrôlés ; il s’agit bien sûr d’une médecine préventive : à l’évidence, un bon contrôle tensionnel diminue le risque d’évolution d’une démence vasculaire, comme un bon contrôle du diabète diminue le risque d’évolution de la démence vasculaire. Les preuves anatomiques Les techniques d’imagerie récentes, type IRM fonctionnelle ou IRM de diffusion, permettent de mieux préciser les connaissances. L’exploration moderne permet de réaliser une imagerie fine, analysant mieux les micro-infarctus ou les plaques ; elle permet aussi, grâce à l’IRM fonctionnelle, de visualiser les aires anatomiques particulièrement affectées par les processus pathologiques ; elle permet enfin, grâce à l’IRM de diffusion, de regarder les flux ainsi que leur orientation au sein même de la matrice cérébrale. D’une manière relativement grossière, l’étude du volume cérébral est un bon marqueur de l’atteinte des petits vaisseaux.   Chez les patients diabétiques de type 1, ce type d’analyse montre une réduction modeste du volume cérébral par comparaison au sujet contrôle, mais cette diminution n’est pas retrouvée dans toutes les études. En revanche, les analyses de volume cérébral faites chez des patients diabétiques de type 1 dont la maladie a débuté très précocement dans l’enfance sont celles qui montrent les réductions de volume les plus sensibles à l’âge adulte. L’enfance reste une phase importante de la maturation cérébrale et on peut comprendre le lien potentiel entre un diabète installé précocement dans la vie et le volume cérébral à l’âge adulte ; cependant des études longitudinales seront nécessaires pour confirmer ces données. À l’inverse, chez des patients diabétiques de type 2, une réduction exagérée du volume cérébral a été observée comparativement à une population témoin de même âge, associée à une augmentation du volume ventriculaire. Ces données anatomiques grossières du volume cérébral semblent donc établir une relation certaine avec le diabète de type 2 dont on a vu qu’il était en effet le meilleur candidat à l’atteinte vasculaire. Il est à noter que les études qui ont analysé de manière fine le volume de l’hippocampe chez les patients diabétiques de type 2 n’ont pas montré d’atteinte très importante (la lésion hippocampique est une lésion fréquente dans la maladie d’Alzheimer).   Des études d’imagerie plus poussées en IRM s’intéressant à la pathologie des petits vaisseaux confirment que les lésions spécifiques des petits vaisseaux sont rarement retrouvées chez les patients diabétiques de type 1, alors qu’elles le sont fréquemment chez les patients diabétiques de type 2, 1,3 à 2,1 fois plus souvent que dans une population appariée non diabétique. Ces données confirment donc l’hypothèse vasculaire. Enfin, en imagerie type DTI (diffusion tensor imagerie), qui permet de quantifier les altérations de la substance blanche, c’est chez les patients diabétiques de type 2 que l’on trouve le plus de déstructuration. Les analyses par imagerie confirment donc les données épidémiologiques : il y a beaucoup plus de lésions de type vasculaire que de lésions neuro dégénératives de type Alzheimer. L’ensemble de ces données amène à insister sur l’importance de la prise en charge précoce des patients diabétiques en prévention. Enfin, quelques études ont confirmé la relation entre déclin cognitif et syndrome métabolique. Au-delà du diabète de type 1 et de type 2, le syndrome métabolique est lui aussi un facteur de déclin cognitif. Une petite élévation de la glycémie à jeun, 1,15 g versus 1 g, chez les patients non diabétiques, au cours des 5 ans précédant leur inclusion dans une étude de suivi longitudinal, est associée à une augmentation du risque de dégénérescence cognitive de 18 % chez les patients non diabétiques mais dysmétaboliques ; de la même manière, l’hyper triglycéridémie du syndrome métabolique est un facteur indépendant du déclin cognitif. Cela signifie que les processus pouvant conduire à la démence débutent relativement tôt. Par conséquent, la prise en charge multifactorielle de l’ensemble des facteurs microangiopathiques (tensionnels, métaboliques et glycémiques) serait susceptible de modifier l’impact de la démence dans nos sociétés. Cependant l’étude ACCORMIND n’a pas démontré qu’un traitement intensif, versus un traitement standard, ralentit le déclin cognitif sur une période de 40 mois. Dans cette étude, les patients qui avaient les HbA1c les plus détériorées étaient ceux qui avaient les scores les plus bas à l’inclusion, mais sur les 40 mois d’étude, il n’a pas été montré de différence d’évolution entre les deux bras de traitement. Toutefois, le temps d’observation est probablement beaucoup trop court pour pouvoir mettre en évidence une différence. Une relation causale entre hypoglycémie et démence ? À cet égard, le débat est encore contradictoire. Des données expérimentales montrent la sensibilité neuronale à l’hypoglycémie, sur la foi de lésions anatomiques. En revanche, ni dans l’étude DCCTEDIC ni dans l’étude ADVANCE, il n’a été mis en évidence de relation entre les hypoglycémies et le déclin cognitif. L’étude WHINTER, portant sur une cohorte de 16 667 patients diabétiques âgés de 65 ans, objective néanmoins une augmentation du risque de démence de 26 % chez les sujets ayant présenté un seul épisode d’hypoglycémie sévère, et de 80 % pour ceux en ayant présenté deux ; cependant, il est difficile d’établir un lien direct entre hypoglycémie et troubles cognitifs, car il existe aussi un lien entre troubles cognitifs et hypoglycémies. L’existence de troubles cognitifs, même minimes, favorise la survenue d’événements hypoglycémiques (erreur technique ou erreur de prise médicamenteuse ou alimentaire). Deux études réalisées, l’une sur 1 000 patients, et l’autre sur 16 000, tous diabétiques de type 2, montrent que les patients qui rapportent des épisodes d’hypoglycémie sévères ont un risque de démence significativement plus élevé ; cependant, les études réalisées chez les patients de type 1 (particulièrement celle du DCCT) ne confirment pas la relation entre hypoglycémie sévère et déclin cognitif alors que les patients du DCCT sont connus comme ayant fait de nombreux épisodes d’hypoglycémie. La question reste donc débattue, mais il est important de constater à nouveau que les conclusions tirées chez les patients diabétiques de type 2 ne sont peut-être pas transposables aux patients diabétiques de type 1, et réciproquement, ce qui suggère que la pathogénie est complexe. La situation reste donc floue, mais il semble évident que, chez la personne âgée déjà fragile, l’hypoglycémie sévère récurrente semble favoriser les troubles cognitifs. On doit donc distinguer l’hypoglycémie de l’adulte jeune sans fragilité anatomique cérébrale de celle du sujet âgé, avec déjà une fragilité cérébrale. Conclusion Dans la réalité, les deux formes de démence ne sont pas dissociées mais se retrouvent souvent plus ou moins associées sous forme mixte. Dans le cadre du diabète de type 1, l’étude DCCT, puis EDIC, a pu montrer qu’une HbA1c élevée est un facteur de risque de développement ultérieur d’une dysfonction cognitive mais sans précision supplémentaire. Le diabète participe à un déclin cognitif accéléré, donc à un risque accru de démence. Ceci laisse supposer qu’un bon équilibre du diabète au long cours ne peut qu’être favorable à la diminution du risque de démence. Le diabète est un facteur de risque vasculaire et, à ce titre, participe bien sûr à la démence vasculaire qui est 2 fois plus fréquente chez les patients diabétiques que chez les non diabétiques, mais il existe aussi des arguments en faveur d’une relation entre diabète et maladie d’Alzheimer. Le vieillissement est une situation inexorable. Le déclin cognitif est associé au vieillissement, mais il est modulé par un certain nombre de facteurs qui influent sur l’évolution de la démence vasculaire ; comme ces facteurs sont modulables, un ralentissement de l’évolution ou une prévention restent possibles. Dans la plupart des cas, la démence est un processus mixte associant « une charge » plus ou moins importante d’Alzheimer et « une autre charge » plus ou moins importante de démence vasculaire. Une métaanalyse récente estime que, chez le patient diabétique de type 2, le risque relatif de démence vasculaire est de 2,5 (IC : 2,1-3) et celui de démence d’Alzheimer de 1,5 (1,2-1,8). Chez le patient diabétique avec facteurs dysmétaboliques associés, « la charge de démence vasculaire » est plus importante, mais il s’agit de facteurs de risque modifiables grâce à une prise en charge précoce.  L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article.

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