Thérapeutique
Publié le 30 nov 2014Lecture 8 min
Place de l’oxygénothérapie hyperbare dans la prise en charge du pied diabétique
M. KAMOUN*, E. PARMENTIER**, P. FONTAINE*, D. MATHIEU** *Service d’endocrinologie et diabétologie, Hôpital Claude Huriez, CHRU de Lille **Centre régional d’oxygénothérapie hyperbare, Hôpital Roger Salengro, CHRU de Lille
Il existe plusieurs arguments justifiant l’utilisation de l’oxygénothérapie hyperbare (OHB) dans les lésions du pied diabétique. En augmentant les pressions tissulaires en oxygène, l’OHB améliore les conditions hémodynamiques et rhéologiques locales, lutte contre l’infection et stimule la cicatrisation. Les résultats émergents sont très prometteurs en termes d’accélération de la cicatrisation des ulcérations, réduction du risque d’amputations majeures et amélioration de la qualité de vie des diabétiques. La mesure préalable de l’oxymétrie transcutanée périlésionnelle est déterminante pour prédire l’efficacité de ce traitement et donc en poser l’indication. L’OHB constitue un complément au traitement conventionnel, encore discuté, dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire. D’autres études sont toujours nécessaires afin de mieux préciser la place de l’OHB chez le diabétique, définir des critères robustes de sélection et enfin évaluer le rapport coût/efficacité d’un tel traitement.
L’ulcération du pied chez la personne diabétique est une complication fréquente survenant chez 15 % des patients. Sa triade physiopathologique associe une neuropathie, une insuffisance artérielle et une composante infectieuse. Comme 85 % des amputations chez les diabétiques sont précédées d’un ulcère, la reconnaissance des piliers de la prise en charge spécifique est primordiale(1).
L’oxygénothérapie hyperbare (OHB) est une modalité thérapeutique d’administration de l’oxygène, définie comme l’inhalation d’oxygène pur (O2 à 100 %) à des pressions supra-atmosphériques (1,5 à 3 atmosphères absolues ou ATA).
Selon les recommandations et conférences de consensus, l’OHB est indiquée comme un traitement adjuvant dans la prise en charge des lésions du pied diabétique avec une efficacité prouvée. Cependant, la sélection des patients est un point essentiel avant la prescription d’un tel traitement. Ainsi, des critères prédictifs ont été élaborés afin de mieux définir les sujets répondeurs.
Nous discuterons les bases physiopathologiques et les preuves cliniques pour l’utilisation de l’OHB dans les lésions du pied diabétique. Nous préciserons ensuite la place de ce traitement dans l’arsenal thérapeutique des lésions du pied diabétique au vu des recommandations, des consensus et des résultats d’essais cliniques et de métaanalyses récents.
Principes physiques de l’oxygénothérapie hyperbare
Dans une chambre hyperbare, l’augmentation du contenu en O2 du sang est due essentiellement à l’augmentation de l’O2 dissous.
En hyperoxie sous une fiO2 de 100 % à 3 ATA (1 ATA équivaut à la pression atmosphérique ou 760 mmHg), le taux d’oxygène dissous peut augmenter de manière importante, pouvant suffire à couvrir les besoins tissulaires. Surtout, l’élévation de la pression artérielle d’oxygène permet d’augmenter la distance de diffusion de l’oxygène. À 3 ATA, le volume tissulaire de diffusion de l’oxygène est ainsi multiplié par un facteur 8. L’OHB peut donc ainsi rétablir une oxygénation tissulaire au sein de tissus devenus hypoxiques soit du fait d’une diminution du débit sanguin (comme dans l’artérite des membres inférieurs) soit du fait d’anomalies microcirculatoires (comme dans le cas de la microangiopathie diabétique).
Effets résultant de l’augmentation de l’apport tissulaire d’oxygène
Ces effets sont d’ordre hémodynamique, rhéologique, anti-infectieux, anti-inflammatoire et cicatrisant (figure 1).
Figure 1. Courbe de Barcroft illustrant les 2 formes de transport de l’oxygène : seul l’oxygène dissous est une source supplémentaire appréciable pour des PaO2 supérieures de 100 mmHg.
Effets hémodynamiques
Au niveau de tissus sains devenus hyperoxiques, l’OHB entraîne une vasoconstriction. Cette vasoconstriction hyperoxique est responsable d’une hypertension artérielle, d’une bradycardie réflexe et d’une diminution du débit cardiaque mais sans diminution de l’apport périphérique d’oxygène aux tissus qui est au contraire augmenté. En revanche, il n’apparaît pas de vasoconstriction ni de diminution du débit sanguin au sein de tissus hypoxiques. Il existe plutôt une redistribution du débit sanguin vers les tissus moins bien oxygénés et une amélioration de la microcirculation dans ces tissus par vasodilatation et diminution des phénomènes transsudatifs.
Effets rhéologiques
L’OHB améliore la déformabilité des érythrocytes de façon immédiate mais aussi prolongée après les séances d’oxygénothérapie hyperbare. Cet effet rhéologique permet aux globules rouges de mieux se faufiler dans des petits vaisseaux lésés, améliorant ainsi le transport d’oxygène aux cellules.
Effets sur les processus infectieux
Les pressions partielles élevées d’oxygène exercent un effet anti-infectieux via 3 grands mécanismes :
Effet bactériostatique et bactéricide
Des pressions partielles d’oxygène > 1,5 ATA sont bactériostatiques in vitro pour plusieurs germes aérobies comme l’Escherichia coli, le staphylocoque et le Pseudomonas. Plusieurs mécanismes expliquent cette action bactériostatique, comme l’inhibition des synthèses protéiques des bactéries, une interaction avec les cofacteurs du métabolisme bactérien et une augmentation du catabolisme de l’ADN et de l’ARN bactérien.
Les bactéries anaérobies ne possèdent pas de défenses antioxydantes et l’OHB est bactéricide in vitro sur la plupart d’entre elles, tel le Clostridium perfringens. L’augmentation de pression partielle d’oxygène entraîne la formation de radicaux libres oxygénés (ROS) conduisant à la mort bactérienne.
Modification de l’action des agents antimicrobiens
L’activité des agents antibactériens est en partie dépendante de la PO2 locale. Son augmentation au cours de l’OHB potentialise les effets des aminosides, des fluoroquinones et de la vancomycine.
Effets sur les défenses de l’organisme
Le fonctionnement normal des polynucléaires nécessite une pression partielle d’oxygène de l’ordre de 30 mmHg qui n’est pas fréquemment atteinte dans les territoires infectés en raison de l’œdème inflammatoire et des microthromboses, particulièrement dans les infections à anaérobies ou staphylocoques : la fonction phagocytaire et l’activité « killer » des polynucléaires sont rétablies au cours des séances d’OHB.
Effets anti-inflammatoires
L’OHB exerce des effets anti-inflammatoires en inhibant les phénomènes apoptotiques et en réduisant l’adhésion des polynucléaires neutrophiles. Par ailleurs, l’OHB régule à la baisse l’expression des cytokines de l’inflammation.
Effets cicatrisants
La cicatrisation tissulaire est un processus dans lequel apparaissent des mécanismes d’inflammation, de granulation, d’angiogenèse et d’épithélialisation. Dans des situations d’hypoxie, ces mécanismes sont ralentis, voire inhibés. En hyperbarie, la croissance fibroblastique est rétablie, la néovascularisation est favorisée, la synthèse d’un collagène de bonne qualité mécanique et l’épithélialisation est augmentée.
La néovascularisation résulte de deux processus : angiogenèse et vasculogenèse. La première fait appel à des facteurs angiogéniques paracrines, alors que la seconde nécessite le recrutement et la différenciation de cellules souches hématopoïétiques et de cellules progénitrices endothéliales. L’OHB stimule ces deux processus. D’une part, elle augmente l’expression des facteurs de croissance, notamment le vascular endothelial growth factor (VEGF), facteur clé de l’angiogenèse, et le platelet-derived growth factor (PDGF). D’autre part, l’OHB stimule la mobilisation de progéniteurs endothéliaux issus de moelle osseuse en activant de la NO synthase endothéliale. La production locale intratissulaire de radicaux libres oxygénés et de monoxyde d’azote (jouant le rôle de molécules de signalisation) induit également une sécrétion additionnelle de certains facteurs de croissance. Par ailleurs, l’OHB stimule la réplication des fibroblastes et la synthèse d’un collagène de bonne qualité mécanique en agissant sur les processus d’hydroxylation et l’élaboration de la substance ostéoïde.
Rationnel pour l’utilisation de l’OHB dans les lésions du pied diabétique
La pathologie du pied diabétique, décrit par Charcot en 1868, regroupe l’ensemble des lésions d’origine vasculaire ou nerveuse sur un pied de diabétique. La classification de Wagner et Boulton comprend 6 stades, le dernier étant celui de la gangrène extensive (tableau 1). Les lésions sont liées à plusieurs facteurs : l’ischémie par macro- et microangiopathie, la neuropathie périphérique et végétative ainsi que l’infection (figure 2).
Figure 2. Effets résultant de l’augmentation de l’apport tissulaire d’oxygène.
Les arguments pour l’usage de l’OHB chez le diabétique sont sa capacité à corriger l’hypoxie, à augmenter la perfusion tissulaire, à stimuler la réparation tissulaire et à traiter ou prévenir une infection.
Le processus de cicatrisation est altéré chez le diabétique en rapport avec des facteurs extrinsèques modulables et des facteurs intrinsèques d’ordre cellulaire.
Les facteurs extrinsèques incluent l’hyperpression, l’infection, l’hypoxie et les thromboses vasculaires. L’hyperglycémie altère les fonctions des leucocytes (phagocytose, adhérence, bactéricidie, chimiotactisme), favorise les phénomènes d’apoptose et induit des perturbations hémorhéologiques responsables de troubles de la vascularisation distale. L’atteinte artérielle du diabétique réduit la pénétration des antibiotiques au niveau des tissus ischémiés.
Les facteurs intrinsèques incluent une croissance ralentie des fibroblastes, l’accumulation d’un collagène de mauvaise qualité, une diminution de la migration des macrophages, de la phagocytose, de l’expression du VEGF et de la migration des progéniteurs endothéliaux. Cette dernière semble être liée à l’effet inhibiteur de l’hyperglycémie et de l’insulinorésistance sur la NO synthase endothéliale.
Indications : que nous apportent les consensus ?
L’OHB et son indication dans le traitement du pied diabétique ont fait l’objet de la 4e conférence de consensus de médecine hyperbare en 1998. Les experts préconisent deux indications de l’OHB chez le diabétique :
- infection persistante des tissus mous et des tissus osseux ;
- ischémie critique des membres inférieurs sans possibilité de revascularisation ou persistante après revascularisation optimale.
L’ECHM recommande l’OHB en présence d’un retard de guérison d’une lésion ischémique chronique critique lorsque la pression transcutanée d’O2 (PTCO2) périlésionelle mesurée en atmosphère hyperbare (oxygène pur à 2,5 ATA) est > 100 mmHg chez un patient diabétique.
Selon le rapport du Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS), les candidats à qui l’OHB convient sont des diabétiques de type 1 ou 2, ayant un ulcère lié au diabète, localisé au niveau de l’extrémité distale des membres inférieurs, au stade ≥ 3 selon la classification de Wagner, non améliorés par un traitement conventionnel d’une durée de ≥ 30 jours.
Récemment, les recommandations du consensus : « Advancing the Standard of Care for Treating Neuropathic Foot Ulcers in Patients with Diabetes » ont été publiées et adoptent globalement les critères suscités : les patients sélectionnés en vue d’une OHB sont ceux ayant un ulcère chronique persistant malgré le traitement conventionnel et validant en plus les deux critères suivants(2) :
- présence d’une ischémie locale périlésionnelle démontrée par une PTCO2 < 50 mmHg en normobarie (une PTCO2 à 30 mmHg définit l’ischémie critique) ;
- présence d’un flux sanguin périlésionnel suffisant en milieu hyperbare, démontré par l’élévation de la PTCO2 jusqu’à 200 mmHg en hyperbarie.
Ce même consensus suggère des indications additionnelles, à savoir le traitement d’une plaie infectée lorsqu’elle est associée à une ostéomyélite récalcitrante au traitement et/ou à des lésions nécrotiques progressives ne répondant pas aux antibiotiques.
L’OHB n’est pas indiquée dans les situations où une cicatrisation normale est prévue. Notons qu’il n’y a pas d’arguments suffisamment solides pour recommander l’OHB comme traitement d’appoint dans les ulcérations du pied d’origine neuropathique chez le diabétique.
Contre-indications de l’oxygénothérapie hyperbare
Les contre-indications de l’OHB sont indiquées dans le tableau 2.
Conclusion
L’OHB dans la prise en charge des lésions des pieds chez les patients diabétiques constitue un élément additionnel et complémentaire au traitement conventionnel, toujours envisagé après échec de celui-ci. Les résultats émergents sont très prometteurs en termes d’efficacité de l’OHB sur les plaies de type ischémique.
Nous aborderons dans un prochain numéro les aspects pratiques de la réalisation de l’oxygénothérapie hyperbare.
Conflit d’intérêts :
M. Kamoun et P. Fontaine déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêts en rapport avec cet article. Participation à des boards scientifiques, essais cliniques et conférences pour les laboratoires Novo-Nordisk, Lilly, Sanofi-Aventis, GSK, MSD, Boehringer Ingelheim, Bater, Takeda, Roche, AstraZeneca, Novartis.
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