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Épidémiologie

Publié le 31 mai 2014Lecture 11 min

L’enfant de mère diabétique : quel avenir métabolique ?

A.-C. LE GUILLOU, A. VAMBERGUE, Pôle d’endocrinologie et de diabétologie, hôpital Claude Huriez, CHRU de Lille EA « 4489 » Environnement périnatal et croissance, Faculté de médecine, Pôle Recherche, Lille

Le surpoids et l’obésité ainsi que les anomalies de la tolérance au glucose augmentent aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays en voie de développement et ceci, chez l’enfant comme chez l’adulte. Les fondements de cette épidémie sont généralement attribués au vieillissement de la population et aux facteurs environnementaux comme l’alimentation « cafétariat » et/ou la sédentarité. De façon récente, il a été démontré que l’exposition fœtale à l’environnement maternel hyperglycémique est un des multiples facteurs de risque de survenue d’un syndrome métabolique de l’adulte. C’est à partir de ces données qu’est né le concept de « programmation » ou « déterminisme fœtal ». Les premières études sur ce sujet ont souligné le lien entre la restriction de croissance fœtale et le risque de développer des troubles nutritionnels et métaboliques à l'âge adulte. Mais, il semble actuellement que l'excès d'apports nutritionnels in utero, comme cela est le cas dans le diabète gestationnel (DG) ou dans l’obésité maternelle, expose également aux mêmes risques. En revanche, les données concernant le devenir des enfants naissant de mères ayant un diabète de type 1 sont à ce jour beaucoup plus rares. 

Ces enfants seront-ils un jour en surpoids ou obèses ? Il est important de bien distinguer les études qui ont eu lieu dans des populations particulières comme les Indiens Pimas des études ayant évalué des populations où la composante génétique est moins importante. Le facteur de risque le plus important d’obésité chez les enfants dans la population Pima est l’exposition à un diabète maternel in utero, indépendamment de l’obésité maternelle et du poids de naissance. En effet, chez les enfants nés de mères diabétiques, le risque d’obésité dans l’enfance ou l’adolescence (jusqu’à 20 ans) est de 58 %, alors qu’il est de 17 % pour les enfants nés d’une mère non diabétique et de 25 % si le diabète ne s’est révélé qu’après la grossesse(1). Au sein d’une même famille, toujours chez les Indiens Pimas, l’obésité est plus importante parmi les enfants nés après que le diagnostic de diabète chez leur mère a été fait que chez les frères/sœurs nés avant le diagnostic de diabète(2). Enfin, le risque d’obésité est plus élevé chez les enfants nés de mères diabétiques(1) comparativement aux enfants nés de pères diabétiques, ce qui suggère une programmation intrautérine par l’hyperglycémie maternelle. Cependant, en raison de facteurs génétiques très spécifiques chez les Indiens Pimas, ces résultats ne peuvent pas être extrapolés directement à d’autres populations, notamment à la population générale.   Il existe dans la littérature des cohortes prospectives, conduites dans des populations diverses à forte ou faible incidence de diabète, qui se sont intéressées aux troubles de la corpulence dans la descendance des femmes atteintes de DG. M. Vääräsmäki et coll. ont montré en 2009 que la prévalence du surpoids est significativement plus importante dans le groupe d’enfants nés d’une mère ayant présenté un DG comparativement au groupe contrôle, même après ajustement sur le poids de naissance et l‘âge gestationnel. Ce surpoids prédomine sur l’adiposité viscérale puisque la circonférence brachiale, reflet de l’adiposité viscérale est significativement plus élevée dans le groupe exposé(3). L’association entre hyperglycémie pendant la grossesse et augmentation du risque d’obésité a été confirmée par T.A. Hillier et coll.(4) chez des enfants âgés de 5 et 7 ans. Cet auteur met en évidence l’importance de la glycémie à jeun puisque au-delà d’une glycémie égale à 5,3 mmol/l, le risque d’obésité dans l’enfance est multiplié par 2(4). Cette relation est également retrouvée dans une population de jeunes adultes. En effet, T.D. Clausen et coll. ont montré que l’IMC est plus élevé dans le groupe des jeunes adultes nés de mères ayant présenté un DG que dans le groupe témoin, même après ajustement sur l’histoire familiale, l’IMC maternel et l’âge(5).   Ce risque d’obésité chez les enfants survient dès l’exposition à des glycémies modérées, même en l’absence de diagnostic de DG vrai. Dans l’étude de T.A. Hillier et coll.(4), les enfants nés de mères ayant une seule valeur pathologique après l’HGPO ont un risque plus élevé de devenir obèses dans l’enfance, même après ajustement sur l’âge, la parité, le gain de poids maternel durant la grossesse, l’ethnie, la macrosomie et le sexe. L’étude de M. Vääräsmäki et coll. a inclus des mères ayant une seule valeur pathologique après une charge de 75 g de glucose et confirme que le risque d’obésité est significativement plus élevé chez les enfants exposés à une hyperglycémie in utero(3). Ces données n’ont pas été confirmées par W.H. Tam et coll. qui ont évalué l’IMC ou la circonférence brachiale d’enfants de 8 ans nés de mères avec intolérance au glucose comparativement à ceux de mères normotolérantes(6). Plus récemment, une étude finlandaise a montré que le surpoids et l’obésité abdominale retrouvés chez des adolescents de 16 ans étaient associés à l’obésité maternelle et plus particulièrement l’association obésité maternelle et DG, association non retrouvée en cas de DG seul sans obésité(7).   Les résultats des études sont donc d’interprétation contradictoire en fonction de l’ajustement sur l’IMC de la mère avant la grossesse. Globalement, l’ajustement sur l’IMC maternel avant la grossesse diminue considérablement le risque de surpoids lié à l’exposition au diabète gestationnel(8,9). L’ajustement permet d’insister sur le rôle du surpoids maternel comme facteur de risque de surpoids dans la descendance. Les adversaires d’un ajustement sur l’IMC maternel parlent d’un sur-ajustement, car le surpoids et le diabète maternel seraient l’expression d’une même pathologie. Faut-il d’abord être macrosome à la naissance pour être en surpoids ou devenir obèse ultérieurement ? P.M. Catalano et coll. n’ont pas mis en évidence de relation significative entre la macrosomie et le risque d’obésité chez des enfants âgés de 7 et 11 ans. En revanche, ils retrouvent une relation significative entre le pourcentage de masse grasse à la naissance et un risque futur d’obésité(10). Ils ont montré que les enfants nés d’une mère ayant des troubles modérés de la régulation glucidique, sans DG vrai, ont 20 % de plus de masse grasse que les enfants dont la mère ne présente pas de trouble de la tolérance glucidique(11).   Cela suggère une altération précoce du métabolisme lipidique chez les enfants, dès qu’il y a une exposition à des concentrations en glucose élevées.   La relation entre macrosomie et risque d’obésité dans l’enfance n’est pas retrouvée dans une étude longitudinale de suivi sur 11 ans qui compare quatre groupes de patients : enfants macrosomes exposés à un DG, enfants macrosomes non exposés à un DG, enfants eutrophes de mères DG et enfin des enfants eutrophes de mères normoglycémiques(12). Alors que l’étude sur la même cohorte en 1999 avait montré une prévalence plus importante de l’obésité chez les enfants nés macrosomes de mères avec DG comparativement aux autres groupes, cette différence n’est pas retrouvée lors de l’étude chez les enfants à 9 et 11 ans(13). Ces enfants deviendront-ils un jour diabétiques ? Chez les Indiens Pimas, le DG est associé à la survenue fréquente et précoce d’un diabète chez l’enfant. Le risque de diabète dépend du statut glycémique de la mère : parmi les descendants âgés de 20 à 24 ans, 45 % de ceux dont la mère était diabétique avant ou pendant la grossesse ont un DT2. Cette forte prévalence contraste avec celle de 9 % chez les individus dont la mère est devenue diabétique après la grossesse et celle de 1,4 % chez ceux dont la mère n’a pas développé de diabète. Pour les adultes plus âgés (entre 25 et 34 ans), la prévalence de DT2 atteignait 70 % lorsqu’ils avaient été exposés au diabète de leur mère. L’étude de familles dans lesquelles il existait au moins un descendant né avant et un descendant né après que la mère développe un DT2 permet d’évaluer le rôle propre de l’environnement intra-utérin. En effet, ces enfants portent en théorie la même prédisposition génétique mais diffèrent quant à leur exposition intra-utérine au diabète de leur mère. Les Indiens Pimas nés après le diagnostic de diabète de leur mère avaient un risque 3,7 fois plus élevé de développer eux-mêmes un diabète et un IMC significativement plus élevé comparativement à leurs frères ou sœurs nés avant le diagnostic de diabète maternel. En revanche, aucune différence n’est observée quand on compare les frères et sœurs nés avant et après le développement d’un diabète chez leur père (2). Ces résultats montrent que, chez les Indiens Pimas, l’exposition au diabète in utero augmente le risque de développer un DT2 chez le descendant en plus de celui attribué aux facteurs génétiques. Plusieurs cohortes prospectives, conduites dans des populations diverses à forte ou faible incidence de diabète, se sont intéressées aux anomalies de la tolérance au glucose dans la descendance de femmes ayant eu un DG(14,15). À l’exception d’une seule(6), toutes les études prospectives mettent en évidence un excès de risque d’anomalies glucidiques dans la descendance de femmes ayant eu un DG. Cette étude s’est intéressée à la tolérance glucidique chez des enfants de 8 ans selon que leur mère ait présenté ou non un trouble de la tolérance glucidique au cours de leur grossesse (préférentiellement à type d’intolérance aux hydrates de carbone). Il n’est pas mis en évidence de différence entre les deux groupes. Cependant, d’une part, les mères présentaient une intolérance aux hydrates de carbone et non un DG vrai et, d’autre part, seulement 6 enfants ont présenté un trouble de la tolérance glucidique (n = 6). Ces troubles sont à la fois mis en évidence chez les enfants mais également chez les adolescents. Il y a tout lieu de penser que la fréquence de ces troubles soit majorée avec le vieillissement de ces cohortes. En revanche, il existe peu de données dans la littérature sur les conséquences de l’exposition fœtale au diabète de type 1 maternel chez la descendance. Il a été rapporté que l’exposition fœtale au diabète de type 1 maternel est associée à une augmentation de l’intolérance au glucose en rapport avec une diminution de la sécrétion d’insuline en réponse au glucose oral et intraveineux et non à une diminution de l’action de l’insuline. Cette altération de la sécrétion d’insuline s’intègre dans un contexte d’altération globale du pancréas avec une diminution de la freination du glucagon en réponse au glucose(16). Ces auteurs ont mis en évidence une diminution de la réserve fonctionnelle rénale chez les sujets exposés, suggérant que l’exposition fœtale à l’hyperglycémie ou à ces anomalies métaboliques associées induit des altérations multiviscérales(17). Il peut être évoqué comme mécanismes possibles, des altérations de l’angiogenèse et/ou des phénomènes épigénétiques(18). Récemment, T.D. Clausen et coll. ont rapporté, chez des individus âgés en moyenne de 22 ans ayant été exposés in utero au diabète de type 1 maternel, une prévalence de DT2 de 2 % et une proportion de sujets ayant une pression artérielle systolique > 130 mmHg de 41 %. Sur le plan méthodologique, il est important de préciser que, dans cette cohorte danoise, les descendants de mères diabétiques de type 1 sont comparés à des sujets issus de la population générale ou à des descendants de mères ayant eu un DG, donc avec une prédisposition génétique au DT2(5). Y a-t-il un sur-risque de syndrome métabolique chez l’enfant ? En préambule, il est très important de préciser qu’il n’existe pas de consensus sur la définition du syndrome métabolique chez l’enfant ou l’adolescent. Ceci explique que les prévalences sont très variables, pouvant aller du simple au double. Les premières études ont montré que la prévalence du syndrome métabolique chez les enfants âgés de 6 à 11 ans est plus élevée chez les enfants nés macrosomes de mères diabétiques (50 %) que chez les enfants nés macrosomes de mères non diabétiques (29 %) ou que chez les enfants nés eutrophiques de mères diabétiques (21 %). En analyse de régression, le risque de syndrome métabolique est deux fois plus élevé chez les enfants macrosomes et les enfants exposés à une obésité maternelle(12). Dans une étude prospective, M. Väärämäski et coll. ont montré que les enfants nés de mères ayant eu un DG ont des marqueurs d’insulinorésistance et de syndrome métabolique à l’adolescence, indépendamment de leur poids de naissance ou d’un surpoids. L’exposition à un DG augmente le risque d’avoir un syndrome métabolique(3). Ces enfants deviendront-ils un jour hypertendus ? Chez les Indiens Pimas, les enfants nés d’une mère ayant présenté un diabète pendant la grossesse ont une tension artérielle systolique plus élevée que les enfants nés d’une mère ayant présenté un diabète après sa grossesse et ceci, indépendamment de l’obésité(19). Cinq cohortes prospectives se sont intéressées aux valeurs de la pression artérielle comme élément du syndrome métabolique dans la descendance des femmes atteintes de DG. Toutes ces études rapportent des valeurs tensionnelles systoliques plus élevées de quelques mmHg chez les descendants de mères ayant eu un DG. Cependant, il existe une grande variabilité dans la significativité des résultats de ces différentes études, vraisemblablement en raison d’une faible puissance statistique. Dans l’étude de W.H. Tam et coll., les enfants nés de mère ayant eu une intolérance aux hydrates de carbone au cours de leur grossesse ont une pression artérielle diastolique et systolique plus élevée que celles des enfants du groupe témoin dès l’âge de 8 ans(15). Une métaanalyse reprenant les résultats de 13 études a confirmé que les enfants de mères diabétiques avaient une pression artérielle systolique plus élevée que les enfants de mères contrôles, notamment les garçons. Il existe également des différences dues au type de diabète maternel. En revanche, il n’a pas été mis en évidence de corrélation entre la pression artérielle systolique de l’enfant et l’IMC maternel prégestationnel(20). Conclusion L’analyse de la littérature confirme que ces études sont d'interprétation difficile à plusieurs égards. Si l’exposition in utero au diabète maternel joue un rôle dans la survenue d’un surpoids ou d’une obésité dans la descendance, l’importance et la part respective de l’exposition au diabète par rapport aux autres facteurs de risque sont mal quantifiées. La plupart des études épidémiologiques montrent un excès de troubles glycémiques dans la descendance de mères diabétiques. On ignore dans ces études si le contrôle de la glycémie a été susceptible de modifier le contrôle glycémique dans la descendance. Par ailleurs, ces études ne peuvent réellement séparer le risque de l’exposition in utero au diabète de celui de la transmission génétique. Il est important de préciser que peu d’études se sont intéressées à la croissance dans les tout premiers mois et les premières années de vie des enfants exposés à une hyperglycémie maternelle pendant la grossesse. Les études semblent être en faveur d’une croissance plus lente dans la première année de vie suivie d’un surpoids dans l’enfance mais elles méritent d’être approfondies.  Malgré toutes ces incertitudes, il apparaît clairement qu’il existe des périodes de vulnérabilité pendant notre vie intra-utérine durant lesquelles peuvent survenir des modifications qui conditionneront notre avenir métabolique. C’est le concept même de la programmation métabolique des maladies chroniques. L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en rapport avec la rédaction de cet article 

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