Publié le 14 avr 2013Lecture 7 min
Individualiser le traitement du patient à risque cardiovasculaire
M. DEKER
Cœur et Diabète
Les grandes études d’intervention dans le diabète ont conduit à remettre en question la pertinence des démarches algorithmiques, pour adapter la prise en charge globale sur la base d’une individualisation des objectifs et des schémas thérapeutiques « dans le contexte des besoins, des préférences et de la tolérance des patients » (ADA/EASD Statement). Cette approche « radicalement nouvelle » est en réalité une nécessité reconnue dans le concept même de l’evidence-based medicine (EBM).
Les recommandations sont élaborées à partir des grands essais cliniques et fournissent une probabilité de succès et d’effets secondaires des traitements chez un patient « moyen », alors que la prise de décision du thérapeute requiert de prendre en compte le patient dans son contexte. Les praticiens ne s’y trompent pas d’ailleurs ; s’ils connaissent les recommandations, ils ne les appliquent pas systématiquement, les jugeant trop rigides et éloignées de la réalité. En effet, les recommandations obéissent à une logique de rationalité technique basée sur des études qui fournissent une réponse à une question donnée, réalisées sur des populations sélectionnées sur des critères d’inclusion stricts, alors que le médecin obéit à un raisonnement, conforté par son expérience, face à un patient dans un contexte particulier. Ces considérations justifient amplement les recommandations individualisées comme le préconise la prise de position ADA/EASD, que la SFD a pris à son compte.
Comment individualiser le traitement des lipides ?
La prise en charge des lipides est incontestablement utile : la baisse du LDL-cholestérol (LDLC) permet de réduire les événements cardiovasculaires et la mortalité, en prévention secondaire et primaire. En outre, le traitement permet de stabiliser les plaques d’athérome et peut-être de les faire régresser.
Les recommandations de la Société européenne de cardiologie fournissent un canevas de prise en charge et des objectifs lipidiques sur la base de l’estimation du risque cardiovasculaire. Selon que les patients sont à très haut risque, à haut risque ou à risque faible à modéré, il est recommandé de cibler un LDL-C à < 0,70, < 1 ou < 1,15 g/l, en prescrivant une statine et en cas d’intolérance, un chélateur des acides biliaires ou de l’acide nicotinique, un inhibiteur de l’absorption du cholestérol, voire une association statine/inhibiteur de l’absorption du cholestérol.
Des recommandations qui appellent quelques commentaires
En prévention secondaire, le traitement est bénéfique quel que soit le niveau de risque (baisse homogène de 20 % du risque) ; en prévention primaire, le traitement est d’autant plus efficace que le risque de base est faible (baisse de 40 et 17 % pour un risque de < 5 et 30 % respectivement)(1).
La baisse du LDL-C étant toujours efficace, et ce d’autant plus que la maladie athéromateuse est moins évoluée, chacun pourrait individuellement tirer bénéfice d’un traitement hypocholestérolémiant, ce qui sous-entend que le calcul du risque deviendrait inutile. Toutefois, dans une perspective de santé publique, le traitement ciblé sur les patients à très haut risque, qui font le plus d’événements, est la stratégie ayant la meilleure rentabilité.
Les cibles de LDL-C ont été définies à partir des grandes études d’intervention, ce qui ne signifie pas qu’il faille à tout prix abaisser le LDL en deçà du seuil, au risque d’effets néfastes, à l’instar de ce qui a été observé dans les études d’intervention visant à « normaliser » la glycémie ou la pression artérielle.
Les fortes doses de statines (versus doses plus faibles) ont montré qu’elles diminuent les événements cardiovasculaires après un syndrome coronaire aigu et chez le coronarien stable, mais elles n’ont pas d’effet sur la mortalité globale chez les coronariens stables, contrairement au post-SCA(2). Sachant que les fortes doses de statines accroissent le risque d’effets secondaires, il convient d’appliquer les recommandations avec prudence en fonction du contexte du patient. Cela est encore plus vrai chez le patient diabétique.
En pratique, la baisse du LDL améliore incontestablement le pronostic des patients à risque cardiovasculaire, et ce d’autant plus que la baisse est importante et le traitement précoce. L’atteinte des objectifs cibles en fonction de l’évaluation du risque ne doit pas être appliquée de manière dogmatique mais modulée selon la situation et son évolution. À cet égard, il ne semble pas raisonnable de maintenir à long terme un traitement à fortes doses par une statine. En revanche, chez des patients mauvais répondeurs aux statines, on peut envisager d’adjoindre un traitement hypolipémiant complémentaire.
Choisir le traitement antidiabétique oral en fonction de la sécurité cardiovasculaire
Sans opposer les molécules anciennes, la metformine et les sulfamides, et les nouvelles, principalement les inhibiteurs de DPP-4, on pourrait dire pour les premières que nous disposons d’un long recul mais de peu de preuves solides, alors que pour les secondes nous avons peu de recul, quelques arguments physiopathologiques et des données cliniques fondés sur les études publiées augurant au minimum d’un effet neutre sur le plan cardiovasculaire, voire d’un effet bénéfique, qui reste à prouver par les études de sécurité cardiovasculaire en cours.
Concernant la metformine, le meilleur argument vient du registre REACH (20 000 diabétiques à haut risque cardiovasculaire) où le risque de mortalité toutes causes était diminué de 25 % chez les patients sous metformine versus autre traitement. Plusieurs métaanalyses montrent aussi une diminution du même ordre de grandeur, mais non significative, du risque de morbi-mortalité sous metformine, comparativement aux autres thérapeutiques. L’image de protection cardiovasculaire liée à la metformine est principalement due à l’étude UKPDS, chez 350 patients secondairement randomisés, ce qui confère un faible niveau de preuves à cette étude.
Les résultats concernant les sulfonylurées (SU) sont beaucoup plus controversés, d’autant que cette classe thérapeutique est hétérogène. L’étude UGPD a semé le doute en montrant une nette augmentation de la mortalité cardiovasculaire sous tolbutamide, comparativement à l’insuline et au placebo. L’étude UKPDS a renforcé cette présomption en montrant une augmentation de la mortalité liée au diabète et de la mortalité globale chez les patients en bithérapie metformine + SU comparativement à l’ensemble de la cohorte. Une métaanalyse d’études observationnelles plus récente objective un sur-risque non significatif de 20 % de mortalité toutes causes et un surrisque significatif d’événements cardiovasculaires de 43 %(3).
Les résultats des études de cohortes donnent des résultats inconsistants : 43 % de surcroît de risque de mortalité et 70 % de mortalité cardiovasculaire, comparativement à la metformine dans la cohorte britannique Tayside sur 6 000 patients(4) ; augmentation non significative du risque d’infarctus et augmentation significative de la mortalité dans la cohorte UK General Practice Research Database(5), résultats confortés par l’étude des Veterans6 chez plus de 250 000 patients. Au minimum ces études permettent de conclure qu’il existe une différence entre la metformine et les SU.
Inversement, le glibenclamide en monothérapie n’a pas augmenté le risque cardiovasculaire comparé au régime dans l’étude UKPDS. Dans l’étude ADVANCE, il n’a pas été observé de différence entre les sulfamides prescrits dans les deux bras et, dans Bari 2D, aucune différence n’a été observée sur les événements cardiovasculaires entre les deux stratégies de traitement, insulinosensibilisateur versus SU.
Au total, si le recul est important, il ne permet pas de conclure sur la sécurité cardiovasculaire des sulfamides, dont on sait qu’ils peuvent donner des hypoglycémies et qu’ils sont susceptibles d’impacter le préconditionnement ischémique, notamment le glibenclamide.
Dans l’attente des conclusions des études de sécurité cardiovasculaire des inhibiteurs de DPP-4, nous disposons de quelques arguments tirés des évaluations cardiovasculaires incluses dans les études de développement de cette classe thérapeutique. Ces éléments ont été analysés dans le cadre d’une métaanalyse(7) qui montre une réduction du risque cardiovasculaire de 50 % comparativement aux autres thérapeutiques orales. Une autre métaanalyse (E. Manucci, EASD 2011) objectivait une réduction du risque d’événements cardiovasculaires majeurs de 30 %.
En tant que telles ces études n’apportent pas de preuve formelle, pas plus que les études rétrospectives poolées des essais cliniques de chacun des inhibiteurs de DPP-4, qui toutes montrent une tendance positive. Toutefois ces arguments cliniques confortent le rationnel en faveur d’un potentiel effet bénéfique de cette classe thérapeutique basé sur la présence de récepteurs du GLP-1 dans de nombreux tissus cardiovasculaires et des innombrables substrats sur les lesquels les DPP-4 peuvent agir.
Symposium MSD avec la participation de G. Réach (Bobigny), N. Danchin (Paris) et B. Charbonnel (Nantes)
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