Biologie-Explorations
Publié le 14 avr 2013Lecture 10 min
La mesure continue du glucose : pour qui, comment l’utiliser ?
C. VIGERAL, Service de diabétologie, Hôtel-Dieu, Paris
Les analogues de l’insuline et les pompes externes ont contribué à l’amélioration du contrôle du diabète de type 1. Néanmoins, le maintien d’un bon équilibre est tempéré par la survenue d’hypoglycémies, parfois méconnues ou sévères ; il repose sur l’autosurveillance glycémique (ASG) par la mesure de la glycémie capillaire aux moments décidés par le patient. C’est un outil imparfait qui ne renseigne qu’en instantané et en pointillé sur l’équilibre glycémique.
Outre qu’elle permet d’enregistrer en continu le niveau de glucose, la mesure continue du glucose (MCG) informe de l’impact sur la glycémie des activités de la vie quotidienne. La possibilité de régler différentes alarmes permet en outre au patient d’agir en anticipation sur les hypo- ou hyperglycémies. La possibilité de télécharger et partager les données en fait aussi un outil d’éducation.
En pratique, comment l’utiliser avec nos patients, que peut-on en attendre et quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
La MCG : technique et mesures
Depuis plusieurs années, différents systèmes de mesure en temps réel sont disponibles. Les avancées technologiques en font des outils de plus en plus fiables et précis, dont l’utilisation est de plus en plus simple et la miniaturisation actuelle permet une utilisation ambulatoire. Le patient insère lui-même en sous-cutané un capteur qui mesure le glucose dans le milieu interstitiel pendant 5 à 7 jours. Une estimation de la glycémie est calculée à l’aide d’algorithmes et transmise en temps réel par radiofréquence (toutes les 1 à 5 min selon les modèles) à un récepteur porté par le patient. Ce dernier peut être une pompe à insuline (Paradigm® Veo™ de Medtronic ou Animas® Vibe™ de Novalab) ou un moniteur indépendant (Dexcom G4™ Platinum de Novalab) faisant parfois office de lecteur de glycémie (Navigator™ d’Abbott) (figures 1 à 4). Ces deux derniers peuvent être utilisés en masquant les données qui sont alors analysées avec le médecin après téléchargement (utilisation dite « professionnelle »).
Pour fonctionner correctement, le système doit être étalonné grâce à des glycémies capillaires entrées dans le récepteur de 1 à 4 fois par jour selon le fabricant, idéalement en période de glycémie stable. La fiabilité du lecteur de glycémie du patient et la technique d’utilisation (lavage des mains, bandelettes non périmées) doivent être vérifiées pour ne pas conduire à des erreurs de calibration et donc de mesure. Le site d’insertion homologué (l’abdomen et/ou le bras) varie selon le fabricant.
Figure 1. Pompe Animas® Vibe™ et capteur Dexcom G4™.
Figure 2. Pompe Paradigm® Veo™ et capteur Enlite®.
Figure 3. Capteur Dexcom G4™ et son moniteur.
Figure 4. Freestyle Navigator II et son émetteur.
Il faut bien expliquer au patient que, du fait de la technique de mesure, le chiffre qu’il voit s’afficher n’est pas une glycémie, mais une estimation de celle-ci. Les capteurs sont de plus en plus fiables, leur marge d’erreur approche de plus en plus celle des lecteurs, mais en période de variation rapide de la glycémie, il existe un retard de la mesure interstitielle.
Ce délai entre la mesure du glucose interstitiel et la glycémie capillaire tend à se minimiser dans les systèmes de dernière génération, mais il reste de 5 à 10 minutes en période de variation glycémique rapide, comme par exemple lors d’une hypoglycémie ou d’un resucrage. Il est capital que le patient soit informé de cette différence de mesure car il peut la considérer comme une preuve de la non-fiabilité du système et perdre confiance. Il est important que le professionnel de santé y soit sensible également lors du réglage des alarmes et des conseils de resucrage ou d’insuline corrective.
La MCG : 300 chiffres par jour, mais plus que ça !
Les glycémies capillaires, lorsqu’elles sont pratiquées régulièrement au moins 4 fois par jour, sont assez bien corrélées à l’HbA1c. Mais, même chez les patients qui y parviennent, les glycémies capillaires sont des instantanés qui ne présagent que peu du passé et du futur. L’analyse des résultats est souvent un casse-tête pour le patient et le soignant et demande un certain degré d’expertise et d’expérience. Même si les ajustements sont faits le plus « scientifiquement » possible, il reste une bonne part d’intuition ou d’inertie dans les décisions prises, souvent par manque d’informations précises.
La MCG permet d’obtenir un film qui se déroule sur 24 heures, visible en temps réel par le patient ou en rétrospectif par le soignant et le patient. Elle explore des zones d’ombre, telles les périodes postprandiales, les hypoglycémies non ressenties ou la période de sommeil, et donne une indication de la variabilité glycémique. Au-delà de la simple estimation de la glycémie, le système donne une indication sur la variation du glucose ou tendance qui s’affiche sur l’écran sous forme de flèche (stable, vers le bas ou le haut), information précieuse qui permet au patient d’anticiper en prenant les mesures appropriées pour éviter une hypo- ou une hyperglycémie (figure 5). Enfin, les systèmes disposent d’alertes qui peuvent être programmées pour avertir le patient d’une hyper- ou hypoglycémie ou encore d’une variation très brutale de la glycémie. En plus de celles-ci, une alarme hypo non modifiable est fixée par chaque fabricant. La pompe Paradigm® Veo™ dispose d’un arrêt automatique de l’insuline pendant 2 h maximum si le patient ne réagit pas, en cas de glycémie sous un certain seuil.
Il s’agit d’un système complexe qui nécessite une formation spécifique du patient, et aussi du professionnel de santé. Les attentes face à ce dispositif doivent être clarifiées avec chaque patient pour éviter un abandon précoce.
La MCG permet donc au patient de savoir en temps réel où il est, d’où il vient, mais aussi où il va et à quelle vitesse.
Figure 5. Écran du récepteur, ici Dexcom G4™.
Pour quels patients peut-on en attendre un bénéfice ?
Il s’agit de patients diabétiques de type 1, sous basal-bolus (pompe ou multi-injections), formés à la gestion d’un traitement intensifié, au mieux formés à l’insulinothérapie fonctionnelle, et pratiquant une autosurveillance glycémique régulière.
Les recommandations des diverses sociétés savantes résument les utilisations proposées pour une utilisation en continu, au mieux ≥ 70 % du temps. Elles s’appuient sur de nombreuses études randomisées, sauf pour les femmes enceintes ou les patients avec hypoglycémies sévères, encore trop peu étudiés.
Quels bénéfices en attendre (port en continu) ?
Une amélioration de l’équilibre glycémique (0,3 % en moyenne dans la dernière métaanalyse), corrélée à la durée de port du capteur ≥ 70 % du temps (plus difficile à obtenir chez les enfants et adolescents), sans augmentation des épisodes d’hypoglycémie (contrairement au DCCT). Le bénéfice semble perdu après arrêt de la MCG.
Une diminution du temps passé sous le seuil de 70 mg/dl et du temps passé en hyperglycémie, atténuant la variabilité.
Chez la femme enceinte, quelques études montrent une faible diminution de la macrosomie.
Les porteurs de pompe semblent bénéficier un peu plus de la MCG, mais il est possible que ce soit parce que les ajustements nécessaires sont plus simples pour eux (bolus de correction) ou impossibles sous multi-injections (utilisation d’autres types de bolus ou du débit temporaire, voire de plusieurs débits au cours du nycthémère). Les preuves de l’utilité du stop insuline de la pompe Veo™ sont encore faibles, mais elle n’induit pas d’hyperglycémie comme on pouvait le craindre.
Qui paye ?
Le système est remboursé, selon les recommandations locales, aux États-Unis, en Israël et dans certains pays d’Europe avec parfois une réévaluation du bénéfice à 3 mois.
En France, la mesure continue n’est pas remboursée par l’Assurance maladie et il n’y a pas de codification pour la pose du capteur, l’éducation à l’utilisation du système ou l’analyse des courbes après téléchargement. Ceci explique l’utilisation peu fréquente (< 2 % des patients en bénéficient) et majoritairement dite « professionnelle », c’est-à-dire discontinue et limitée à une courte période (90 % des cas). Dans certains cas exceptionnels, une prise en charge est possible, soit de manière dérogatoire auprès de l’assurance maladie, soit par certaines mutuelles.
Le remboursement est à l’étude et un essai demandé par l’HAS devrait bientôt débuter pour répondre, entre autres, à la question bénéfice/coût.
Quand l’utiliser ?
En attendant, on peut proposer plusieurs niveaux d’utilisation qui correspondent à un approfondissement de plus en plus grand de la méthode, un port de plus en plus long et donc à une éducation de plus en plus poussée.
Une utilisation dite « passive » ou rétrospective
Le patient porte le système sans intervenir et les courbes sont analysées avec le médecin après téléchargement. Une période de 15 jours semble optimale pour gommer la grande variabilité glycémique chez les DT1. La formation du patient se limite à la technique de pose et de calibration. Cette utilisation permet de répondre à une question précise sur laquelle on s’est entendu avec le patient, telles la recherche d’hypoglycémies non ressenties, en particulier la nuit, ou d’un phénomène de l’aube, ou l’évolution de la glycémie en postprandial.
Une utilisation permettant au patient d’intervenir
En réagissant aux alarmes hyper ou hypo fixées par le médecin en fonction de chaque patient : cela suppose que le patient soit capable de désactiver une alarme, voire de modifier le seuil en cas d’alarmes intempestives ou trop fréquentes. Il doit en plus être formé aux spécificités de la méthode, en particulier du délai entre la mesure du transmetteur et de la glycémie capillaire en période de variation rapide.
En réagissant à la vitesse de variation, une alarme pouvant être fixée pour une variation supérieure à 3 mg/dl/min par exemple, vers le haut ou vers le bas.
Aucun algorithme de correction n’est validé, certains sont proposés dans les recommandations de la SFD parues récemment. Ils peuvent être utiles en cas d’utilisation brève de la méthode, ou pour guider le patient au début.
Une utilisation à la fois proactive et éducative qui suppose que le système soit porté en continu
Le patient analyse les chiffres et les flèches en temps réel, en dehors même des alarmes, et en déduit les actions les plus adaptées. Par exemple, il peut modifier son mode de resucrage en constatant une montée trop importante après son resucrage « classique » ou, pour une même glycémie, modifier son attitude en fonction de la flèche de tendance avant le sport par exemple.
Lors des visites chez le médecin, le téléchargement et l’analyse des courbes permettra par exemple de valider la meilleure attitude avant le sport ou le meilleur resucrage. L’analyse des courbes est facilitée par les logiciels fournis par les fabricants qui tendent à se simplifier et à donner le maximum d’informations sur une page (figure 6 A et B).
Figure 6. Après quelques jours seulement d’utilisation, arrêt des hypoglycémies sévères et augmentation des valeurs dans la cible. Rapport synthétique sur une page.
Du fait des restrictions dues à l’absence de prise en charge du système, il est possible de proposer une utilisation intermittente, par périodes de 2 à 4 semaines, par exemple pour guider un changement de mode de traitement, une activité sportive, avant et pendant une grossesse. Cette utilisation n’a cependant pas fait ses preuves.
Qu’en pensent les patients dans la vraie vie ?
Une étude sur 150 patients hollandais qui portaient une MCG hors tout protocole depuis > 3 mois retrouve les bénéfices attendus. De plus, ils signalent une grande satisfaction de la méthode, l’impact du diabète sur leur vie a diminué et ils ont fait moins d’hypoglycémies sévères et d’acidocétoses. Ils ont globalement jugé l’alarme hypoglycémie très utile.
Conclusion
La mesure continue du glucose a maintenant clairement prouvé son efficacité dans l’amélioration de l’équilibre du diabète de type 1, sans majoration des hypoglycémies.
Les limites à l’obtention de ces bénéfices sont liées à l’utilisation réelle de la technique (observance) et à l’interprétation des données pour changer positivement le comportement thérapeutique (éducation).
Dans certaines populations (grossesse, hypoglycémies sévères), nous manquons encore de recul pour affirmer son efficacité, mais les résultats disponibles sont prometteurs.
Son utilisation est pour l’instant limitée par l’absence de prise en charge par l’assurance maladie. Les recommandations de nos sociétés savantes sont disponibles depuis peu.
Dans l’avenir, des capteurs moins invasifs et à durée de vie plus longue devraient voir le jour, et la perspective de l’intégration de la MCG dans la boucle fermée est un espoir réaliste.
"Je déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt en rapport avec cet article".
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