30 ans de Cardiologie
Publié le 02 oct 2020Lecture 6 min
Diagnostic moléculaire des maladies cardiaques héréditaires
Gérard LAMBERT, Paris
En quelques décennies, le diagnostic moléculaire des causes de décès d’origine cardiaque chez les patients de moins de 50 ans a beaucoup progressé. Gilles Millat (Laboratoire de cardiogénétique moléculaire, Centre de biologie et pathologie Est, Hospices civils de Lyon) revient sur ces avancées.
Comme l’a souligné Gilles Millat, les cardiomyopathies dilatées (CMD) représentent une cause de mort subite cardiaque non négligeables après 50 ans. En dessous de cet âge, la part causale de la coronaropathie diminue nettement et celle des cardiomyopathies et des arythmies augmente.
CMD et troubles du rythme
Les efforts de recherche des causes moléculaires de ces décès ont donc surtout porté sur les arythmies (QT long avec une prévalence de 1/2 000, le syndrome de Brugada, 1/100 000, et d’autres pathologies comme les tachycardies ventriculaires polymorphes catécholaminergiques, etc.) et les cardiomyopathies (cardiomyopathie hypertrophique avec une prévalence de 1/500, et cardiomyopathie dilatée encore estimée à 1/2 500, ainsi que d’autres pathologies). Si l’on compte l’ensemble des prévalences de ces pathologies, on obtient une prévalence globale de 1/300 sujets qui auraient un risque de mort subite cardiaque. Toutefois, dans des articles plus récents(1), la prévalence de certaines maladies a été revue à la hausse, par exemple à 1/200 pour la cardiomyopathie hypertrophique, ce qui accroît encore le nombre de patients potentiellement menacés (environ une personne sur 100).
Ces deux types de pathologies ont des points communs :
– elles sont complexes et hétérogènes, avec des gènes à pénétrance incomplète et des expressivités variables, ce qui rend les corrélations génotypes/phénotypes difficiles à établir ;
– elles sont le plus souvent de transmission autosomique dominante ;
– les gènes impliqués sont nombreux ;
– un même gène peut être impliqué dans différentes cardiomyopathies et certains d’entre eux sont à la fois mis en cause dans des cardiopathies et des arythmies ;
– il existe une très forte hétérogénéité allélique, autrement dit le nombre de mutations identifiées est très important ;
– il existe même des mutations « privées », chaque famille ayant sa propre mutation.
Malgré ces difficultés, les diagnostics moléculaires permettent de confirmer des diagnostics cliniques, parfois de les modifier, d’éliminer des phénocopies en distinguant par exemple la cardiomyopathie hypertrophique d’une hypertrophie par adaptation à l’effort ou d’une maladie métabolique comme la maladie de Fabri. Il permet aussi de faire du conseil diagnostique en se méfiant toutefois de mutations qui semblent impliquées dans la pathologie mais qui n’ont en réalité pas d’incidence délétère. Surtout, ces diagnostics moléculaires ouvrent des pistes de recherche pour mieux comprendre ces maladies. Ils permettent d’identifier de nouveaux gènes qui y sont impliqués et d’approcher les facteurs épigénétiques et environnementaux ayant une influence sur l’expression clinique.
Évaluer le caractère pathogène des variants
Avec la filière Cardiogen, les principaux laboratoires travaillant sur ce sujet en France (CHU de Nantes, Pitié-Salpêtrière, Lyon, Amiens et Grenoble) ont défini une stratégie applicable sur l’ensemble du territoire français pour explorer les cardiomyopathies, les troubles de rythme et les morts subites. Trois niveaux d’analyse sont distingués :
– étude des gènes les plus fréquemment impliqués dans la pathologie concernée ;
– si la recherche est négative, élargissement à d’autres gènes candidats ;
– lorsque ces examens demeurent négatifs, on élargit à l’exome qui représente l’ensemble des séquences codantes du génome (WES pour wide exome study), voire au génome entier (WGS pour wide genome study).
Cette stratégie a permis l’élaboration d’un premier arbre décisionnel pour les cardiopathies. Dans le cas des cardiopathies hypertrophiques, les 5 premiers gènes explorés codent pour des protéines sarcomériques, parmi lesquelles la myosine et les troponines. Pour les autres cardiomyopathies, l’analyse porte d’emblée sur l’ensemble des gènes connus pour être impliqués dans ces pathologies. Pour les arythmies, qui sont essentiellement liées à des canalopathies, deux niveaux d’exploration génique ont été définis. Toutefois, dans la mesure où ces maladies sont complexes, avec des chevauchements de gènes impliqués dans plusieurs d’entre elles, le centre lyonnais a décidé en 2015 d’explorer d’emblée 95 gènes connus. Depuis, une vingtaine de séquences codantes ont été ajoutées à cette liste et, en 2020, des séquences introniques du gène MYBPC3, non codantes puisque exclues par épissage alternatif, y ont été également intégrées(2).
Avec les moyens modernes de séquençage, des variants sont de plus en plus souvent isolés chez ces patients, ce qui a conduit à les ordonner en 5 classes selon un consensus international. La plupart des variations retrouvées sont de classe 1 ou 2, elles sont considérées comme bénignes ou probablement bénignes respectivement. La classe 3 regroupe les variants de signification inconnue, situation la plus inconfortable, et la 4 ceux qui sont probablement pathogènes, ce qui signifie que leur statut peut éventuellement changer à l’avenir. Enfin, les variants de classe 5 sont identifiés comme des mutations pathogènes, et la stratégie de prise en charge doit être adaptée. Ce classement se fonde sur plusieurs critères : une analyse de ségrégation au sein de la famille afin de vérifier que toutes les personnes atteintes en sont porteuses ; une recherche dans les bases de données, à la fois celles comportant des variants non pathogènes en population saine (gnomAD, https://gnomad.broadinstitute.org/) ou pathogènes ; des analyses in silico, par des logiciels de prédiction. Si ces données ne suffisent pas, des tests in vitro reproduisent la variation identifiée dans des cellules en culture. Il existe notamment un test évaluant l’altération de l’épissage des ARN, un autre portant sur l’observation de la forme des noyaux qui peut être anormal en cas de mutation du gène LMNA, ou encore des épreuves de patch-clamp automatisées. Une autre stratégie de recherche est le recours à des modèles animaux simples, type drosophile, poisson-zèbre (zebrafish) ou le nématode Caenorhabditis elegans. Les laboratoires français échangent leurs résultats via des logiciels à travers lesquels ils vérifient la convergence de leurs travaux et de la classification des variants.
Des diagnostics moléculaires plus fréquents
Depuis 2015 environ 3 500 cas ont été analysés, avec un coût de séquençage pour 100 gènes évalué à 160 euros/patient et un délai de rendu de 2 mois. Dans le cas de la cardiomyopathie dilatée (CMD), ces progrès technologiques et méthodologiques ont permis d’améliorer le diagnostic : le taux de diagnostic moléculaire est passé 7,4 % à 37,8 % entre 2014 et aujourd’hui. Avec ces nouvelles performances, cette pathologie a été intégrée au plan France Médecine Génomique 2025 dont l’un des objectifs est de mettre en place deux plateformes de séquençage génomique à très haut débit : SeqOIA en région parisienne et AURAgen à Lyon. Le génome entier des membres de 300 familles dont certains présentent une CMD doit être séquencé afin de trouver de nouvelles pistes génétiques.
Des études récentes sur la toxicité cardiaque de certaines chimiothérapies, en particulier des anthracyclines, ont montré que les patients développant des insuffisances cardiaques en réponse à ces traitements sont fréquemment porteurs de gènes de susceptibilité décrits notamment pour la CMD(3), une nouvelle voie de recherche sur la prévention de ces effets indésirables. Dans une étude ayant inclus 1 640 sujets sains qui ont bénéficié d’un séquençage de l’exome entier, 38 était porteurs d’un gène dominant actionnable de 59 maladies prédéfinies, 25 d’entre eux présentant un variant pathogène de cardiopathie(4).
D'après la communication de Gilles Millat (Lyon), dans le cadre de la journée "30 ans d'innovation en cardiologie", organisée par Roche Diagnostics France
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