30 ans de Cardiologie
Publié le 02 oct 2020Lecture 5 min
Développement et implémentation de nouveaux biomarqueurs en cardiologie
Faiez Zannad (Inserm U1116, CHRU de Nancy) coordonne le CardioVascular Clinical Trialists Forum (CVCT), un congrès qui existe depuis une vingtaine d’années et se tient depuis 7 ans à Washington, dont l’objet est la science des essais cliniques. Cette manifestation associe l’ensemble des intervenants dans ces études, des agences réglementaires aux patients experts en passant par des sociétés savantes, des investigateurs, statisticiens, des rédacteurs de la presse médicale internationale, etc. Il plaide ici pour le développement de biomarqueurs à visée diagnostique, pronostique, mais aussi pour guider la thérapeutique.
Qualités requises d’un biomarqueur
En clinique, un biomarqueur n’est utile que s’il permet d’adopter une stratégie clinique débouchant sur une meilleure prise en charge(1). Pour identifier un biomarqueur utile en pratique, il faut :
– identifier un besoin non satisfait ;
– trouver un biomarqueur prometteur ;
– que celui-ci ait eu une validation interne et externe (dans des cohortes indépendantes) ;
– surtout il faut apporter la preuve que son utilisation conduit à une meilleure pratique clinique par rapport au traitement de référence ;
– et qu’elle permet d’améliorer l’état de santé du patient ;
– ces conditions étant remplies, il doit être intégré aux recommandations de bonnes pratiques ;
– et avoir fait la démonstration de sa pertinence en vie réelle, notamment au regard du rapport coût/efficacité.
De ces biomarqueurs, les patients attendent un diagnostic rapide permettant de débuter un traitement efficace et bien toléré. Les responsables des systèmes de santé sont attentifs au rapport coût/efficacité et à l’utilité du biomarqueur en termes de santé publique. Le médecin attend un outil diagnostique, mais aussi une assistance à la décision thérapeutique, une indication sur les personnes à traiter, une identification des répondeurs et de ceux susceptibles de développer des effets indésirables, ainsi qu’une évaluation de l’efficacité du traitement (par exemple l’INR pour un traitement anticoagulant). Ainsi, la troponine hypersensible permet un diagnostic plus rapide de l’infarctus du myocarde en 1 h à 3 h, et son utilisation a été intégrée aux recommandations européennes de l’ESC avec un niveau de preuve IB.
Les essais cliniques
Pour illustrer le type d’essais cliniques à développer autour de ces biomarqueurs, F. Zannad a pris comme exemple l’étude PONTIAC(2). Celle-ci a inclus 300 patients âgés en moyenne de 68 ans présentant un diabète de type 2 depuis plus de 15 ans, sans pathologie cardiaque connue et avec un NT-proBNP > 125 pg/ml. Après randomisation, le groupe contrôle a bénéficié d’une optimisation du traitement antidiabétique, tandis que le groupe d’intervention bénéficiait en plus, selon les dosages de NT-proBNP, d’une titration des médicaments du système rénine-angiotensine. Le résultat montre que le traitement intensif améliore significativement le pronostic. Dans cette étude, le biomarqueur permet une réponse clinique, à savoir l’intensification du traitement à visée cardiovasculaire qui améliore le pronostic cardiovasculaire du patient. Dans une étude comparable, STOP-HF(3), 1 374 patients à risque d’insuffisance cardiaque (IC) ont été randomisés en un groupe contrôle recevant le traitement usuel (n = 677) et un autre qui, s’ils présentaient un BNP > 50 pg/ml, étaient adressés à un cardiologue. Grâce au dosage des peptides natriurétiques, le seul fait d’adresser ces patients au spécialiste a permis de réduire significativement la survenue d’une dysfonction systolique gauche, d’une dysfonction diastolique et d’une IC.
Les biomarqueurs sont des outils très utiles en pratique clinique, mais aussi en recherche thérapeutique car ils permettent de prédire l’activité et la sécurité d’une molécule, de screener plusieurs d’entre elles sur une cible et de comprendre leur mécanisme d’action. Dans les essais cliniques ils permettent aussi d’évaluer, en tant que critère de jugement intermédiaire, la relation dose-effet. Avant de développer un biomarqueur pour la pratique clinique, on peut apprendre des études déjà réalisés. Ainsi dans l’étude EMPA-REG OUTCOME(4) qui a évalué l’effet de l’empagliflozine, un inhibiteur du SGLT2 dans le traitement du diabète, l’analyse de médiation des biomarqueurs, c’est-à-dire la recherche du biomarqueur le plus corrélé à l’amélioration clinique, montre que l’hématocrite monte après quelques jours de traitement et reste élevé pendant toute l’étude. Cet effet traduit une action sur le volume plasmatique, un effet analysé depuis avec beaucoup d’intérêt. Cette observation montre que l’HbA1c est un marqueur de risque de complications microvasculaires, mais pas des complications macrovasculaires.
Vers une médecine de précision
Si on prend le cas de l’insuffisance cardiaque de nombreux essais cliniques ont eu, au cours des deux dernières décennies, des résultats neutres ou, pire encore, des effets indésirables graves avec décès de patients. La moxonidine est un médicament qui diminue le tonus adrénergique par action centrale. L’étude(5) qui a testé cette molécule chez des patients avec IC a mis en évidence une surmortalité dans le groupe traité, peut-être parce qu’il aurait fallu sélectionner ceux d’entre eux ayant un tonus adrénergique augmenté. Le bosentan est un autre exemple, il s’agit d’un anti-endothéline, ce marqueur étant associé à un mauvais pronostic CV. Son étude(6) dans l’insuffisance cardiaque s’est traduite par l’absence d’amélioration, voire l’aggravation de certains patients. Ces essais montrent la nécessité de mieux sélectionner les patients qui peuvent potentiellement bénéficier du traitement testé. L’insuffisance cardiaque est une maladie très hétérogène et il serait préférable de cibler certains mécanismes physiopathologiques, comme la fibrose myocardique avec un marqueur comme le CT-1. L’étude RALES(7), qui a testé l’aldactone dans l’IC, confirme l’intérêt de cette stratégie. Les patients insuffisants cardiaques inclus dans cet essai ont été screenés avec des marqueurs de fibrose, les anti-aldostérone étant d’excellent antifibrotiques. Les résultats de l’étude ont montré que le traitement entrainait un bénéfice clinique uniquement chez ceux qui présentaient une fibrose importante à l’inclusion, avec une baisse de mortalité de 50%, mais pas chez les autres patients.
Peu d’essais cliniques de médecine de précision sont actuellement financés par l’industrie pharmaceutique, qui privilégie le développement de blockbusters. Toutefois cela n’est pas le cas en oncologie. Ainsi le traitement par trastuzumab doit être attribué aux patients présentant des récepteurs HER2 qui constituent le biomarqueur prédisant l’efficacité de la molécule. Les médicaments de cardiologie sont plus efficaces que les anticancéreux. Si un traitement de l’IC diminue de 20 % la survenue d’événements il suffit de traiter 50 patients pour éviter un événement, des chiffres qui ne sont pas comparables à ceux de l’oncologie, d’où la nécessité de sélectionner les patients selon leur profil biologique afin d’accroître l’efficacité des thérapies.
L’avenir des biomarqueurs est donc de dépasser le diagnostic et le pronostic pour aller vers des thérapeutiques guidées par les biomarqueurs, une stratégie dont l’efficacité doit être confirmée par des essais cliniques. Pour faciliter leur développement, il faut améliorer le contexte réglementaire et la protection des companion diagnostics, ces biomarqueurs qui impliquent le recours à une thérapie ciblée spécifique. Enfin, il est impératif de collecter des biobanques dans tous les essais cliniques afin de réaliser de multiples examens biologiques, qui profiteront notamment à la recherche de nouveaux biomarqueurs.
D'après la communication de Faiez Zannad (Nancy), dans le cadre de la journée "30 ans d'innovation en cardiologie", organisée par Roche Diagnostics France
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