Publié le 31 jan 2012Lecture 9 min
De Lucy à Mac DO (4e partie)
C. COLETTE, L. MONNIER Institut Universitaire de Recherche Clinique, Montpellier
Le concept d’alimentation méditerranéenne qui comprend de nombreux adeptes est à l’origine des recommandations nutritionnelles.
La recherche du Graal alimentaire a conduit de manière surprenante à un retour vers l’alimentation du passé selon la vieille formule : « C’était mieux avant ».
La simple observation de notre alimentation actuelle montre que les faits sont loin du rêve puisque nous entrons dans une période nouvelle marquée par la surnutrition et les frayeurs alimentaires.
L’ère de la surnutrition
L’inadaptation des recommandations nutritionnelles à la vie réelle des individus est particulièrement évidente si on considère l’évolution des surcharges pondérales et de l’obésité dans les sociétés occidentales. Aux États-Unis, la fréquence de l’obésité dans la population adulte était de 25 % en l’an 2000. Elle risque d’atteindre les 50 % dans les années 2025-2030. La situation n’est guère meilleure en France, l’enquête ObEpi ayant montré que le pourcentage des obèses est passé de 8,5 % en 1997 à 14,7 % en 2009. Dans tous les cas de figure les extrapolations à 20 ans sont alarmantes, si le mode de vie (sédentarité croissante) et les habitudes alimentaires (suralimentation) ne subissent pas des inflexions significatives.
L’obésité, comme tout état pathologique, dépend de facteurs génétiques et environnementaux. L’explosion « épidémique » de l’obésité depuis quelques décennies est considérée par certains comme la révélation clinique, sous l’influence de la suralimentation, d’une prédisposition génétique, restée jusque-là latente. En effet, il a été avancé que, dans le passé, au sein des populations qui étaient menacées de façon chronique par la disette, c’était les plus insulinorésistants et les plus gros qui survivaient le mieux.
Ainsi, au cours des âges, de la préhistoire à nos jours, se serait développée une sélection progressive à bas bruit des sujets insulinorésistants prédisposés à la surcharge pondérale. Jusqu’à une époque récente, ce phénomène a été considéré comme un mécanisme d’adaptation avantageux pour assurer la survie de l’espèce humaine au cours de sa longue histoire. Dans nos sociétés modernes, ce phénomène semble être devenu un handicap qui facilite la survenue d’ « épidémies » d’obésité et de diabète de type 2, en raison du nouveau mode de vie caractérisé par une alimentation abondante et une sédentarité de plus en plus importante.
Sur la figure 1 nous avons indiqué, de manière schématique comment les conditions de vie précaires ont permis chez nos ancêtres la sélection d’un « génotype prédisposé à l’obésité » qui favorise aujourd’hui l’expression, sans cesse croissante, d’un phénotype « obèse ». Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que l’obésité et son cortège de pathologies associées ne cessent d’augmenter. Pour cette raison, leur prévention est devenue un problème prioritaire mais qui est beaucoup plus politique (prévention collective) que médical (prévention individuelle). La prévention collective, à condition que la ou les causes aient été identifiées, a une efficacité toujours supérieure à la prévention individuelle quand il s’agit d’un fléau atteignant une population ou un groupe d’individus relativement important.
Cette observation est parfaitement illustrée par une histoire réelle qui a concerné la cité de Londres au milieu du XIXe siècle. En 1850, Mister Snow, maire de Londres, fut confronté à une épidémie de choléra. Pour résoudre cette épidémie qui avait entraîné un certain nombre de décès, il demanda à ses employés municipaux de passer dans les rues de la ville avec des porte-voix pour inciter la population à plus d’hygiène : se laver soigneusement les mains, éviter de boire de l’eau non bouillie… Au bout de quelques jours, cette prévention de type individuel se solda par un échec retentissant et par le décès supplémentaire de 500 Londoniens. Quelques jours après, un employé des services municipaux détecta qu’un puits de la ville avait été contaminé et qu’il était à l’origine de l’épidémie. Le maire décida de retirer la poignée du puits et l’épidémie cessa. La moralité de cette histoire est qu’une mesure préventive de type collectif s’avère efficace si la cause a été clairement identifiée. Le malheur est que l’obésité n’a pas de cause unique mais qu’elle relève de facteurs multiples. Ceci explique les difficultés et les échecs des mesures préventives même lorsqu’elles tentent d’être collectives.
Figure 1. Représentation schématique du mécanisme avancé pour expliquer la prépondérance sans cesse croissante du phénotype obèse dans les sociétés modernes à partir d’une transformation progressive du génotype de l’espèce humaine au cours des siècles passés. La constitution de l’adiposité est conditionnée par l’équation simple : ∆U (bilan énergétique) = Q – W où Q et W sont respectivement les quantités d’énergie ingérées et dépensées.
L’ère de l’alimentation industrielle
Chercher à combattre les maladies nutritionnelles avec des outils industriels (aliments allégés, alicaments) est devenu l’un des credo de la nutrition moderne. Tout le monde trouve son compte dans cette politique. Les professionnels de santé cherchent dans les aliments allégés et les alicaments une solution de facilité à des problèmes complexes. Passer des heures à expliquer un régime à des patients plus ou moins motivés et plus ou moins compliants à des mesures diététiques n’est guère valorisant.
Pour les industriels de l’agroalimentaire et pour la grande distribution, les aliments « modifiés », qu’ils soient allégés, supplémentés ou reconstitués, sont une source de revenu supplémentaire. Le problème est que l’utilisation exclusive d’aliments modifiés, allégés en particulier, sans accompagnement diététique, n’a jamais permis d’obtenir une perte de poids significative et durable chez les consommateurs de ce type de produits. Par ailleurs, les soi-disant alicaments sont loin d’avoir toutes les valeurs qu’on leur prête. Le terme d’alicament qu’il est préférable d’appeler aliment fonctionnel sous-entend que le produit en question aurait des propriétés médicamenteuses. Ce type de définition conduit à la notion d’allégations, qui peuvent être qualifiées par ordre croissant d’allégations nutritionnelles, fonctionnelles, santé ou maladie. À titre d’exemple, une margarine enrichie en phytostérols peut être considérée comme un alicament ayant trois allégations : une allégation nutritionnelle (enrichie en stérols d’origine végétale), une allégation fonctionnelle (elle intervient dans l’absorption intestinale du cholestérol) et une allégation santé (elle diminue de 10 à 15 % le taux du LDL-cholestérol). Par contre, elle ne peut avoir d’allégation maladie car aucune étude n’a prouvé qu’un régime riche en phytostérols diminue la morbi-mortalité cardiovasculaire.
Les allégations abusives sont malheureusement utilisées trop fréquemment pour certains aliments afin de leur conférer des vertus préventives ou curatives qu’ils n’ont pas, le seul but étant d’augmenter leur prix de vente. Pour que les allégations soient reconnues, il faudrait que les alicaments passent par les mêmes essais thérapeutiques que les médicaments, ce qui n’est malheureusement pas le cas. Pour conclure ce chapitre, l’alimentation industrielle n’est pas dépourvue d’atouts mais les slogans souvent publicitaires qui l’entourent devraient être mieux encadrés.
L’ère des frayeurs alimentaires
L’homme est un omnivore… conditionné par des frayeurs nutritionnelles qui peuvent être individuelles ou collectives. Nous ne développerons pas dans cet article les néophobies, les comportements lipophobes ou cholestérophobes et nous nous contenterons de prendre deux exemples de frayeurs alimentaires collectives. L’une est la peur des organismes génétiquement modifiés (OGM), qui reste au cœur de l’actualité. L’autre, l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) est un peu passée de mode mais son retour sur la scène clinique et médiatique est toujours possible.
Les OGM
La crainte des OGM est régulièrement entretenue par des groupes de pression dont les motivations sont plus ou moins bien définies. Il convient de savoir que les OGM sont obtenus par transfert d’un gène d’intérêt dans une plante donnée (maïs, soja, etc.) afin de lui faire fabriquer une protéine qui la rend résistante à l’action de certains agresseurs : insectes ravageurs du maïs comme la pyrale, ou herbicides utilisés par l’homme pour détruire les mauvaises herbes1. La finalité noble des OGM est normalement de réduire les quantités de pesticides ou d’herbicides qui doivent être utilisées dans l’agriculture. En revanche, le risque est de voir certaines sociétés industrielles devenir propriétaires de brevets mettant à leur merci les agriculteurs et les exploitants agricoles qui deviendraient totalement dépendants de ces grandes holdings industrielles pour se procurer les semences indispensables.
Le deuxième risque est écologique si le gène inséré dans le génome d’une plante (gène de résistance aux herbicides) est transféré par pollinisation sur une autre plante (mauvaise herbe) qui deviendrait ainsi résistante aux herbicides utilisés.
Malgré les craintes exprimées par les écologistes, les OGM ont envahi le continent nord-américain. En 2010, les cultures de maïs et de soja transgénique résistants aux herbicides (HT) ont atteint les pourcentages respectifs de 70 % et 93 % aux États-Unis (figure 2)2. En conséquence, les combats d’arrière-garde, menés par les écologistes européens, qui se cantonnent dans le front du refus systématique, sont voués à l’échec. Ne vaudrait-il pas mieux dans ces conditions essayer d’encadrer plutôt que de refuser ce qui est devenu incontournable ?
Figure 2. Évolution au cours du temps du pourcentage des surfaces cultivées (exprimées en acres) occupées par le soja et le maïs transgéniques aux États-Unis (d’après2).
La grande peur des années 2000 : l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou maladie de la vache folle
Les encéphalopathies spongiformes animales ou humaines ont été fortement médiatisées à la fin des années 1990 comme s’il s’agissait de maladies nouvelles.
La « scrapie » ou tremblante du mouton est connue depuis 1750. Transmissible d’ovin à ovin, elle n’est pas en principe transmissible à l’homme. Le « Kuru », maladie humaine, est connu depuis les années 19603. Décrite par Gajdusek (prix Nobel 1976) dans une tribu de Nouvelle-Guinée se livrant à un cannibalisme rituel sur les personnes venant de décéder, elle a établi la possibilité de transmission d’homme à homme d’une maladie se déclarant après une longue période d’incubation sous la forme d’une encéphalopathie mortelle.
Les travaux de Gajdusek sont particulièrement intéressants car ils ont montré que les hommes de cette tribu qui consommaient les organes considérés comme nobles (muscles) ne développaient pas la maladie alors que les femmes et les enfants qui consommaient les abats (cerveau, foie, reins, etc.) étaient atteints par la maladie. Ce constat permit à Gajdusek d’établir le lien entre l’alimentation cannibalesque de cette tribu et l’encéphalopathie spongiforme nommée « Kuru ».
En 1986, les premiers cas de « vaches folles » sont détectés en Angleterre mais ce n’est qu’en 1995 que les premiers cas d’encéphalopathies spongiformes humaines, transmises par les bovins, apparaissent au Royaume-Uni où près de 80 personnes par an sont atteintes par cette maladie. Bien que le lien entre l’alimentation et la maladie n’ait été établi que pour quelques dizaines d’entre elles, cette affection suscita une grande inquiétude pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’agent contaminant était et reste mal connu. A priori, il semble s’agir d’une protéine, le prion, contenue dans les abats d’animaux et, de ce fait, dans les farines animales utilisées pour leur alimentation.
L’hypothèse du prion a été émise par Stanley Prusiner. Le prix Nobel de médecine lui fut décerné en 1998 pour ce concept qui bouleverse les modes de transmission des maladies dites « infectieuses ». En effet, le prion semble se jouer des barrières d’espèces en pouvant passer d’une espèce animale à une autre par voie alimentaire. L’inquiétude fut majorée par le fait que la maladie reste à ce jour incurable.
Il y a dix ans, en l’an 2000, le nombre des victimes potentielles avait été largement surestimé. Aujourd’hui, plus personne ne parle de l’ESB qui semble avoir disparu4. En fait, c’est grâce au retrait des farines animales et à l’abattage massif du cheptel bovin au Royaume-Uni que l’éradication de cette maladie a pu être obtenue. Les mesures qui furent prises constituent a posteriori un modèle à verser au crédit de l’action combinée et pour une fois intelligente des scientifiques et des politiques. Les premiers avaient décelé la cause d’une maladie tandis que les seconds avaient pris les bonnes décisions.
La saga alimentaire n’est sûrement pas terminée. Quel sera le futur de l’alimentation ? Nul ne le sait.
Certains évoquent déjà la nutrigénétique, c’est-à-dire la personnalisation de l’alimentation en fonction de la carte génétique des individus.
Pour l’instant et avec les contraintes économiques qui se profilent à l’horizon, les objectifs seront peut-être d’essayer d’éviter les maladies nutritionnelles liées à la surabondance alimentaire dans les pays développés et de tenter de réduire la sous-nutrition dans les pays en voie de développement et dans les couches sociales défavorisées dans tous les pays du monde, quel que soit leur statut économique.
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