Insuline
Publié le 31 mai 2010Lecture 11 min
Peut-on, doit-on associer d’autres hypoglycémiants à l’insuline dans le diabète de type 2 ? Si oui, lesquels ?
L. MONNIER, C. COLETTE, Institut Universitaire de Recherche Clinique, Montpellier
Il est bien connu que l’action des antidiabétiques oraux s’épuise avec le temps dans le diabète de type 2. Dans ce cas, l’insulinothérapie devient incontournable1 bien que les analogues du GLP-1 puissent représenter une solution de recours transitoire. Les états de pléthore et d’insulinorésistance qui accompagnent le diabète de type 2 expliquent que les doses d’insuline nécessaires pour contrôler les désordres glycémiques soient souvent élevées et qu’elles ne cessent d’augmenter à partir du moment où l’insulinothérapie a été instaurée2,3. L’augmentation des doses d’insuline est associée à une prise pondérale.
Par ailleurs, il n’est pas exclu que les fortes doses d’insuline n’aient pas un effet délétère en favorisant la survenue de néoplasies4. Ainsi, pour de nombreuses raisons, il semble préférable que les doses d’insuline chez le diabétique de type 2 soient les plus faibles possibles.
Les esprits cartésiens diront : il faut combiner l’insulinothérapie avec des mesures diététiques5 afin que la prise de poids soit la plus faible possible et que l’insulinorésistance cesse de s’accroître. D’autres diront que les mesures diététiques sont insuffisantes ou qu’elles sont mal appliquées par les patients. Dans ces conditions, pourquoi ne pas recourir à des thérapeutiques pharmacologiques associées, soit pour réduire l’insulinorésistance, soit pour stimuler l’insulinosécrétion résiduelle.
Dans tous les cas, l’objectif est d’ « économiser » les besoins en insuline exogène pour permettre une insulinothérapie aux doses minimales efficaces.
Cette revue est destinée à savoir quelles sont les thérapeutiques pharmacologiques qui sont les plus intéressantes en association avec l’insuline chez les patients atteints d’un diabète de type 2 ayant nécessité un traitement insulinique.
Insuline + insulino-sensibilisateurs
Cette association est largement utilisée dans le monde depuis de nombreuses années, en particulier pour l’association insuline-metformine6. L’insuline et les insulinosensibilisateurs ont une action synergique sur le métabolisme du glucose. Considérons schématiquement que la régulation de la glycémie dépend de deux flux de glucose : l’un entrant qui est la production du glucose par le foie ; l’autre sortant qui correspond à l’utilisation du glucose par les tissus périphériques (figure 1).
Les insulinosensibilisateurs, en renforçant l’action de l’insuline exogène au niveau des tissus périphériques permettent une meilleure utilisation du glucose. De plus, par leur effet sur les cellules hépatiques, ils potentialisent l’action frénatrice de l’insuline sur la production hépatique du glucose. Ce mécanisme d’action global mérite toutefois d’être explicité de manière un peu plus détaillée car l’insuline, après injection sous-cutanée, est déversée dans la circulation systémique. L’augmentation de la concentration insulinique plasmatique active l’utilisation du glucose au niveau des tissus périphériques, en particulier au niveau du muscle. En revanche, la concentration en insuline dans la veine porte n’est pas directement influencée par l’administration sous-cutanée d’insuline. Cela explique que l’action frénatrice de l’insuline exogène sur la production hépatique du glucose demeure incomplète. L’adjonction d’un insulinosensibilisateur, en particulier lorsqu’il exerce son action au niveau du foie comme la metformine, est donc intéressante pour faciliter l’action hypoglycémiante de l’insuline (figure 1).
Figure 1. Action de l’insuline exogène et d’un insulinosensibilisateur sur les flux de glucose. L’insuline exogène stimule l’utilisation du glucose (flux sortant). Les insulinosensibilisateurs (metformine et glitazones) renforcent l’action de l’insuline au niveau périphérique (flux sortant). Par ailleurs ces médicaments et plus particulièrement la metformine freinent la production hépatique de glucose (flux entrant). L’insuline et les insulinosensibilisateurs exercent donc une action hypoglycémiante synergique en augmentant le flux sortant et en freinant le flux entrant de glucose.
En compilant les résultats de la littérature, il apparaît que les insulinosensibilisateurs, en association avec l’insuline, entraînent une baisse supplémentaire de l’HbA1c de l’ordre de 1 à 2 %, la baisse étant plus proche de 2 % avec la metformine et de 1 % avec les glitazones7.
Les deux classes thérapeutiques conduisent à une économie des doses d’insuline mais la prescription des glitazones s’accompagne d’une prise de poids non négligeable alors que la metformine est globalement neutre vis-à-vis du poids. Ainsi, il apparaît que c’est la metformine qui est l’insulinosensibilisateur le plus approprié pour être associé à l’insuline chez les diabétiques de type 2 soumis à un traitement insulinique.
Bien que les glitazones ne soient pas totalement contre-indiquées chez ces patients, nous pensons qu’il est préférable d’éviter les associations insuline-glitazones car ces deux classes thérapeutiques favorisent la prise de poids et les rétentions hydrosodées.
En revanche, l’association insuline-glitazones est à proscrire de manière impérative chaque fois qu’il y a une suspicion d’insuffisance cardiaque aussi minime soit-elle.
Les différences observées en clinique entre les effets de la metformine et des glitazones sont en accord avec le mode d’action des deux médicaments. Tous deux sont des insulinosensibilisateurs qui agissent à la fois sur la production hépatique du glucose et sur son utilisation périphérique8. Toutefois, il a été clairement démontré que la metformine agit davantage sur la production hépatique du glucose que sur l’utilisation périphérique alors que les glitazones font l’inverse8. Dans ces conditions, on comprend que la synergie insuline-metformine soit meilleure que la synergie insuline-glitazones. En effet, l’association insuline exogène-metformine agit à la fois sur les flux entrant et sortant de glucose alors que l’association insuline exogène-glitazones exerce la majorité de ses effets sur le flux sortant.
Au final, l’association insuline-metformine est fortement conseillée après avoir éliminé toute contre-indication à l’utilisation de la metformine. En revanche, notre opinion est que l’association insuline-glitazones est à éviter ou à utiliser de manière réfléchie après avoir pesé le pour et le contre.
Insuline + insulino-sécrétagogues
Sur le plan physiopathologique, cette association ne bénéficie pas a priori d’un pronostic favorable puisque l’insuline injectée par voie sous-cutanée va freiner la sécrétion insulinique endogène. Dans ces conditions, il paraît surprenant de proposer un traitement par insulinosécrétagogues chez des patients dont la sécrétion endogène a été mise au repos. Comme nous l’avons indiqué plus haut, l’insuline exogène ne peut atteindre la circulation de la veine porte qu’après un long circuit pendant lequel elle a le temps d’être utilisée ou catabolisée. L’insulinothérapie par voie sous-cutanée ne permet donc pas de restaurer une concentration insulinique normale dans le tronc porte.
Cette analyse physiopathologique permet de comprendre pourquoi l’association insuline-insulinosécrétagogue du type sulfonylurée n’est pas une ineptie conceptuelle et pourquoi elle a été testée. En effet, la sulfonylurée en stimulant la sécrétion bêta-langerhansienne entraîne une augmentation de la concentration insulinique dans la veine porte. Cette augmentation freine à son tour la production hépatique de glucose (figure 2).
Les associations insuline-insulinosécrétagogues ont fait l’objet de nombreux essais thérapeutiques9. Les résultats montrent que l’association sulfonylurée-insuline entraîne une baisse de l’HbA1c comprise entre 0,5 et 1 %. Les associations insuline-sulfonylurées sont caractérisées par une prise de poids un peu plus importante que les schémas thérapeutiques sans utilisation de sulfonylurées10. L’association insuline-glibenclamide permet en général de réduire les doses d’insuline. La plupart des associations insuline-sulfonylurées ont été réalisées en utilisant le glibenclamide (glyburide) mais d’autres études ont été conduites avec le glimépiride ou le glipizide. Avec le glipizide, il a été démontré que son adjonction à l’insuline administrée au coucher donne des résultats supérieurs à l’injection d’insuline seule en termes d’équilibre glycémique. Avec le glimépiride, des résultats bénéfiques ont été observés au début du traitement mais, au bout de 8 semaines, la baisse de la glycémie à jeun s’est avérée identique, que l’insuline soit associée au glimépiride ou au placebo. En revanche, les doses quotidiennes d’insuline ont été deux fois plus faibles dans le groupe insuline-glimépiride que dans le groupe insuline seule.
Le répaglinide, qui est un agoniste des récepteurs aux sulfonylurées mais dont l’action est plus courte, a été également testé en association avec l’insuline. Les résultats montrent que cette classe de médicaments améliore l’équilibre des diabétiques traités par une insuline NPH administrée au coucher11.
Figure 2. Action de l’insuline exogène et d’un insulinosécrétagogue type sulfonylurée sur les flux de glucose. L’insuline exogène stimule l’utilisation du flux sortant par son effet systémique mais elle atteint peu ou mal la circulation porte, les insulinosécrétagogues, type sulfonylurées, restaurent une partie de la concentration d’insuline dans la veine porte, ce qui freine la production hépatique de glucose (flux entrant). L’insuline et les sulfonylurées ont donc une action synergique.
Au final, les insulinosécrétagogues du type sulfonylurée sont dans l’ensemble moins efficaces que les insulinosensibilisateurs, en particulier la metformine, en association avec l’insuline. En revanche, ils permettent de réduire les doses d’insuline et sont surtout intéressants chez des patients traités par une seule injection d’insuline avant le dîner ou au coucher. Dans cette situation, l’insuline d’action intermédiaire (NPH) ou prolongée (glargine ou detemir) assure la couverture des besoins insuliniques nocturnes tandis que l’insulinosécrétagogue rétablit une insulinosécrétion plus ou moins correcte pendant la période diurne de la journée.
Cette stratégie ne peut donner des résultats que s’il persiste une insulinosécrétion résiduelle. Lorsque le sujet a besoin de 2 injections d’insuline (avant le petit-déjeuner et avant le dîner) et a fortiori lorsque le sujet est soumis à un schéma basal-plus ou basal-bolus, les insulinosécrétagogues de type sulfonylurée ou glinide deviennent souvent inefficaces et il est inutile de les poursuivre.
Insuline + nouveaux insulino-sécrétagogues
Depuis quelques années la classe des insulinosécrétagogues s’est enrichie avec des médications agissant par la voie des incrétines : les incrétino-modulateurs (inhibiteurs de la DPP-4 ou gliptines) et les incrétino-mimétiques (analogues du GLP-1). L’utilisation de ces médicaments en association avec l’insuline peut être justifiée par deux types de considérations.
La première rejoint les arguments que nous avons développés pour les sulfonylurées puisque les gliptines et les analogues du GLP-1 sont des insulinosécrétagogues, même si leur mode d’action est totalement différent de celui des sulfonylurées et des gliptines. Par ailleurs, les médicaments agissant par la voie de incrétines ont, en plus de leur effet insulinotrope, une action glucagonostatique qui leur permet de réduire l’insulinorésistance. Leur double action à la fois sur l’insulinosécrétion et sur l’insulinorésistance fait de ces produits des candidats intéressants pour une utilisation en association avec l’insuline.
Qu’en est-il en réalité ? Les essais thérapeutiques qui ont été conduits à ce jour restent rares. La vildagliptine associée à l’insuline entraîne une baisse de l’HbA1c de l’ordre de 0,3 %12. Les résultats un peu décevants de cette étude méritent toutefois d’être infirmés ou confirmés par d’autres études. L’addition d’exénatide à l’insuline a fait l’objet d’un travail récemment publié13. Cette étude, bien qu’elle soit rétrospective à partir de registres, a montré, chez les patients sous exénatide, une baisse de l’HbA1c de l’ordre de 0,5 %. Le poids a régulièrement diminué, la perte de poids se stabilisant aux alentours de – 6 kg dans la 2e année du traitement. En ce qui concerne les doses d’insuline, l’épargne a été de l’ordre de 13 à 15 % au début du traitement. Comme pour les inhibiteurs de la DPP-4, ces résultats méritent d’être validés par d’autres études.
De manière générale, les résultats obtenus avec les gliptines et les analogues du GLP-1 semblent indiquer que les bénéfices obtenus en termes d’HbA1c sont plutôt faibles (- 0,3 à - 0,5 %). Les résultats les plus intéressants semblent être la perte de poids et l’économie réalisée sur les doses d’insuline.
Insuline + acarbose
L’acarbose, inhibiteur des alphaglucosidases, peut être intéressant en association avec l’insuline pour amortir les excursions glycémiques postprandiales. Toutefois, il convient de souligner que les améliorations de l’HbA1c sont minimes, ce qui n’est pas étonnant pour une médication qui est surtout destinée à combattre l’hyperglycémie postprandiale. Les essais thérapeutiques ont montré une réduction de l’HbA1c de l’ordre de 0,4 % quand les groupes insuline + acarbose ont été comparés à des groupes insuline + placebo14.
Synthèse des résultats obtenus
Ils sont résumés sur la figure 3. Trois paramètres principaux sont considérés : l’amélioration de l’HbA1c , les variations de poids et les variations des doses d’insuline.
Figure 3. Actions comparées de différents hypoglycémiants non insuliniques sur la baisse de l’HbA1c , les variations de poids et la réduction des doses d’insuline, lorsqu’ils sont associés à l’insuline chez des diabétiques de type 2. Pour l’action sur l’HbA1c , il apparaît que l’ordre d’efficacité décroissant des médicaments est le suivant : insulinosensibilisateurs agissant sur la glycémie basale (metformine et thiazolidinediones > insulinosécrétagogues agissant sur la glycémie basale (sulfonylurées) > médicaments agissant sur la glycémie postprandiale, qu’ils soient des insulinosécrétagogues (gliptines ou analogues du GLP1) ou non (acarbose).
Efficacité sur l’HbA1c : de manière générale, chez un diabétique de type 2, l’ordre décroissant d’efficacité des médicaments hypoglycémiants non insuliniques sur l’HbA1c chez des malades déjà traités par insuline est le suivant : metformine (- 1,5 à – 2 %) > glitazones (- 1 %) > insulinosécrétagogues (-0,3 à 1 %), que leur action passe ou non par les voies des incrétines. La chute est un peu plus forte pour les insulinosécrétagogues qui agissent sur la glycémie basale comme les sulfonylurées (0,5 à 1 %) que pour ceux qui agissent sur la glycémie postprandiale (0,3 à 0,5 %) comme les gliptines ou les analogues du GLP-1. L’action de l’acarbose est voisine de celle des insulinosécrétagogues agissant par la voie de incrétines.
Effet sur la glycémie basale : globalement, ce sont les insulinosensibilisateurs actifs sur la glycémie basale qui sont les plus efficaces. Les insulinosécrétagogues à visée basale se situent en dessous. Les moins efficaces sont les médicaments qui agissent sur la glycémie postprandiale, quel que soit leur mode d’action : insulinosécrétagogues postprandiaux (médicaments agissant par la voie des incrétines) ou inhibiteurs des enzymes intestinaux (acarbose).
En termes de variation pondérale, les analogues du GLP-1 entraînent une baisse de poids. La metformine, les inhibiteurs de la DPP-4 et l’acarbose ont un effet neutre bien que la metformine puisse s’accompagner d’une petite perte pondérale. Tous les autres médicaments et surtout les glitazones font prendre du poids.
La réduction des doses d’insuline est observée avec tous les médicaments, cette épargne étant surtout marquée avec la metformine, les associations metformine-sulfonylurées et les analogues du GLP-1. Les effets de l’acarbose restent mal documentés dans ce domaine.
En pratique
L’association avec l’insuline est autorisée avec la metformine, les sulfonylurées, l’acarbose et les thiazolidinediones. Elle est intéressante avec la metformine car cette association est bénéfique à la fois sur l’HbA1c , sur le poids et sur les doses d’insuline. Elle est moyennement intéressante avec l’acarbose et les sulfonylurées : réduction modérée de l’HbA1c, économie des doses d’insuline pour les sulfonylurées mais prise de poids avec cette dernière classe thérapeutique.
La pertinence de l’association thiazonidinediones-insuline est douteuse en raison des prises de poids. À notre avis elle n’est pas justifiée.
Les associations insuline et insulinosécrétagogues agissant par la voie des incrétines restent actuellement mal documentées. L’avenir dira si cette association est ou non pertinente.
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