Publié le 31 aoû 2011Lecture 8 min
Metformine et mortalité en prévention cardiovasculaire secondaire - Un bénéfice conséquent, des contre-indications remises en question
R. ROUSSEL, Hôpital Bichat, Paris ; Université Denis Diderot, Paris 7 ; Inserm, U 695.
La metformine est indiquée en première ligne de traitement du diabète de type 2, place justifiée par un niveau de preuve très élevé en prévention cardiovasculaire. Les données du registre REACH, analysant les diabétiques de type 2 en prévention secondaire cardiovasculaire, confirment le bien-fondé de cette recommandation.
La metformine en première ligne depuis 1998
La metformine est la première ligne de traitement médicamenteux dans le diabète de type 2, une place justifiée par les résultats d’UKPDS (United Kingdom Prospective Diabetes Study) publiés en 19981. Chacun connaît le résultat de l’étude principale, comparant le traitement intensif (viser la normoglycémie) à la prise en charge conventionnelle (éviter les symptômes d’hyperglycémie ou une glycémie à jeun > 15 mmol/l), chez des diabétiques jeunes (52 ans en moyenne), de diagnostic récent (moins de 24 mois et sans antécédent cardiovasculaire dans leur grande majorité).
Plusieurs autres études étaient greffées à la question principale, par exemple la comparaison des premières lignes médicamenteuses en cas de surpoids. Chez les 1 704 sujets en surpoids (défini par un poids > 120 % du poids idéal), 411 ont été tirés au sort pour le groupe conventionnel et 1 293 pour le groupe intensif ; ces derniers avaient un nouveau tirage au sort, leur attribuant la première ligne du traitement intensif : 342 pour la metformine (850 mg trois fois par jour) et 951 pour insuline ou sulfamides.
Sous metformine, l’incidence des événements liés au diabète et la mortalité totale étaient réduites d’environ un tiers comparativement au groupe de traitement conventionnel, mais aussi aux autres groupes de traitement intensif, conférant un bénéfice propre, au-delà du contrôle glycémique, à la metformine chez des diabétiques de faible durée de la maladie1. Dans l’article analysant les données accumulées pendant la dizaine d’années qui ont suivi la fin de l’essai UKPDS, le bénéfice associé à la metformine se confirmait2.
Le diabète reste un facteur pronostique majeur pour les patients en prévention cardiovasculaire secondaire
Le diabète est un facteur de risque cardiovasculaire ; il double quasiment le risque de survenue d’un événement coronarien ou cérébrovasculaire. Mais une fois que l’athérosclérose a déjà entraîné un événement, la valeur pronostique du diabète est-elle atténuée ? Il n’en est rien : qu’il y ait une atteinte patente d’un, deux ou trois lits artériels parmi les coronaires, les artères cérébrales ou celles des membres inférieurs, le diabète rajoutera toujours un risque supplémentaire de nouvel événement ou de décès par rapport à des sujets non diabétiques ayant des artères aussi malades3.
La metformine est sous-utilisée chez les diabétiques à plus haut risque
Les diabétiques sont donc à haut risque cardiovasculaire, et le diabète ajoute un risque supplémentaire à celui de l’athérosclérose déjà patente. Comme la metformine a le plus haut niveau de preuve de prévention cardiovasculaire parmi les médicaments antidiabétiques, elle devrait être d’autant plus prescrite. Pourtant, c’est l’inverse que l’on observe.
Dans les essais thérapeutiques récents de grande envergure, tout juste une faible majorité des patients étaient traités par metformine à l’inclusion : 57 % dans Pro-ACTIVE, 61 % dans ADVANCE et 60 % dans ACCORD. Parmi les autres patients, sans doute une proportion non négligeable était intolérante à la molécule sur le plan digestif, encore que l’on sait à quel point les intolérances réputées ne sont pas toujours vérifiées si l’on prend la peine de réintroduire le traitement à faible dose et avec des prises en fin de repas.
Et les autres, des contre-indications ? C’est peu probable : d’une part, les sujets inclus dans ces études sont très sélectionnés, notamment sur le plan rénal, mais aussi les médecins sont réputés ne pas être respectueux de ces contre-indications ! Du reste, le doute plane sur certaines d’entre elles. En 2005, Masoudi a publié une analyse observationnelle sur la survie de patients diabétiques âgés dans l’année qui suivait leur hospitalisation pour insuffisance cardiaque aiguë : elle était améliorée pour les patients traités par metformine à la sortie de cette hospitalisation, même si on ajustait l’analyse sur les facteurs de confusion disponibles4.
Le registre REACH, l’outil parfait les études épidémiologiques chez les sujets à risque
Les études observationnelles trouvent leurs limites dans l’incomparabilité des groupes de patients, un défaut que seul le tirage au sort des essais randomisés peut corriger complètement. Cependant des outils statistiques ont été développés pour réduire la portée des biais des études observationnelles. Pour ce faire, il faut disposer du maximum des caractéristiques qui diffèrent entre les groupes à comparer.
De ce point de vue, REACH (Reduction of Atherothrombosis for Continued Health Registry) est quasi parfait pour juger du risque cardiovasculaire, car il a été dessiné exactement pour décrire comment les patients à travers le monde (44 pays ont participé) à haut risque cardiovasculaire étaient traités et comment leurs facteurs de risque étaient contrôlés. Il fournit donc de façon presque exhaustive les caractéristiques des patients pertinentes pour le risque et qui vont pouvoir être utilisées comme facteur d’ajustement ou covariables des analyses logistiques qui visent à identifier les facteurs pronostiques de mortalité. Ces caractéristiques vont aussi être mises à profit pour calculer un score de propension à recevoir la metformine : en l’intégrant dans les analyses multivariées, on limite encore plus l’impact du biais d’indication, qui traduit que les patients sous metformine ont des caractéristiques moyennes particulières, comme une meilleure fonction rénale ou une corpulence plus importante.
Les diabétiques en prévention secondaire de REACH
La question posée portant sur le bénéfice de la metformine pour les sujets à haut risque (pour les autres, la preuve est déjà faite avec l’étude UKPDS), nous nous sommes limités aux près de 20 000 diabétiques en prévention secondaire de REACH, c’est-à-dire les patients ayant eu un accident cérébrovasculaire ou un infarctus du myocarde, ou ayant une insuffisance coronarienne ou une artérite oblitérante des membres inférieurs documentée5. Les sujets avaient 68 ans en moyenne et se répartissaient ainsi : 7 457 recevant la metformine, 12 234 en étaient dépourvus, soit environ 60 %. La prescription de metformine était légèrement plus fréquente chez les plus jeunes (67 contre 69 ans), les plus corpulents, et était, en revanche, associée avec un bilan lipidique moins favorable (triglycérides plus élevés). Les sujets traités par metformine avaient une pathologie artérielle moins sévère (moins de lits artériels atteints en moyenne) et recevaient un traitement plus conforme aux recommandations (statines, anti-agrégants, etc.). On le voit, il était primordial de tenir compte de ces différences dans les analyses multivariées pour limiter les biais statistiques.
La metformine est associée à une réduction de la mortalité de 24 %
Les courbes de survie au cours des 2 ans d’observation du registre REACH sont représentées dans la figure. Les taux de mortalité bruts sont de 6,3 et de 9,8 % sur 2 ans, avec et sans metformine respectivement. Cette différence de 33 % est cependant pour partie liée à des facteurs confondants. En ajustant l’analyse de survie sur tous les facteurs identifiés et le score de propension, la réduction de mortalité associée à la metformine reste majeure, de 24 %. L’intervalle de confiance à 95 % s’étend de 11 à 35 %, p < 0,001 ; la borne inférieure est suffisamment éloignée de la neutralité (réduction nulle) pour soutenir que les biais résiduels, ceux que l’on n’a pas su corriger, n’expliquent pas à eux seuls le bénéfice associé ici à la metformine. Notons que l’ordre de grandeur est très proche de la réduction de la mortalité associée à la metformine dans l’étude UKPDS.
La taille de l’échantillon permettait aussi de s’intéresser à divers sous-groupe de patients : l’observation d’une réduction de la mortalité associée à la metformine semblait tout aussi pertinente et d’un ordre de grandeur similaire chez les patients âgés (au moins jusqu’à 80 ans), les insuffisants rénaux modérés (clairance de la créatinine estimée entre 30 et 60 ml/min), les patients avec antécédent d’insuffisance cardiaque, ceux qui recevaient par ailleurs un sulfamide ou de l’insuline.
La généralité du bénéfice semble donc être grande, et remet en cause certaines contre-indications que la revue de la littérature n’étaye à vrai dire guère.
Figure. Courbes de mortalité sur 2 ans en fonction de l'exposition à la metformine pour les diabétiques en prévention cardiovasculaire secondaire du registre REACH.
Les mécanismes de ce bénéfice restent mystérieux
L’une des embûches de ce type de registre, comme aussi de grands essais thérapeutiques, est la difficulté d’adjudication des événements ; cette raison explique que l’on se soit basé sur la mortalité, un événement pertinent et difficilement discutable, comme critère de jugement. Cependant les investigateurs étaient tenus de rapporter la cause du décès, si elle était cardiovasculaire. En répétant l’analyse, on s’apercevait que la metformine était associée avec une réduction du même ordre de grandeur de la mortalité cardiovasculaire et non cardiovasculaire. Certes, les causes majeures de décès de diabétiques en prévention secondaire sont cardiovasculaires, mais le cancer est aussi plus fréquent chez les diabétiques. Cette observation rejoint donc les nombreuses autres actuellement publiées supportant une réduction de l’incidence des cancers solides et de la mortalité induite par la metformine.
Au delà de cet aspect, il faut reconnaître que les pistes manquent pour éclairer le bénéfice cardiovasculaire. En 2009, Kooy publiait un essai évaluant la metformine chez des diabétiques sous insuline, contre placebo6. L’objectif était justement de juger des facteurs cardiovasculaires (au-delà du contrôle glycémique) sous ce traitement, qui confirmait pas ailleurs une tendance au bénéfice cardiovasculaire en termes d’événements cliniques combinés. En résumé, le poids s‘améliorait, et la pression artérielle et les lipides étaient inchangés : sans doute pas de quoi expliquer l’amélioration du pronostic.
Dans le Diabetes Prevention Program, une étude de prévention du diabète chez des sujets à haut risque métabolique, la metformine était associée avec une amélioration modeste de la CRP, marqueur de l’inflammation chronique de bas niveau qui sous-tendrait l’athérosclérose précoce7. Enfin, plusieurs modèles précliniques ont suggéré que la metformine permet de réduire la taille de la zone infarcie, et donc la sévérité de l’ischémie myocardique aiguë, lors d’une occlusion expérimentale de la coronaire8. Tous ces éléments ne constituent que des pistes, dont on imagine qu’elles ne sont pas complètes.
Conclusion
La metformine est associée chez des diabétiques de diagnostic récent dans l’étude UKPDS à une réduction de la mortalité d’une vingtaine de pour cent en risque relatif, une réduction qui semble se prolonger chez des diabétiques qui ont des antécédents cardiovasculaires sévères : cette réduction relative s’applique alors à un risque absolu très élevé et le bénéfice devient considérable.
Pourtant, bien des diabétiques dans cette situation de prévention secondaire sont récusés pour la metformine pour des raisons de zèle vis-à-vis de futures contre-indications, ou de respect de contre-indications officielles, mais dont on confirme à travers ces données qu’elles ne reposent pas nécessairement sur des éléments tangibles.
À l’heure où les nouveautés antidiabétiques sont souvent décevantes, voire finalement néfastes, ce sont tout simplement des millions d’années de vie à travers le monde qui pourraient être épargnées par l’usage d’un des traitements diabétologiques les plus anciens et le moins onéreux.
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