publicité
Facebook Facebook Facebook Partager

Société

Publié le 31 mai 2011Lecture 12 min

Barrières à l’autosurveillance glycémique dans le diabète de type 2 non insuliné

L. MONNIER, C. COLETTE, Institut Universitaire de Recherche Clinique, Montpellier

L’utilité de l’autosurveillance glycémique (ASG) est unanimement reconnue dans le diabète de type 1 et dans le diabète de type 2 traité par des schémas insuliniques plus ou moins complexes1,2. En revanche, elle reste très controversée dans le diabète de type 2 traité uniquement par antidiabétiques oraux.
À titre d’exemple, les dernières recommandations de l’International Diabetes Federation (IDF)3 se terminent par les conclusions suivantes pour le diabète de type 2 traité par antidiabétiques oraux : « Compte tenu du coût élevé de l’ASG, en particulier des bandelettes réactives, on ne devrait pas ignorer ses implications économiques4.  Pour cette raison, les avantages potentiels de l’ASG doivent être discutés lorsque les dépenses liées à sa pratique se font aux dépens d’autres modalités thérapeutiques ».

En fait, si on considère que l’ASG contribue au traitement du diabète de type 2 non insuliné, il faut qu’à l’instar de tout agent thérapeutique à visée antidiabétique, l’ASG permette d’atteindre, à un degré maximal et dans les meilleurs délais, ce que les médecins désignent sous le terme d’ « efficience thérapeutique ». Cette dernière englobe plusieurs composantes : l’efficacité qui peut être quantifiée par l’amélioration de l’équilibre glycémique, c’est-à-dire en général par la baisse de l’HbA1c ; la sécurité, c’est-à-dire la diminution du risque d’hypoglycémie ; la qualité de vie du patient (prolongation de l’espérance de vie dans les meilleures conditions et avec le moins de handicaps possibles) ; le rapport bénéfice/coût le plus élevé possible. Les barrières à l’autosurveillance glycémique dans le diabète traité par antidiabétiques oraux sont surtout liées à la dernière composante. L’ASG améliore-t-elle suffisamment le rapport bénéfice/coût en mettant dans le numérateur « bénéfice » à la fois l’efficacité, qui préoccupe le médecin et son patient, et la qualité de vie qui concerne exclusivement le patient ? Quant au dénominateur, c’est-à-dire  le coût, il préoccupe surtout les organismes payeurs qu’ils soient publics ou privés. Pour cette raison, les barrières à l’autosurveillance glycémique seront discutées à trois  niveaux : l’efficacité, la qualité de vie et le coût.   Efficacité de l’autosurveillance glycémique   Pour que l’autosurveillance glycémique (ASG) dans le diabète de type 2 non insuliné soit jugée efficace, il faudrait qu’elle s’accompagne d’une baisse significative de l’HbA1c. à ce jour, de nombreuses études ont été publiées. Si on ne retient que les résultats des études contrôlées et randomisées, il faut se référer à l’excellente revue générale publiée par Kempf et al. (Diabetologia 2008)5. Cette analyse, qui n’est pas une métaanalyse en raison de l’hétérogénéité des protocoles d’ASG utilisés dans les 18 essais retenus a permis de montrer que la pratique de l’ASG dans le diabète de type 2 non insuliné s’accompagne globalement d’une diminution de l’HbA1c (figure 1)5. Toutefois, il apparaît que les résultats sont très variables d’une étude à l’autre. Figure 1. Chute de l’HbA1c dans différents essais contrôlés portant sur l’autosurveillance glycémique chez des patients diabétiques de type 2 non insulinés (d’après5). Le facteur déterminant de l’efficacité semble être le niveau initial de l’HbA1c. En effet, sa diminution est surtout marquée (de 1 à 2 %) chez les sujets dont le taux d’HbA1c était élevé (> 10 %) avant la mise en place de l’ASG (figure 2). En revanche, elle est beaucoup plus modeste (< 1 %) voire nulle quand l’HbA1c de départ est < 9 % (figure 2). Figure 2. Relation entre la chute de l’HbA1c et l’HbA1c basale dans différents essais contrôlés portant sur l’autosurveillance glycémique chez des patients diabétiques de type 2 non insulinés (d’après5). Dans une étude publiée par Farmer et al.6, il a été démontré que la pratique d’une ASG plus ou moins intense par rapport à une ASG standard n’apporte aucun avantage en termes de baisse de l’HbA1c lorsque les sujets ont déjà un équilibre glycémique relativement satisfaisant (HbA1c moyenne = 7,5 %). La différence de baisse de l’HbA1c entre le groupe le plus intensifié et le groupe standard était de -0,17 %. Ces résultats indiquent que l’ASG n’a pas d’intérêt particulier chez les diabétiques de type 2 non insulinés dont l’HbA1c est correcte. C’est donc à juste titre que les experts de l’IDF ont été conduits à ne conseiller l’ASG dans le diabète de type 2 traité par ADO que lorsque les objectifs d’HbA1c ne sont pas atteints (en pratique HbA1c < 7 %)3.   Quels sont les effets de l’augmentation de la fréquence de l’ASG ?   Les résultats de Farmer ont montré que l’augmentation de fréquence de l’ASG ne conduit à aucune amélioration de l’équilibre glycémique chez les sujets déjà bien équilibrés6. Ce truisme indique que l’ASG devrait obéir à un véritable rationnel. Ceci signifie qu’il faudrait réserver l’ASG à ceux qui en ont besoin et la pratiquer  de manière suffisante (plus petit commun dénominateur) mais non excessive (plus grand commun multiple)2. En d’autres termes, l’information fournie au patient et au médecin devient-elle insuffisante si la fréquence de l’ASG est trop faible ? à l’inverse, devient-elle polluante et contraignante si la fréquence est excessive ? Que l’ASG soit une contrainte pour le patient est une évidence. Se piquer au bout des doigts plusieurs fois par jour n’est pas une perspective réjouissante surtout lorsque les données fournies ne sont pas interprétées par le patient par manque d’information. Tout le monde est actuellement d’accord pour dire que l’ASG devrait être conduite exclusivement dans le cadre d’un programme structuré d’éducation individuelle ou collective. Cette phrase « passe partout » prononcée par de nombreux professionnels de santé ne résout pas le problème de la fréquence optimale des tests à réaliser chez un diabétique de type 2 non insuliné, insuffisamment contrôlé sur la base de l’HbA1c. C’est pour cette raison que plusieurs études ont été conduites pour évaluer l’influence de l’augmentation de la fréquence de l’ASG sur l’efficacité (HbA1c), la qualité de vie et les coûts3-8.   Sur l’HbA1c Dans une étude déjà ancienne, Karter et al.7 ont démontré qu’il existe une relation entre la fréquence de l’ASG et la réduction de l’HbA1c chez des diabétiques de type 2 qui sont de nouveaux utilisateurs de l’ASG. La pratique d’un seul contrôle glycémique quotidien conduit à une baisse de l’HbA1c de 0,32 %. Cette dernière est de 1,02 % quand la fréquence des tests est portée à trois par jour.   Sur la qualité de vie La qualité de vie peut être évaluée par plusieurs types de marqueurs, le plus classique étant l’année de vie ajustée sur sa qualité » ou QALY (Quality Adjusted Life Year) des Anglo-Saxons. Pour comprendre le QALY, prenons un exemple simple. Supposons qu’un traitement A augmente l’espérance de vie de 4 ans avec une qualité de vie de 0,6. Le QALY est égal à 4 x 0,6 = 2,4 ans. Supposons qu’avec un traitement B, l’espérance de vie soit prolongée de 3 ans avec une qualité de vie égale à 0,5. Le QALY est égal à 3 x 0,5 = 1,5 ans. Le gain de QALY avec le traitement A par rapport au traitement B est égal à 2,4 – 1,5 = 0,9 ans. En appliquant cette méthode à l’ASG4, il apparaît que la pratique d’un test glycémique par jour par rapport à l’absence de test permet un gain de QALY de 0,103 ans : différence entre le QALY avec un contrôle glycémique par jour (4,954 ans) et le QALY sans contrôle glycémique (4,851 ans) (figure 3). De la même manière, la pratique de 3 tests glycémiques par jour par rapport à l’absence de test permet un gain de QALY de 0,327 ans4 : différence entre le QALY avec 3 contrôles glycémiques par jour (5,179 ans) et le QALY sans contrôle glycémique (4,851 ans) (figure 3). Les résultats de cette étude indiquent donc que la qualité de vie jugée sur l’espérance de vie après ajustement sur les handicaps est légèrement augmentée quand la pratique de l’ASG devient plus fréquente. Ce résultat est un peu plus significatif quand on compare l’espérance de vie en années de vie gagnées sans correction par la qualité de vie. Les gains sont respectivement de 0,205 ans et de 0,647 ans quand on passe de l’absence de contrôle glycémique à 1 test ou à 3 tests glycémiques par jour4. Ces résultats semblent indiquer que l’augmentation de la fréquence de l’ASG augmente l’espérance de vie mais que le temps gagné est globalement de moins bonne qualité. La question est de savoir s’il vaut mieux vivre quelques mois de plus ou de moins quand la qualité de vie n’est pas au rendez-vous. Nous nous garderons bien de répondre à cette question qui ne peut recevoir une réponse qu’au niveau individuel. Figure 3. Relation entre la fréquence de l’ASG et la qualité de vie. Cette dernière est quantifiée par l’année de vie ajustée sur sa qualité (QALY = Quality Adjusted Life Year). Le passage à une fréquence de 1 test par jour par rapport à l’absence de test entraîne un gain de QALY de 0,103 ans. Pour le passage à 3 tests glycémiques par jour, le gain de QALY est de 0,327 ans (d’après4). Sur les coûts L’ASG est coûteuse. À titre d’exemple, en 2002 plus de 450 millions de dollars étaient dépensés aux États-Unis sur le simple programme Medicare B. Les coûts de l’ASG comprennent les bandelettes, les lancettes, les lecteurs et les réactifs de calibration des appareils. De plus, les coûts ne cessent de croître car le nombre de patients diabétiques adultes pratiquant l’ASG est en augmentation continue. L’intensification de l’ASG s’accompagne d’une augmentation des coûts. Dans une étude publiée par Simon et al.8, il a été démontré que par rapport à une ASG standard, l’intensification de l’ASG génère une dépense supplémentaire : multiplication par 2 du coût qui passe de 90 £ (ASG standard) à 180 £  (pour ASG intensifiée). Cette augmentation du coût doit être ajustée sur les bénéfices attendus en termes de qualité de vie. En utilisant cette correction (augmentation du coût par QALY), il apparaît que la pratique quotidienne de 1 ou 3 tests glycémiques par rapport à une absence de test s’accompagne effectivement d’une augmentation des coûts (figure 4). Bien qu’elle soit pour la bonne cause et qu’elle se traduise par une augmentation de la qualité de vie, la pratique de 3 tests par jour est-elle justifiée ? En effet, cette pratique conduit à réaliser 1 095 tests sur une durée de 1 an si les contrôles sont réalisés tous les jours de manière régulière. Dans ces conditions, la question est de savoir si on ne peut pas faire aussi bien si ce n’est mieux pour moins cher. Une ébauche de réponse à cette question est fournie dans les lignes qui suivent. Si l’intensification de l’ASG s’accompagne d’une augmentation des coûts, il n’est pas illogique que les organismes payeurs se préoccupent de sa rentabilité pour mieux encadrer les indications de l’ASG et les conditions de son remboursement. Pour cette raison, il est indispensable de rappeler les principes généraux de l’ASG et ses objectifs9. En premier lieu, l’ASG est faite pour vérifier que l’équilibre glycémique du diabétique envisagé dans son ensemble est satisfaisant. En d’autres termes, l’ASG est destinée à savoir si l’exposition globale au glucose reste dans des limites raisonnables. Les esprits cartésiens diront : la mesure de l’HbA1c peut suffire. Cette proposition est évidemment exacte puisque l’HbA1c est la mémoire trimestrielle de l’exposition au glucose. Toutefois l’HbA1c est incapable de donner des renseignements sur d’autres composants qui participent à la dysglycémie du diabétique : les excursions glycémiques postprandiales, le risque d’hypoglycémie et de manière plus générale la variabilité glycémique. Figure 4. Relation entre l’intensification de l’ASG chez les diabétiques de type 2 traités par ADO et les coûts supplémentaires générés mais ajustés sur les gains obtenus en qualité de vie (d’après4). Pour cette raison, il nous paraît raisonnable de proposer au patient diabétique de type 2 de réaliser en ASG 2 profils glycémiques 7 points sur 2 jours consécutifs tous les 3 mois, quelques jours avant la détermination de l’HbA1c au laboratoire. Ce type de pratique est réaliste sur le plan économique : 14 tests glycémiques par trimestre, soit 56 tests glycémiques par an, c’est-à-dire 7 fois moins que le sujet qui ferait un test par jour à jeun tous les jours de l’année. Le test quotidien  à jeun n’apporte aucun renseignement sur les variations glycémiques. En revanche, le profil 7 points qui comprend 3 glycémies préprandiales, 3 glycémies postprandiales (1 h 30 à 2 h après les repas) et une glycémie avant le coucher, permet d’évaluer les dérives glycémiques postprandiales et de saisir le risque d’hypoglycémie. À cet égard, 2 glycémies sur les 7 méritent une attention bien particulière : celle de 9 h 30-10 h (1 h 30 à 2 h après le petit déjeuner) car elle correspond en général au maximum glycémique de la journée et celle de 19 h (avant le dîner) qui coïncide avec l’un des 2 nadirs glycémiques du nycthémère qui se situent en milieu de nuit et en fin d’après midi10. Il est bien certain que ces deux profils glycémiques sur 2 jours consécutifs réalisés tous les trimestres deviennent inutiles si l’HbA1c est < 7 % et si le malade ne reçoit aucune médication orale à risque hypoglycémique : sulfonylurées ou glinides. Ce type d’ASG est donc peu coûteux et il fournit tous les renseignements utiles au médecin et au patient : moyenne glycémique des 7 points qui permet d’évaluer l’exposition chronique au glucose, variabilité glycémique entre pics hyperglycémiques et nadirs glycémiques, ces derniers pouvant coïncider avec un risque accru d’hypoglycémie. Le lecteur pourra aisément comprendre que c’est cette quatrième et dernière option à fort rapport bénéfice/coût qui a notre préférence.   Conclusion   Les barrières à l’autosurveillance glycémique dans le diabète de type 2 non insuliné sont bien réelles. De nature essentiellement économiques, ces barrières ne résistent pas à une analyse rationnelle du problème. Au cours de cet article, nous avons essayé de démontrer qu’une utilisation argumentée et structurée de l’ASG permet de remplir les objectifs médicaux pour lesquels elle a été conçue tout en évitant les dépenses inconsidérées qui pourraient être liées à une utilisation irrationnelle de cet outil si précieux pour contrôler les désordres glycémiques des diabétiques. Pour mieux justifier notre position, nous avons explicité sur la figure 5 les 4 grandes options possibles en fonction de la fréquence faible ou forte de l’ASG quotidienne et annuelle. - La première option est une fréquence quotidienne et annuelle faible du type : un contrôle par jour, un jour par semaine. Ce type d’ASG est peu coûteux (52 tests par an) mais malheureusement il ne donne aucune information utilisable ni pour le médecin ni pour le patient. - La deuxième option est une fréquence quotidienne faible avec une fréquence annuelle relativement forte, du type 1 contrôle par jour tous les jours de l’année. Ce type d’ASG est relativement coûteux car il conduit à 365 tests par an et il ne fournit guère plus de renseignements que le précédent. - La troisième option est une fréquence quotidienne et annuelle relativement intensifiée : 3 contrôles par jour tous les jours de l’année. Le nombre de tests annuels est, dans ces conditions, de 1 095. Bien que l’information fournie par les 3 tests quotidiens soit plus performante que celle donnée par un seul test, elle s’accompagne d’une augmentation prohibitive du coût et elle ne permet pas d’évaluer toutes les composantes de la dysglycémie du diabète. - La dernière option est celle que nous avons décrite précédemment : 2 profils glycémiques 7 points tous les trimestres sur 2 jours consécutifs. Comme nous l’avons déjà évoqué plus haut, elle correspond à 56 tests glycémiques annuels. Figure 5. Relations fréquence de l’ASG par jour et par an versus coût, efficacité et utilité. La solution la plus rentable pour le rapport bénéfice/coût est celle qui consiste à réaliser 7 tests par jour 2 fois par trimestre. Son coût est faible (56 contrôles glycémiques par an). Elle est efficace car elle permet d’évaluer les 3 grandes composantes des désordres glycémiques : l’exposition chronique à l’hyperglycémie (moyenne des 7 tests par profil glycémique ; les excursions glycémiques postprandiales et les nadirs glycémiques (risque d’hypoglycémie). Cette proposition ne concerne que les diabétiques de type 2 traités par ADO. Chez les diabétiques de type 2 insulinés, l’ASG dépend du schéma insulinique. Elle peut se rapprocher plus ou moins de celle qui est préconisée dans le diabète de type 1.   Pour recevoir les références : biblio@diabetologie-pratique.com

Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.

pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.

Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :

Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :

Version PDF

Articles sur le même thème