Publié le 17 déc 2024Lecture 12 min
Un nouveau cap dans la protection cardio-rénale des patients vivant avec un diabète de type 2
Gérard LAMBERT, d’après une émission réalisée par Len Axis
En une décennie, la prise charge des patients vivant avec un diabète de type 2 est passée d’une stratégie très glucocentrée à une approche plus globale centrée sur le patient et la protection des organes cibles, en particulier le cœur et le rein. Les dernières recommandations de la HAS publiées en juillet 2024 ont confirmé cette évolution.
Au cours d’une émission diffusée en direct le 21 novembre, Fabrice Bonnet (diabétologue, Rennes), Antoine Braconnier (néphrologue, Reims) et Anne-Marie Lucchesi (médecin généraliste, Marseille) ont développé, à partir de cas cliniques issus de la pratique quotidienne, les nouvelles stratégies de prise en charge du diabète de type 2 (DT2) telles qu’elles sont définies dans les recommandations de la HAS publiées en juillet dernier(1).
Une prise en charge holistique
Le premier cas présenté par A.-M. Lucchesi concernait un homme de 58 ans chez lequel un DT2 avait été diagnostiqué récemment (2020). On note chez cet homme actif des antécédents (ATCD) familiaux de coronaropathie stentée chez son père à 49 ans. Le patient lui-même présente une sténose carotidienne gauche évaluée à 55 %. Son tabagisme est sevré depuis 10 ans, la dyslipidémie est traitée par atorvastatine 40 mg (1/j) et son IMC est à 25 kg/m2. Le reste du traitement consiste en 850 mg de metformine (2/j) et aspirine 100 mg (1/j).
Lors de la consultation, l’examen est normal. Le bilan récent ne révèle pas de rétinopathie, mais on note une glycémie à jeun à 1,49 g/L avec une HBA1c à 7,3 %. Sur le plan rénal, la créatininémie est à 87 mg/L, le débit de filtration glomérulaire (DFG) estimé à 60 mL/min/1,73 m2 et le rapport albuminurie sur créatininurie (RAC) à 32 mg/mmol. Le bilan lipidique est satisfaisant, notamment avec un LDL-C à 0,4 g/L, mais un HDL-C à 0,4 g/L. Chez ce patient, la question était de savoir si le traitement devait être modifié ou non et, en cas de réponse positive, par quel traitement.
Pour y répondre, F. Bonnet a rappelé que la HAS définit quatre piliers pour une prise en charge holistique de ces patients qui s’appuie sur les éléments suivants :
– les modifications des habitudes de vie avec un programme nutritionnel et une lutte contre la sédentarité ;
– la qualité de vie qui passe par une décision médicale partagée et l’éducation thérapeutique ;
– l’évaluation de la situation médicale avec une recherche de comorbidités et de complications évolutives de la maladie, en particulier cardio-rénale et rétinienne ;
– la stratégie médicamenteuse qui doit prendre en compte les effets indésirables, notamment les hypoglycémies lorsqu’elles sont possibles.
La gravité du diabète réside dans les complications micro- et microvasculaires qui peuvent survenir au cours de son évolution. La prévention de ces complications nécessite un contrôle glycémique, mais également un contrôle de l’ensemble des facteurs de risque cardiovasculaires (FDR CV), notamment la pression artérielle et l’objectif cible de LDL-C. La HAS insiste sur les modifications du mode de vie à tous les stades de la maladie. Celles-ci passent par une prise en charge nutritionnelle avec conseil diététique, une lutte contre la sédentarité avec une activité physique adapté à chaque patient et un accompagnement avec éducation thérapeutique.
Le traitement de première ligne demeure la metformine avec une augmentation progressive de la posologie pour une meilleure tolérance digestive. En revanche, dès la deuxième ligne de traitement, il existe un réel changement de paradigme par rapport aux précédentes recommandations (2013). Ce ne sont plus les objectifs glycémiques qui guident la prescription de l’antidiabétique mais la présence ou non d’une atteinte d’organe, en particulier rein ou système cardiovasculaire.
Évaluation du risque cardiovasculaire
Au-delà du compte des facteurs de risque cardiovasculaires de chaque patient, la HAS ne suggère pas une méthode plus élaborée pour évaluer le risque CV. Dans le cas du patient présenté par A.-M. Lucchesi, on relève un ATCD familial chez le père et la présence d’une sténose carotidienne. Et dans la mesure où il s’agit d’une homme diabétique, ce patient cumule plusieurs facteurs de risque. Le tabagisme n’a pas à être pris en compte puisqu’il est sevré depuis 10 ans, en revanche la survenue d’un accident coronarien avant 50 ans dans la famille au premier degré ne doit pas être négligée. Comme le remarque A.-M. Lucchesi, un patient diabétique avec deux autres facteurs de risque est déjà un patient à très haut risque CV. Toutefois précise-t-elle, pour plus de précision on peut utiliser l’application de la Société européenne de cardiologie, l’ESC-Risk, dans laquelle on trouve un score adapté aux patients diabétiques(2).
Les recommandations distinguent deux niveaux de risque CV. D’une part, le patient à risque modéré qui ressort de la prévention primaire et pour lequel la HAS préconise d’abord en deuxième ligne de traitement l’ajout d’un aGLP-1 ou un iSGLT2. Le choix de ces deux classes thérapeutiques ayant fait la preuve d’une protection cardiovasculaire dans les essais cliniques s’impose donc pour les patients à risque CV modéré ou élevé sans ATCD d’événement cardiovasculaire, et ce quel que soit le niveau d’HBA1c. Cette stratégie s’affirme avec encore plus de force encore chez ceux présentant une maladie cardiovasculaire avérée, deuxième niveau de risque défini par la HAS. Le patient présenté en ouverture de cette émission présente un risque CV élevé, voire très élevé et donc les deux classes thérapeutiques seraient indiquées chez lui.
Toutefois, comme le souligne A.-M. Lucchesi, ce patient présente également une atteinte rénale avec un RAC légèrement augmenté et un DFG qui reste pour l’heure dans les limites de la normale (60 mL/min). Cette maladie rénale chronique (MRC) débutante justifie l’ajout d’une gliflozine, seule classe thérapeutique actuellement indiquée dans la néphroprotection des patients vivant avec un DT2. Parmi les autres attitudes thérapeutiques possibles, la prescription d’un sulfamide avec une HBA1c à 7,3 % aurait entraîné un risque d’hypoglycémies, contrairement aux iSGLT2 qui ne sont pas hypoglycémiants. Quant aux iDDP4, il s’agit certes « d’une valeur sûre », comme l’indique F. Bonnet, mais qui n’induisent ni protection rénale, ni protection CV, ce qui constitue leur grande différence avec les aGLP-1 et les iSGLT2.
DT2 et maladie rénale chronique
Comme le remarque Antoine Braconnier à propos de ce patient, il ne faut pas se contenter de l’estimation du DFG pour évaluer la fonction rénale, il faut systématiquement rechercher une protéinurie sur prélèvements unique par le RAC, un dépistage qui permet d’agir tôt. Car on sait que lorsque la protéinurie est positive la néphropathie évolue déjà depuis plusieurs années. On dénombre 6 millions de personnes atteintes de MRC en France, dont la maladie doit être prise en charge par l’ensemble des médecins impliqués dans le parcours de soins (MG, diabétologue, néphrologue, cardiologue), les 1 900 néphrologues français n’intervenant qu’aux stades 4 et 5 pour des DFG < 30 mL/min. Deux tiers des 100 000 patients qui parviennent au stade terminal de l’insuffisance rénale sont diabétiques et/ou hypertendus et seulement 1/5 d’entre eux a consulté un néphrologue avant d’être dialysé. Leur pronostic est vital est altéré puisque la mortalité à un an dans cette population est de 15 %, et de 30 % lorsqu’il s’agit de sujets vivant avec un DT2. La protéinurie dépistée par le RAC augmente le risque CV et signe l’évolutivité de la maladie rénale, quelle que soit la valeur du DFG. Toutes les études concordent pour montrer que la survenue d’événements CV s’accroît avec la baisse du DFG et l’augmentation de la protéinurie, y compris parmi les patients ayant une fonction rénale qui peut paraitre satisfaisante(3).
Pour les patients vivant avec un DT2 et présentant une MRC, la HAS recommande la prescription d’un iSGLT2 quel que soit le niveau d’HBA1c. Dans la mesure où les études ayant démontré les bénéfices néphroprotecteurs de cette classe thérapeutique ont été conduites chez des personnes recevant déjà un bloqueur du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), le respect de bonnes pratiques nécessite d’abord la prescription d’un IEC ou d’un ARA2. Il ne faut cependant pas hésiter à passer rapidement à l’association à un iSGLT2 car les actions de ces médicaments se complètent et diminuent d’autant le risque évolutif de la MRC, et secondairement le risque CV, la MRC pouvant être considéré comme un FDR CV. De même, comme le remarque F. Bonnet, lorsqu’un diabète est diagnostiqué chez un patient présentant une MRC, on peut d’emblée prescrire une association metformine-iSGLT2. Et en cas d’intolérance à la metformine (évaluée à 15 % des patients) cette classe thérapeutique sera prescrite en première intention. Face à une contre-indication ou une intolérance aux iSGLT2, la HAS recommande la prescription d’un aGLP-1.
Action des iSGLT2 sur le rein
Les iSGLT2 diminuent l’hyperpression intraglomérulaire et protègent ainsi les podocytes(4), une action qui explique au moins en partie leurs effets anti-albuminurique et néphroprotecteur. Une métanalyse récente(5) des études avec les iSGLT2 chez les patients ayant une MRC (DAPA-CKD, CREDENCE, EMPA-KIDNEY) avec ou sans DT2 montre un effet protecteur vis-à-vis des événements thrombo-emboliques avec une diminution de 30 à 40 % du risque CV relatif et de l’évolutivité de l’insuffisance cardiaque. Le bénéfice rénal chez ces patients est très net et constant dans toutes les études(6). La modélisation des bénéfices de cette classe thérapeutique pour un patient ayant eu une prescription précoce correspond à un recul d’une dizaine d’années avant d’arriver en dialyse(7) (figure 1). Ce délai ne peut être obtenu que lorsque la prescription des bloqueurs du SRAA et d’un iSGLT2 est précoce, notamment dès la découverte de l’albuminurie. Ces effets positifs persistent même lorsque le DFG s’abaisse en dessous de 20 mL/min, une situation qui ne doit pas entraîner l’arrêt de la prescription.
Figure 1. Temps d’évolution de la MRC avant dialyse avec ou sans iSGLT2, d’après(7).
Toutefois, la néphroprotection nécessite une prise en charge holistique. Le bénéfice ne peut être total que par la maîtrise des chiffres tensionnels avec comme objectif une systolique au moins ≤ 130 mmHg, voire 120 mmHg selon certaines recommandations, les iSGLT2 ayant également un effet modéré sur la PA avec une diminution de la systolique allant de -3 à -6 mmHg. Le contrôle de la consommation de NaCl (< 6 g/j) est également un élément important pour la normalisation des chiffres tensionnels. On veillera également à maîtriser les autres facteurs de risque CV : tabagisme, hypercholestérolémie, surpoids. On évitera les médicaments néphrotoxiques (AINS, antibiotiques, etc.) et ceux pouvant entraîner des complications avec la baisse du DGF, comme les acidoses lactiques à la metformine dont la posologie doit être adaptée. L’activité physique est aussi efficace sur l’évolution de la maladie rénale. Enfin, aux stades avancés de la MRC, il faut diminuer l’apport alimentaire en protéine (0,6 à 0,8 g/kg/j).
Au-delà de la néphroprotection on peut également se poser la question d’un effet préventif sur la survenue d’une MRC. C’est ce qui a été évalué chez des patients recevant un iSGLT2 et ayant une fonction rénale normale sans protéinurie. Comparé au groupe placebo, il a été montré que l’apparition d’une albuminurie était retardée chez ces patients(8), signant ainsi un effet préventif avéré(9).
Insuffisance cardiaque
Un deuxième cas clinique présentée par A.-M. Lucchesi a concerné un homme de 66 ans vivant avec un DT2 depuis 10 ans, une dyslipidémie et une HTA traitées. Ce patient a présenté un syndrome coronarien aigu (SCA) en 2023 qui a nécessité une angioplastie avec pose de 2 stents actifs. Au regard du déséquilibre du diabète (HBA1c à 8,6 %) et de l’obésité morbide (IMC : 35 kg/m2) un aGLP-1 a alors été prescrit en plus de la metformine. L’évolution a été marquée par une insuffisance cardiaque avec une FEVG à 60 % et des NT-proBNP à 550 pg/mL. Il est revu en consultation avec un poids qui a diminué (IMC : 30,1 kg/m2) mais il se plaint d’asthénie, a pris 2 kg en 3 jours et présente de légers œdèmes des membres inférieurs (signes EPOF). Si l’HbA1c est à 7,1 % le bilan pratiqué le jour même de la consultation met en évidence un NT-proBNP à 2 042 pg/mL.
Chez ce patient en poussée aiguë d’insuffisance cardiaque (IC) les recommandations de la HAS préconisent, avec un fort niveau de preuve (recommandation de grade A), la prescription d’un iSGLT2. Cette stratégie est indiquée que l’IC soit à fraction d’éjection ventriculaire gauche altérée ou non. Dans ce cas l’association au aGLP-1 est justifiée, de même qu’en présence d’une MRC.
Le patient âgé
Le dernier cas clinique de cette émission concernait une patiente de 81 ans en très bon état général avec un diabète de type 2 connu depuis plus de 20 ans. Elle présente une HTA et une dyslipidémie traitée et son IMC est à 25,3 kg/cm2. Elle est traitée par metformine, iDPP4, atorvastatine, 22 UI d’insuline lente et IEC. On note dans son bilan récent : une rétinopathie débutante ; une glycémie à jeun à 1,6 g/L et l’HBA1c à 8,2 % ; le DFG est à 40 mL/min et le RAC à 4,5 mg/mmol. L’examen clinique est normal.
Chez les personnes âgées, les recommandations mettent en garde contre les régimes restrictifs visant à obtenir une perte pondérale importante en raison du risque de dénutrition. La HAS recommande également une grande vigilance vis-à-vis des hypoglycémies, donc d’éviter la prescription de sulfamides hypoglycémiants et d’être prudent avec l’insulinothérapie lorsque celle-ci s’avère nécessaire. Surtout, la HAS considère que l’âge en soi ne contre-indique pas les stratégies médicamenteuses orientées sur l’atteinte d’organe et que les aGLP-1 et les iSGLT2 sont recommandés de la même manière que chez les plus jeunes selon le profil clinique du patient. Les études sur l’IC à FEVG diminuée ou conservée qui ont inclus de nombreux patients âgés, voire très âgés, ont montré que la tolérance des iSGLT2 était très bonne à cet âge.
En pratique il ne faut s’inquiéter d’une petite baisse du DFG (jusqu’à 30 % de baisse(10)) avec cette famille thérapeutique, il s’agit d’une diminution fonctionnelle normale qui témoigne de l’action du médicament et de la baisse de la pression intraglomérulaire. De plus il n’y a pas de risque d’hyperkaliémie comme cela est possible avec les inhibiteurs du SRAA. En revanche du fait de l’action natriurétique des iSGLT2 il faut être vigilant si le patient reçoit des diurétiques de l’anse et il est préférable d’adapter les doses risques pour éviter la déplétion volémique(10). On contrôlera également la PA un mois après l’initiation du traitement. De façon paradoxale les iSGLT2 ont un effet protecteur sur la survenue d’un insuffisance rénale aiguë, qui n’est jamais constatée à l’instauration du traitement(11).
L’un des effets indésirables les plus fréquents des gliflozines est la survenue de mycoses vaginales possiblement récidivantes. Dans ce cas, F. Bonnet souligne que le fluconazole a une AMM à titre préventif avec un gélule de 100 mg à 3 jours d’intervalle (J1, J4, J7) puis une dose d’entretien d’une gélule par semaine. Dans son expérience, après deux doses d’entretien et arrêt de cette stratégie préventive, les mycoses ne récidivent pas. Lorsque le DFG est < 45 mL/min avec une protéinurie persistante malgré un traitement adapté, il est nécessaire de demander l’avis du néphrologue et un suivi spécialisé. Ces patients sont effet à risque de dégradation rapide.
Conclusion
Les nouvelles recommandations de le HAS mettent l’accent sur une prise en charge globale et plurielle centrée sur le profil patient. Outre la prise en charge non médicamenteuse qui conserve sa place à tous les stades de la maladie, la première ligne de traitement reste la metformine. En deuxième ligne le choix de la classe médicamenteuse en guidée par le profil patient. Au-delà de l’équilibre glycémique, les iSGLT2 et aGLP-1 sont prescrits pour leurs effets cardiovasculaires et rénaux (figure 2).
Figure 2.
D’après une émission réalisée par Len Axis, avec le soutien institutionnel du laboratoire AstraZeneca, et avec la participation du Pr Fabrice BONNET, endocrinologue (Rennes), du Dr Antoine BRACONNIER, néphrologue (Reims) et du Dr Anne-Marie LUCCHESI, médecin généraliste (Marseille)
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