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Diabéto-gériatrie

Publié le 26 juin 2024Lecture 12 min

Actualisation de la prise de position de la SFD dans la prise en charge du diabète des personnes âgées

Bernard BAUDUCEAU(1), Lyse BORDIER(1), Jean DOUCET(2), Patrice DARMON(3)*

L’actualisation de la prise de position de la SFD sur les stratégies d’utilisation des traitements anti-hyperglycémiants dans le diabète de type 2, publiée en décembre 2023 et disponible sur le site de la SFD, consacre une partie importante sur le cas des personnes âgées(1). Cette démarche était importante puisque le quart des personnes vivant avec un diabète est âgé de plus de 75 ans. Ce texte, qui fait référence, s’appuie sur les résultats de l’étude GERODIAB qui a suivi pendant 5 ans près de 1 000 personnes diabétiques de type 2 âgées en moyenne de 77,1 ans et intègre les avancées des nouvelles classes médicamenteuses en matière de protection cardiaque et rénale en prenant en compte les bénéfices et les effets secondaires de ces médicaments(2).

Une évaluation gérontologique est un préalable nécessaire   Les objectifs du traitement nécessitent d’être définis sur la base d’une évaluation gérontologique comportant l’état cognitif et nutritionnel, les conditions sociales, les comorbidités et l’espérance de vie. Cette évaluation permet de distinguer grossièrement trois catégories de personnes selon qu’elles ont bien vieilli, qu’elles soient fragiles ou très malades et dépendantes. L’évaluation gériatrique standardisée paraît difficilement réalisable en pratique pour le plus grand nombre des personnes ; aussi la HAS recommande-t-elle une évaluation simple, explorant chaque aspect de la fragilité en la classant en 9 niveaux allant de la personne « très en forme » au patient « en phase terminale ». La HAS et la SFGG (Société française de gériatrie et de gérontologie) recommandent l’utilisation du TRST (Triage Risk Screening Tool) pour le dépistage de la fragilité. Cet outil simple permet rapidement d’identifier la fragilité à l’aide de 5 items chez des patients aux urgences ou en hospitalisation (altération cognitive, trouble de la marche ou chutes, polymédication, hospitalisation dans les 3 mois ou passage aux urgences le mois précédent et diminution du ADL : Activities of Daily Living). La positivité de deux de ces 5 items est prédictive du déclin fonctionnel, du risque d’hospitalisation et de mortalité invitant à la réalisation d’une évaluation gériatrique plus complète. Ce test pourrait être facilement utilise en ambulatoire chez les patients diabétiques. D’autres scores de repérage de la fragilité peuvent être utilisés comme les critères de Fried (perte de poids involontaire, asthénie, baisse de la vitesse de marche, perte de la force musculaire et sédentarité) pour lesquels la présence de trois de ces critères indique une fragilité de la personne ou la grille SEGA qui est plus complète, mais plus longue à réaliser. Cependant, il ne semble pas exister de scores spécifiquement validés chez les personnes diabétiques prenant en compte notamment le risque hypoglycémique(3).   Les objectifs glycémiques doivent être adaptés à la personne âgée   La qualité de l’équilibre glycémique ne doit pas être négligée chez les seniors, mais les objectifs doivent être adaptés à la personne(4). Ainsi, les écueils d’une attitude trop intensive aboutissant à un surtraitement chez les sujets « fragiles » et d’un laxisme exagéré chez les personnes en « bonne santé » doivent absolument être évités. En effet, les résultats de l’étude GERODIAB montrent que la mortalité à 5 ans s’élève régulièrement selon le niveau moyen des HbA1c mesurées au cours de cette période de suivi(2). En revanche, la survenue d’hypoglycémies et surtout des hypoglycémies sévères doit être évitée le plus possible. Ces accidents sont le fait des traitements par sulfamide, glinide et insuline et sont observés particulièrement en cas de traitement trop intensif ou d’une alimentation irrégulière. Ces constatations expliquent que la prescription des sulfamides et des glinides doit être évitée chez les personnes fragiles. Les personnes âgées dites « en bonne santé » dont l’espérance de vie est satisfaisante bénéficient des mêmes cibles que les plus jeunes, c’est-à-dire une HbA1c ≤ 7 %. Pour les personnes « fragiles » dont le risque est d’évoluer vers la dernière catégorie qui est la plus grave, un objectif d’HbA1c ≤ 8 % est raisonnable en restant au-dessus de 7 % en cas de traitement par les médicaments susceptibles d’induire des hypoglycémies. Enfin, pour les personnes âgées « dépendantes et/ou à la santé très altérée », le but du traitement est d’éviter à la fois les grands désordres métaboliques, mais aussi les accidents hypoglycémiques. Une HbA1c < 9 % et/ou des glycémies préprandiales entre 1 et 2 g/L sont recommandées en restant au-dessus de 7,5 % pour l’HbA1c et au-dessus 1,40 g/L pour les glycémies capillaires préprandiales. L’utilisation des sulfamides et des glinides est fortement déconseillée dans ce contexte(1) (figure 1). Figure 1. Objectifs glycémiques chez les personnes âgées de plus de 75 ans en fonction du profil du patient selon la SFD.   Mesures non médicamenteuses   Comme chez les plus jeunes, l’alimentation est un pilier fondamental de la prise en charge thérapeutique des patients âgés vivant avec un diabète. Cependant, chez les seniors, la lutte contre la malnutrition est essentielle et passe par une chasse aux interdits ou aux idées reçues(5). Afin d’éviter la survenue ou l’aggravation d’une sarcopénie, l’alimentation doit associer un apport énergétique et protéique suffisant. Le « régime » ne vise plus à cet âge à réduire une surcharge pondérale, mais à limiter les risques de dénutrition. Sans verser dans le laxisme, le plaisir des repas doit être respecté, car toute frustration est à la fois mal vécue et globalement inutile. La pratique d’une activité physique doit tenir compte de l’état clinique de la personne diabétique âgée. Les bénéfices portent sur la qualité de l’équilibre glycémique, sur la trophicité musculaire ainsi que sur la socialisation et le renforcement de l’estime de soi. La marche régulière doit être encouragée ainsi qu’un entraînement en endurance et en résistance lorsque cela est possible. La kinésithérapie permet enfin, chez les sujets fragiles, de maintenir la masse musculaire.   Apport des nouvelles classes médicamenteuses pour le traitement des personnes âgées   La mise à disposition des nouvelles classes médicamenteuses apporte des outils supplémentaires dans la prise en charge du diabète chez les personnes âgées, mais leurs avantages et leurs effets secondaires doivent être bien connus lors de leur prescription chez ces patients souvent fragiles(6).   Agonistes du récepteur du GLP-1 (AR GLP-1) La famille des AR GLP-1 a été enrichie de formes de retard à effet hebdomadaire. Ces molécules ont pour intérêt de présenter une efficacité supérieure à celle des antidiabétiques oraux, sans risque hypoglycémique et d’exercer un effet favorable sur le poids. Cette classe thérapeutique ne remplace naturellement pas l’insuline d’autant qu’il existe un certain pourcentage de sujets non répondeurs. Les effets secondaires les plus fréquents sont représentés par les troubles digestifs qui s’amendent habituellement après quelques semaines. La sécurité des AR GLP-1, mais aussi leur effet bénéfique sur les plans cardiovasculaires et rénaux ont été confirmés dans les différents travaux consacrés à cette classe. Si ces médicaments constituent un outil très intéressant chez les patients diabétiques de type 2 en surpoids, ils sont moins utilisés chez les malades âgés fragiles en raison des troubles digestifs susceptibles d’aggraver une dénutrition. D’ailleurs, l’expérience de la prescription des AR GLP-1 est limitée au-delà de 75 ans.   Inhibiteurs des co-transporteurs sodium glucose de type 2 (iSGLT2 ou gliflozines) Cette classe de médicament offre un mode d’action original indépendant de celui de l’insuline en limitant la réabsorption rénale du glucose. Le résultat obtenu sur le niveau glycémique est voisin de celui des iDPP4 avec cependant une efficacité moindre en cas d’insuffisance rénale. Ces médicaments ont également un effet favorable sur le poids et la pression artérielle et n’entraînent pas d’hypoglycémies lorsqu’ils ne sont pas associés aux sulfamides ou à l’insuline. Les résultats remarquables de EMPA-REG OUTCOME, confirmés par les études suivantes, ont montré un effet rapidement favorable de l’empagliflozine marqué par une diminution de 38 % de la mortalité cardiovasculaire et de 35 % des hospitalisations pour insuffisance cardiaque(7). Ainsi, cette classe médicamenteuse présente une efficacité remarquable au cours de l’insuffisance cardiaque que la fraction d’éjection soit diminuée ou conservée et permet également une réduction importante des événements rénaux sévères(8). Les effets secondaires les plus fréquents sont représentés par les mycoses génitales, notamment chez les femmes. Quelques cas d’acidocétose euglycémique ont été rapportés chez des patients insulinopéniques, ce qui incite à ne pas négliger les symptômes d’alerte comme les nausées, les vomissements, les douleurs abdominales, l’asthénie et la dyspnée. Enfin, une augmentation significative des amputations distales (orteil, métatarse) a été observée dans une seule étude, ce qui justifie une surveillance attentive chez les patients présentant une artériopathie. Enfin, chez les sujets âgés, ces molécules peuvent entraîner une gêne due à la polyurie et des symptômes liés à l’hypovolémie pouvant favoriser les chutes, ce qui peut nécessiter l’arrêt des diurétiques ou une modification du traitement antihypertenseur.   Stratégies thérapeutiques chez les personnes âgées diabétiques   Après avoir défini ces objectifs glycémiques à la lumière de la présentation clinique de la personne, le traitement repose sur les moyens non médicamenteux puis si nécessaire par la prise de médicaments.   Chez les personnes en bonne santé indemnes de complication cardiovasculaire et rénale Chez ces personnes qui ont bien vieilli, les options thérapeutiques sont identiques à celles des sujets plus jeunes. La metformine est de façon consensuelle le traitement de première intention chez les sujets âgés comme chez les plus jeunes. Elle améliore l’insulinorésistance, n’induit pas d’hypoglycémie et possède un effet neutre sur le plan pondéral. Ses effets secondaires digestifs peuvent être limités par une posologie progressive et une prise au milieu ou à la fin des repas. Une adaptation posologique est nécessaire lorsque le débit de filtration glomérulaire estimé (DFGe) est inférieur à 60 ml/min/1,73 m2. Ainsi, la posologie doit être de 2 g/j pour un DFGe de 45 à 60 ml/min/ 1,73 m2 et de 1 g/j pour un DFGe de 30 à 45 ml/min/1,73 m2. En dessous de 30 ml/min/1,73 m2, la metformine doit être interrompue, de même qu’encas d’affection intercurrente ou avant la réalisation d’une imagerie nécessitant une injection de produit iodé afin d’éviter la survenue d’une acidose lactique. En cas d’insuffisance de ce traitement initial, la décision médicale partagée après une information sur les avantages et les inconvénients de chaque classe médicamenteuse orientera le choix de seconde ligne vers l’association d’un iSGLT2, d’un AR GLP-1 ou d’un iDPP4. Une vigilance particulière portant sur l’état nutritionnel avec lesARGLP-1 et surtout les AR GIP/GLP-1 (non encore disponibles en France) doit être exercée en raison du risque de sarcopénie et de dénutrition(6). Même dans ce cas favorable, l’utilisation des sulfamides ou des glinides est déconseillée (figure 2). Figure 2. Stratégie thérapeutique chez la personne âgée de plus de 75 ans « en bonne santé » selon la SFD.   Chez les patients qui ont bien vieilli, mais qui présentent une athéromatose avérée Ces patients sont définis par un antécédent d’événement vasculaire (infarctus du myocarde, AVC ischémique, revascularisation, amputation en lien avec une ischémie…) ou d’une lésion athéromateuse significative (sténose de > 50 % sur une coronaire, une carotide ou une artère des membres inférieurs, angor instable, ischémie myocardique silencieuse ou artériopathie). Ces personnes doivent bénéficier, comme les sujets jeunes, de l’ajout à la metformine soit d’un iSGLT2 soit d’un AR GLP-1, quel que soit le niveau de l’HbA1c en surveillant la tolérance et l’état nutritionnel du patient. Ces médicaments ont démontré leur efficacité en réduisant les événements cardiovasculaires dans des populations à haut ou très haut risque, mais elles sont susceptibles d’induire des effets secondaires qui doivent être bien connus et dépistés notamment chez les seniors. Cependant, après 75 ans, l’utilisation des AR GLP-1 et des iSGLT2 doit être réservée à une minorité de patients, idéalement après avis d’un endocrinologue-diabétologue, car peu d’études ont été réalisées spécifiquement dans cette population particulière (figure 3). Figure 3. Stratégie thérapeutique chez la personne âgée de plus de 75 ans « en bonne santé » présentant une maladie athéromateuse, une maladie rénale chronique ou une insuffisance cardiaque selon la SFD.   Chez les patients qui ont bien vieilli, mais qui présentent une insuffisance cardiaque ou une maladie rénale chronique La prise de position de la SFD préconise pour ces personnes d’ajouter un iSGLT2 à la metformine, quel que soit le niveau de l’HbA1c, en raison de la protection rénale qui a été démontrée et de son efficacité en cas d’insuffisance cardiaque. En cas de contre-indication à ces médicaments, le recours aux AR GLP-1 est conseillé à condition que l’HbA1c se situe au-delà des objectifs. La surveillance de la tolérance du traitement est là encore indispensable (figure 3).   Chez les patients fragiles La SFD suggère dans ce contexte de privilégier l’association d’un iDPP4 à la metformine en raison de l’excellente tolérance de cette bithérapie notamment vis-à-vis du risque d’hypoglycémie. En cas d’insuffisance de ce traitement,le recours à une injection d’un analogue lent de l’insuline est préconisé. L’utilisation des iSGLT2 est possible en cas d’insuffisance cardiaque ou de maladie rénale chronique, généralement en concertation avec le cardiologue ou le néphrologue dans un but de protection cardio-rénale plutôt que dans celui d’améliorer le niveau glycémique (figure 4). La prescription des AR GLP-1 peut parfois se discuter, au cas par cas, chez le patient âgé en situation d’obésité en tenant compte du risque de sarcopénie voire de dénutrition. Figure 4. Stratégie thérapeutique chez la personne âgée fragile ou dépendante selon la SFD.   Chez les patients dépendants ou à la « santé très altérée » Comme dans la catégorie des personnes fragiles, après la metformine si elle n’est pas contre-indiquée, l’utilisation des sulfamides ou des glinides doit être évitée au profit des iDPP4. Chez ces patients, le recours à une insulinothérapie est souvent de mise, permettant d’assurer le confort de la personne en évitant la prise de multiples médicaments et en limitant le risque hypoglycémique. Le rapport bénéfice/risque de l’utilisation des nouvelles classes semble plutôt défavorable en dehors de l’intérêt des iSGLT2 en cas d’insuffisance cardiaque (figure 4).   CONCLUSION   La prise en charge des personnes diabétiques âgées est difficile, car chaque patient réussit différemment son vieillissement si bien que les objectifs et le mode de traitement ne sauraient être homogènes. Si les sujets en bonne santé doivent être traités comme les plus jeunes, la prudence s’impose pour les sujets fragiles et les patients dépendants et/ou à la santé très altérée, chez lesquels les complications gériatriques compliquent la prise en charge. La mise à disposition de nouvelles classes thérapeutiques apporte des bénéfices inédits sur le plan de la protection cardiovasculaire et rénale. Toutefois, les effets secondaires de ces médicaments doivent être bien connus afin de déterminer leur indication spécifique chez ces personnes âgées. Chez certains malades, la mise en place des nouvelles technologies comme la télémédecine ou la mesure en continu du glucose peuvent également être très utiles(9). Quoi qu’il en soit, le grand âge ne doit pas faire négliger la prise en charge des facteurs de risque cardiovasculaire et tout particulièrement de l’HTA ainsi que la nécessité d’obtenir une couverture vaccinale optimale. * 1. Service d’endocrinologie, hôpital d’instruction des armées Bégin, Saint-Mandé 2. Service de médecine interne polyvalente, CHU de Rouen, université de Normandie, Rouen 3. Service d’endocrinologie, nutrition, diabète, obésité. AP-HM, Hôpital de la Conception, Marseille Liens d’intérêt : Bernard Bauduceau déclare avoir reçu des honoraires pour des interventions ponctuelles de la part des entreprises AstraZeneca, Bayer, Merck Sharp & Dohme, Novartis, Novo Nordisk, Pfizer, Sanofi, Eli Lilly, Vitalaire. Lyse Bordier déclare avoir reçu des honoraires pour des interventions ponctuelles de la part des entreprisesAstraZeneca, Merck Sharp & Dohme, Novartis, Novo Nordisk, Sanofi, Eli Lilly, Boehringer Ingelheim, Bristol-Myers Squibb, Becton Dickinson, Jansen. Jean Doucet déclare avoir reçu des honoraires pour des interventions ponctuelles de la part des entreprises Novo Nordisk et Lilly, et des crédits pour une association de recherche clinique de la part des entreprises Novo Nordisk et Merck Serono. Patrice Darmon déclare avoir reçu des honoraires pour des interventions ponctuelles de la part des entreprises Abbott, AstraZeneca, Bastide Medical, Bayer, Boehringer Ingelheim, Eli Lilly, LVL Médical, Menarini, Merck Sharp & Dohme, Mundipharma, Novo Nordisk, Sanofi.

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