Publié le 31 oct 2023Lecture 9 min
Pratiques des centres initiateurs de pompes et boucles fermées en France : état des lieux en 2023
Sylvie PICARD*, Emmanuelle LECORNET-SOKOL**, *Cabinet d’endocrino-diabétologie, Point médical, Dijon, **FENAREDIAM, IPE
En France, la mise en place des pompes à insuline et des boucles fermées hybrides (BFH), mais aussi la prescription des capteurs utilisés à ce jour pour les BFH (capteurs Medtronic et Dexcom) est limitée aux centres initiateurs de pompe.
Une obligation légale d’hospitalisation…
Il n’existe pas de labellisation « officielle » des centres initiateurs, mais un cahier des charges largement basé sur l’arrêté ministériel du 17 juillet 2006 (publié au JORF du 25 août 2006). Celui-ci a été complété par la prise de position des experts de la SFD publiée en 2020(1) qui a défini le cahier des charges des centres initiateurs de BFH stipulant clairement que la mise en place peut se faire en hospitalisation ou en ambulatoire, par un centre initiateur hospitalier, libéral ou mixte sous réserve que le cahier des charges soit respecté, notamment pour la sécurité des patients.
Cependant, le plus souvent, mais pas toujours et avec une inégalité troublante entre les territoires, les caisses d’assurance maladie rejettent les prescriptions des spécialistes en endocrino-diabéto-nutrition (EDN) qui exercent en libéral (EDN-L) sans être rattachés à une structure hospitalière, même pour le renouvellement des capteurs. Et ceci, même si ces EDN-L travaillent en équipe et respectent l’ensemble des cahiers des charges de l’arrêté de 2006 et de la prise de position SFD de 2020. La raison repose sur deux mots inclus dans le texte de 2006 : « L’initiation au traitement requiert une formation intensive du patient en hospitalisation. »
Un arrêté vieux de 17 ans…
Plusieurs remarques peuvent être faites en réaction à cette obligation d’hospitalisation.
Le texte de 2006 remonte à une époque où il n’y avait ni capteurs de glucose ni télésurveillance ; l’évolution de la technologie est telle que 2006 ramène à une période très lointaine à l’échelle de l’évolution des technologies du diabète… On peut également ajouter que la société a beaucoup évolué et que l’utilisation du numérique, notamment avec les smartphones, a démocratisé l’utilisation des nouvelles technologies dans la population en général et donc parmi les patients.
L’hospitalisation n’est pas en soi un gage de qualité de la prise en charge, mais c’est le seul élément qui est pris en compte par les caisses, sans tenir compte de la formation, de la compétence, de l’expérience des prescripteurs, ni du respect des autres éléments du cahier des charges. C’est ainsi que de nombreux EDN formés dans de grands centres hospitaliers experts ne peuvent plus, une fois installés en ville, utiliser leurs compétences auprès de leurs patients, un peu comme si à formation équivalente un professionnel était moins compétent en libéral qu’à l’hôpital…
La France est un des seuls pays au monde où les patients sont hospitalisés pour la mise sous pompe ou BFH, ce qui représente un coût non négligeable sans forcément augmenter le temps médical et paramédical par rapport à une mise en place en ambulatoire. La différence de coût entre une mise en place en ambulatoire (avec tout l’environnement adéquat) et en hospitalisation de plusieurs jours peut être de 1 à 100 en notant cependant qu’à ce jour il n’y a pas de reconnaissance ou de valorisation de l’acte de mise sous pompe ou BFH pour les EDN quel que soit le mode d’exercice. Le virage ambulatoire constitue un pas dans l’évolution des pratiques, que ce soit pour des raisons organisationnelles ou économiques, mais aussi parce que les patients sont souvent demandeurs de soins externes. Les hôpitaux ne pourront pas gérer la mise en place des BFH pour l’ensemble des personnes avec diabète de type 1 qui souhaitent en bénéficier, du moins pas dans un délai raisonnable : les listes d’attente atteignent parfois 1 an dans certains centres et cela pourrait représenter une perte de chance pour certains patients. Sans compter que cela mobilise du temps médical et paramédical hospitalier pouvant mettre en péril d’autres activités dans des services déjà sous tension. Enfin, de plus en plus d’équipes ont commencé à mettre en place des circuits de coopération ville-hôpital.
Quelles sont réellement les modalités d’initiation des pompes/BFH en France en 2023 ?
Le paradoxe majeur est qu’alors que les prescriptions des capteurs de BFH sont refusées aux EDNL sous le prétexte qu’il n’y a pas d’hospitalisation, les équipes hospitalières semblent hospitaliser de moins en moins pour les initiations de pompe ou BFH dans la mouvance du virage ambulatoire. Mais les modalités pratiques sont largement inconnues. Pour cette raison, nous avons lancé une enquête visant à identifier les différentes pratiques d’initiation en France.
L’enquête
L’enquête a été menée de façon totalement indépendante, sous forme d’un lien Google-Form comprenant 18 questions très courtes à réponse obligatoire, dont 1 réponse libre sur les perspectives d’évolution des pratiques. Le temps de remplissage du questionnaire, totalement anonyme, était estimé à 5 minutes. L'enquête a été diffusée entre le 11 et le 27 mars 2023 aux EDN par l’intermédiaire de la FENAREDIAM pour les EDN-L, du CODEHG pour les CHG et par mails individuels pour les CHU. Des rappels ont été faits oralement au moment du congrès de la SFD et les réponses reçues jusqu’au 31 mars 2023 ont été prises en compte. Les questions portaient sur la pratique des 6 derniers mois pour l’initiation des pompes et BFH. Les réponses ont été analysées par extraction manuelle à partir de la feuille Excel générée par Google-Form.
Les centres initiateurs
Au 31 mars 2023, au total, 117 réponses ont été reçues. Deux centres ont été exclus des analyses chiffrées dans la mesure où il n’y avait eu aucune initiation de pompe ou BFH dans les 6 derniers mois dans ces centres. Globalement, sur 6 mois, 115 centres ont initié 2 007 pompes à insuline et 103 centres ont initié 2 420 BFH avec une répartition des modalités d’initiation résumée dans la figure 1.
Figure 1. Nombre de pompes et BFH initiées sur 6 mois par les centres initiateurs ayant répondu à l’enquête (115 centres pour les pompes, 103 pour les BFH). Ambulatoire = en clinique ou centre hospitalier ; HDJ = hôpital de jour ; cabinet L = cabinet libéral
Plus précisément :
– 30 centres « libéraux » (L) regroupant les EDN initiant pompes et/ou BFH exclusivement en cabinet (n = 9) ou en cabinet + clinique (n = 15) et/ou CHU (n = 8) et/ou CHG (n = 10). Ces centres ont réalisé en 6 mois l’initiation de 197 pompes (moyenne par centre ; min-max = 6,6 ; 1-25) et 259 BFH dans 24 centres (10,8 ; 1-80). Si l’on considère les 9 centres initiant exclusivement en cabinet libéral, ils ont initié en 6 mois 57 pompes (6,3 ; 1-15) et 32 BFH dans 6 centres (5,3 ; 1-10) ;
– 46 centres CHG ont initié en 6 mois 873 pompes (19,0 ; 2- 85) et 1 127 BFH dans 44 centres (25,3 ; 1-90) ;
– 39 centres CHU ont initié en 6 mois 937 pompes (24,0 ; 1- 260) et 1 034 BFH dans 35 centres (29,5 ; 1-150).
Qui hospitaliser ?
Les tableaux 1 et 2 résument les modalités d’initiation respectivement des pompes et BFH en fonction des conditions d’exercice (libéral, CHG, CHU). Au total, 58 % des pompes et 78 % des BFH ont été initiées sans aucune nuit d’hospitalisation. Seule l’initiation des pompes par les CHG reste majoritairement faite en hospitalisation traditionnelle avec en moyenne 3,1 nuits d’hospitalisation (1 à 4), mais l’initiation des BFH se fait largement en ambulatoire ou HDJ (74 %). Au niveau des CHU, l’initiation des pompes et BFH est réalisée respectivement à 77 % et 83 % en ambulatoire ou hôpital de jour. Les pompes et BFH initiées en libéral le sont pour respectivement 89 % et 77 % en ambulatoire (cabinet ou ambulatoire en clinique ou HDJ).
Si l’on considère les résultats par centres, pour les initiations de BFH, 18 centres libéraux sur 24 (75 %), 22 centres CHG sur 44 (50 %) et 15 centres CHU sur 35 (43 %) n’utilisent pas du tout l’hospitalisation traditionnelle (pour la pompe les pourcentages sont respectivement 63 %, 8,7 % et 28 %).
Presque la moitié des centres (47 %) indiquaient vouloir changer leur pratique dans le futur (63 % des centres libéraux, 39 % des centres CHG, 44 % des centres CHU) et en majorité pour augmenter la pratique ambulatoire ou HDJ aux dépens de l’hospitalisation traditionnelle. Les commentaires signalaient également une volonté de faciliter les initiations en libéral et une frustration importante des longs délais imposés aux patients pour l’initiation des BFH.
Quelles conclusions tirer de l’enquête ?
Cette enquête montre que l’hospitalisation traditionnelle devient minoritaire pour l’initiation des pompes (à l’exception des CHG) et surtout des BFH qui sont globalement 3 fois sur 4 initiées en ambulatoire et même davantage en CHU où 83 % des BFH sont initiées en ambulatoire.
Bien entendu, cette étude a des limites, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’une enquête déclarative, non exhaustive. Le nombre d’initiations de pompes par certains CHU ou CHG semble extrêmement bas : même s’il était indiqué que seuls les EDN initiant eux-mêmes des pompes étaient concernés par l’enquête, il est possible que certains EDN-L aient répondu qu’ils initiaient en CHU ou en CHG, ce qui rendait leur identification impossible ; cependant les centres CHU ou CHG initiant très peu de pompes étaient très peu nombreux et cela ne devrait pas avoir modifié de façon importante les résultats puisque le nombre de pompes/BFH déclaré ainsi était très faible. Globalement le taux de réponse à l’enquête semble excellent et cohérent notamment avec l’enquête menée par la FENAREDIAM en 2022 qui avait identifié une trentaine de centres initiateurs libéraux(2).
On observe également que le nombre de pompes et BFH initiées en cabinet libéral reste globalement très faible, suggérant que peu d’EDN-L initient pompes et BFH, mais ceux-ci sont généralement bien formés et pratiquent l’initiation de pompes de façon régulière et rigoureuse(2). Les EDN-L ont parfaitement conscience de la nécessité d’une organisation adéquate (équipe pluriprofessionnelle, temps dédié, formation technique, astreinte médicale, etc.) et tous ne souhaitent pas mettre en place cette activité. Cela suggère aussi que l’ouverture de la prescription des capteurs de BFH aux EDN-L ne risque probablement pas d’entraîner une « explosion » des prescriptions, seuls quelques EDN-L acceptant les cahiers des charges actuels pour la pompe et la BFH.
Outre les arguments énoncés dans l’introduction, il apparaît donc que même les centres qui ont les capacités d’hospitaliser ne le font plus fréquemment et les patients sont d’ailleurs très demandeurs de solutions ambulatoires. Il s’agit non seulement d’améliorer l’accès aux soins, de fluidifier le parcours, mais aussi d’élargir et de mieux répartir l’offre pour ces technologies innovantes. Beaucoup de services hospitaliers sont en situation de tension et permettre aux EDN-L motivés, formés et compétents d’initier les pompes et CGM en cabinet c’est aussi les faire participer à l’effort de santé publique indispensable dans cette période difficile pour notre système de santé. Les autorités de santé devraient également être sensibles à l’aspect économique.
Nos chiffres peuvent donc constituer un argument supplémentaire pour essayer de faire modifier l’arrêté de 2006, très bloquant pour les EDN-L, mais pouvant l’être aussi pour tous les EDN. Surtout, il faut attirer l’attention des fabricants de capteurs et de BFH pour que les nouveaux textes de mise sur le marché de nouveaux systèmes s’adaptent aux changements de technologie et d’environnement majeurs en ne définissant plus les centres initiateurs d’après l’arrêté de 2006 qui impose une hospitalisation pour la mise sous pompe ou BFH, mais en considérant la prise de position de la SFD avec des centres initiateurs et de suivis libéraux, hospitaliers ou mixtes respectant un cahier des charges rigoureux(1).
Figure 2. Pourcentages de pompes et de BFH initiées sans aucune nuit d’hospitalisation globalement et en fonction des modalités d’exercice.
Centres L = centres libéraux
Remerciements
Un très grand merci à tous les EDN qui ont répondu à l’enquête, ainsi qu’au CODEHG et aux responsables régionaux de la FENAREDIAM pour l’aide à la diffusion de l’enquête.
Les auteurs ne déclarent aucun lien d’intérêts relié directement à cet article. En dehors, S. Picard est consultante et/ou oratrice pour Abbott, Air Liquide, Insulet, Lifescan, Lilly, Medtronic, Novo Nordisk, Roche Diabetes Care, Sanofi, VitalAire et ELS est consultante pour Abbott, AstraZeneca, Boehringer Ingelheim, Insulet, Lifescan, Lilly, Novo Nordisk, Sanofi.
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