Insuline
Publié le 14 déc 2022Lecture 12 min
Les insulines hebdomadaires - Petit pas ou grand bond dans le paysage de l’insulinothérapie basale
Louis MONNIER, Claude COLETTE, Université de Montpellier, Faculté de médecine
Quel que soit le mode d’administration des préparations insuliniques par voie sous-cutanée (injections discontinues à l’aide de stylos ou infusion continue grâce à une pompe), leur distribution au cours de la journée doit couvrir à la fois les besoins insuliniques prandiaux pour contrôler les excursions glycémiques postprandiales et les besoins insuliniques interprandiaux pour maintenir les glycémies de base aussi proches que possible de la normale. Quand le déficit de la sécrétion insulinique endogène est total ou quasi absolu, le patient doit toujours avoir recours à une insulinothérapie de type basal-bolus. Quand le patient n’est pas sous pompe à insuline, les bolus sont administrés 3 fois par jour, avant chaque repas, sous forme d’analogues rapides ou ultrarapides. L’insuline basale est injectée le plus souvent une fois par jour sous forme d’un analogue lent de l’insuline ayant de préférence une durée d’action ≥ 24 heures : glargine U100 ou U300 et dégludec(1,2). Chez les diabétiques de type 2, l’évolution progressive au cours du temps peut conduire à une insulinorequérance quand l’insulinosécrétion résiduelle devient insuffisante. Dans un premier temps, c’est le plus souvent une insulinothérapie basale isolée qui est initiée, même lorsque l’évolution de la maladie nécessite ultérieurement une intensification du traitement insulinique avec des schémas basal-bolus (+1 ou +2) pouvant aller jusqu’au basal-bolus complet (+3)(3). De toute manière, à partir du moment où elle est « insulinée », toute personne ayant un diabète de type 1 ou 2 doit recevoir un analogue lent de l’insuline. Aujourd’hui en France, c’est environ un demi-million de patients diabétiques de type 2 qui reçoivent quotidiennement au moins une injection d’un analogue lent de l’insuline.
∣ Le pourquoi des insulines hebdomadaires
Pour couvrir les besoins insuliniques de base, l’idéal est de disposer de préparations insuliniques ayant un profil d’activité aussi étale que possible et correspondant au concept des « flat insulins » avec l’objectif du « flat sugar », c’est-à-dire de glycémies dont les moyennes sont aussi proches que possible de la normale et dont les fluctuations intra- et inter-journalières restent faibles. C’est dans ces conditions que l’on a le maximum de chan ces d’éviter les hypoglycémies et les dérives hyperglycémiques qui surviennent à distance des repas pendant les périodes postabsorptives qui s’étendent de la 4e à la 10e heure après toute prise alimentaire et pendant les périodes de jeûne qui succèdent à la période post-absorptive. Le maximum de résorption des analogues lents de l’insuline, même s’il est relativement étale, se situe en général dans ces périodes post-absorptives et/ou de jeûne. En effet, les études de pharmacocinétique (PK) nous ont appris que les profils des concentrations plasmatiques en insuline après injection d’un analogue lent sont caractérisés par 3 périodes successives avec une phase ascendante initiale à laquelle succède un maximum s’apparentant à un quasi-plateau, lui-même suivi par une descente progressive. Le quasi-plateau diffère d’un analogue lent à l’autre. Il se situe entre la 3e et la 8e heure pour la glargine U100, entre la 3e et la 10e heure pour la glargine U300 et entre la 4e et la 12e heure pour la dégludec(1,2). Quand l’analogue lent est injecté avant le dîner ou au moment du coucher (les cas les plus fréquents), c’est en période nocturne que le risque d’hypoglycémie est le plus élevé. Toutefois, c’est avec les analogues lents pour lesquels le quasiplateau est le plus long et le plus stable (glargine U300 et dégludec) que le risque est le plus faible comme cela a été démontré par les études EDITION et DEVOTE(4-6). Il n’en reste pas moins que les analogues lents commercialisés à ce jour doivent être injectés au moins une fois par jour et que les profils pharmacocinétiques (durée des quasiplateaux par exemple) sont sujets à des variations intra- et interindividuelles(7).
Compte tenu de ces quelques remarques préliminaires, l’objectif des insulines hebdomadaires est double : (a) diminuer les contraintes des injections quotidiennes et (b) obtenir des insulines basales ayant une résorption quasi stable avec une variabilité pharmacologique (PK/PD) aussi faible que possible pour minimiser le risque d’hypoglycémie.
∣ Le comment des insulines hebdomadaires
Plusieurs méthodes sont proposées pour prolonger la durée d’action des insulines sur une semaine(8,9). Les principes d’obtention de ces insulines hebdomadaires sont résumés sur le tableau 1 et sur les figures 1 et 2. Toutefois ces différentes approches ne sont probablement pas toutes promises au même avenir. En allant des moins prometteuses vers celles qui le sont le plus, la hiérarchie peut être établie de la manière suivante.
La méthode la moins porteuse : la « PEGylation » de l’insuline
Ce terme assez barbare et peu avenant l’est encore moins quand on sait qu’il correspond à un branchement sur l’insuline d’une chaîne polymérique de polyéthylène glycol (PEG). Ce produit dont il existe plusieurs variétés est utilisé en cosmétologie pour fabriquer des gels à usage dermatologique. Moins rassurant est le fait que sous leur forme monomérique, le monoéthylène glycol, ces produits sont utilisés comme « antigel » dans les radiateurs de voitures. L’insertion du PEG sur la phénylalanine située en position 1 de la chaîne B de l’insuline (figure 1) conduit par appel hydrique à la formation d’un complexe hydrodynamique dont le volume augmente au contact de l’eau interstitielle du tissu cellulaire sous-cutané avec pour conséquence un raletissement de l’absorption de l’insuline au niveau du point d’injection. Ce procédé avait déjà été utilisé pour produire certaines insulines lentes ayant une durée d’action de l’ordre de 24 heures, mais qui furent rapidement abandonnées en raison de problèmes hépatiques observés au cours des phases de précommercialisation. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’avenir de ce procédé semble fortement compromis.
Une méthode qui pourrait voir le jour : la liaison de l’insuline à une immunoglobuline
Ce procédé consiste à greffer une immunoglobuline G sur l’acide aminé situé en position 21 de la chaîne A de l’insuline (figure 1). Cette liaison se fait par l’intermédiaire d’une chaîne protéique de liaison (« linker ») entre l’acide aminé A21 et la fraction cristallisable d’une IgG (FcIgG). Cette fraction cristallisable constitue la racine de l’IgG dont les 2 branches en forme de « Y » correspondent à la fraction anticorpale (Fcab). Elle sert normalement à la fixation de l’IgG sur le récepteur membranaire de ses cellules cibles. Dans le cas présent, la FcIgG sert à la fixation de l’IgG sur l’insuline. Le complexe Insuline-IgG qui en résulte est désigné sous le terme « d’insuline basale Fc ». Sa résorption s’aligne sur celle de sa composante dont la durée de vie est la plus longue, en l’occurrence l’IgG. La conséquence est une demi-vie très longue de l’ordre de 17 jours avec une activité hypoglycémiante soutenue ≥ 5 jours(10). Dans le premier essai de phase 2 qui a été réalisé chez des diabétiques de type 2, il a été établi que l’insuline basale Fc entraîne une diminution de l’HbA1c allant de -0,57 à -0,58 % et comparable à celle qui est obtenue avec la dégludec (-0,66 %). Avec l’insuline basale Fc l’incidence des hypoglycémies < 70 mg/dL a été plus faible qu’avec la dégludec et identique pour les hypoglycémies < 54 mg/dL. D’autres essais comparatifs sont en cours.
Une méthode très prometteuse : l’insuline icodec
• Caractéristiques structurelles de l’icodec et ses conséquences pharmacologiques
L’icodec mise au point par le laboratoire Novo Nordisk est actuellement l’insuline hebdomadaire dont le développement est le plus avancé. Elle conjugue plusieurs caractéristiques structurelles (figure 2)(11,12).
La première est une acylation (insertion d’une chaîne carbonée), procédé déjà utilisé dans l’insuline dégludec, afin de lui conférer les propriétés, d’une part, de se protracter en multihexamères après injection dans le tissu cellulaire sous-cutané et, d’autre part, de se fixer sur l’albumine plasmatique au moment de son passage dans la circulation sanguine. L’acylation de l’icodec, légèrement différente de celle de la dégludec fait appel à un diacide en C20 alors qu’il s’agit d’un diacide en C16 pour la dégludec. Le « spacer » qui permet l’insertion de la chaîne carbonée sur la lysine en B29 après délétion de la thréonine en B30 est un oligoéthylène glycol de l’acide gamma L-glutamique dans l’icodec au lieu d’être un simple acide gamma L-glutamique dans la dégludec. La protraction et la fixation sur l’albumine augmentent la durée d’action de l’insuline icodec.
La deuxième caractéristique structurelle est fondamentale. Elle repose sur 3 substitutions d’acides aminés en A14, B15 et surtout B25 où la phénylalanine est remplacée par de l’histidine (figure 2). Elle conduit à une prolongation encore accrue de l’activité de l’icodec, car ces substitutions se situent dans la zone comprise entre les positions B23 et B26 qui jouent un rôle majeur dans la fixation (« le bobinage ») de l’insuline sur son récepteur et la libération (« le débobinage ») de l’insuline de son récepteur. La conséquence est un ralentissement de la fixation et de la libération de l’insuline sur et à partir de son récepteur.
L’ensemble de ces modifications se traduit par de nouvelles caractéristiques pharmacologiques. En termes de pharmacocinétique (PK), le pic des concentrations insuliniques après une injection d’icodec est atteint en moyenne à la 16e heure et la demi-vie est de l’ordre de 196 heures(13). Si on se place sur le versant pharmacodynamique (PD), l’effet hypoglycémiant de l’icodec est distribué de manière très homogène sur une période de 7 jours. Le débit d’infusion du glucose sur 24 heures (Glucose Infusion Rate, GIR-24h) nécessaire pour maintenir la glycémie normale après une injection d’icodec varie entre un minimum quotidien égal à 12 % du total hebdomadaire et un maximum égal à 16,3 % (figure 3)(14).
• Efficacité de l’insuline icodec sur l’homéostasie glucidique
Chez des patients ayant un diabète de type 2 et recevant pour la première fois un traitement insulinique, l’insuline icodec administrée de manière hebdomadaire donne des résultats identiques à ceux de la glargine U100 injectée quotidiennement. L’évolution de l’HbA1c pendant les 26 semaines de la durée de l’étude est donnée sur la figure 4(15). Le différentiel d’HbA1c en faveur de l’icodec à la fin de la 26e semaine est de -0,18 % en pourcentage de points d’HbA1c, mais avec une différence non significative : p = 0,08. L’étude des profils glycémiques 9 points montre une réduction identique des glycémies avec les 2 types d’insuline (figure 5)(15). Pendant les deux dernières semaines (de la 24e à la 26e semaine), les pourcentages de temps passés entre 70 et 140 mg/dl ont été un peu plus longs avec l’icodec (66,11 %) qu’avec avec la glargine U100 (60,71 %). De plus, il convient de noter qu’en fin de suivi la dose d’insuline ramenée en unités/ jour a été plus faible avec l’icodec (# 33 unités) qu’avec la glargine U100 (# 41 unités). Ces résultats indiquent globalement que l’icodec a au minimum une efficacité identique à celle de l’insuline glargine U100. Des résultats superposables ont été observés dans d’autres études ayant comparé l’icodec et la glargine U100, certaines de ces études ayant été conduites chez des patients diabétiques de type 2 déjà traités par une insuline basale combinée à des antidiabétiques oraux avant le début de l’essai thérapeutique(16), tandis que d’autres ont été réalisées chez des patients diabétiques non insulinés jusque-là(17). À noter que l’une de ces études s’est appliquée à déterminer la stratégie la plus efficace quand on passe dans le diabète de type 2 d’une insulinothérapie basale classique à l’icodec(16). Les résultats ont montré que le « passage » idéal était observé lorsque la première dose d’icodec est égale au double (2D) de la dose totale cumulée (D) d’insuline basale habituellement administrée par semaine, les doses ultérieures d’icodec étant, cela va de soi, égales à D. Cette dose de charge initiale (« priming dose » égale à 2D) permet de compenser le long délai de mise en route de l’icodec et d’obtenir un état d’équilibre (« steady state ») beaucoup plus rapidement qu’avec une « priming dose » égale à D.
• Sécurité de l’insuline icodec
La première sécurité est évidemment d’éviter les hypoglycémies. En raison de sa longue durée de vie (une semaine environ), le risque est de surdoser l’icodec au moment de l’injection hebdomadaire et de ne pouvoir réaliser un ajustement rapide (en 24 heures) une fois que la dose hebdomadaire a été injectée alors qu’avec les insulines lentes habituelles ayant une durée de 24 heures, tout surdosage sur une journée peut être rattrapé dès le lendemain en réduisant la dose. Pour l’instant on ne dispose que d’études préliminaires dont les données devront être réévaluées à la lumière d’études ultérieures, surtout si on souhaite traiter à la fois les diabètes de type 1 et 2 avec cette insuline hebdomadaire. Les études actuellement disponibles sont cependant encourageantes. Dans l’étude de Rosenstock(15), le nombre d’hypoglycémies mineures (niveau 1 entre 54 et 70 mg/dL) a été légèrement plus élevé sous icodec (5,09 événements par année-patient) que sous glargine U100 (2,11 événements par année-patient), mais avec un niveau qui reste faible. En ce qui concerne les hypoglycémies significatives (niveau 2, glycémies < 54 mg/dL), leur fréquence a été identique avec l’icodec (0,53 événement par année-patient) et la glargine (0,44 événement par année-patient). Une seule hypoglycémie de niveau 3 avec troubles cognitifs a été observée avec l’icodec mais avec une récupération rapide grâce à un simple apport de glucides par voie orale.
Le pouvoir « oncogénique » des analogues lents de l’insuline est toujours une question qui doit être évoquée chaque fois qu’une nouvelle préparation est proposée. À ce jour, ce type d’effet délétère a été écarté pour tous les analogues lents de l’insuline (glargine et dégludec). Qu’en est-il de l’icodec ? Seules des études in vitro permettent pour l’instant d’avoir une réponse partielle à cette question. Leurs conclusions semblent rassurantes, car les courbes dose-réponse montrent que 50 % du maximum de l’affinité de l’icodec pour le récepteur de l’IGF-1 (Insulin-Growth Factor-1) est obtenu pour une concentration d’icodec légèrement > 105 pmol, soit plus de 100 fois supérieure à celle nécessaire (légèrement < 103 pmol) pour arriver au même effet avec l’insuline humaine classique (figure 6)(13). Étant donné que l’insuline humaine a déjà une affinité 1 000 fois inférieure à celle de l’IGF-1 pour son propre récepteur, on peut en conclure que l’icodec a une affinité très faible pour le récepteur de l’IGF-1. L’icodec a donc un effet négligeable sur la croissance cellulaire. Le seul bémol pourrait résider dans les concentrations plasmatiques très fortes (30 000 pmol/L) obtenues après injection d’icodec(13), alors que les concentrations insuliniques chez un sujet normal ne dépassent jamais 500 pmol/L même en période postprandiale. Il convient de souligner que sur les 30 000 pmol/L(13), seule une fraction infime est libre dans le plasma (donc active) le reste étant inactif, car « bobiné » à l’albumine plasmatique. Cette infime fraction non liée à l’albumine n’a jamais pu être déterminée de manière précise y compris avec les autres insulines lentes qui utilisent le procédé d’acylation (dégludec ou détémir). À ce jour, ces 2 dernières variétés d’insuline n’ont jamais montré en pratique clinique de potentiel oncogénique. À noter que les concentrations plasmatiques totales (fraction libre + fraction liée à l’albumine) sont respectivement égales en moyenne à 5 000(2) et 2 500 pmol/L(18) chez les sujets traités respectivement par dégludec et détémir.
∣ Perspectives cliniques concernant les insulines hebdomadaires
En prenant pour référence l’éditorial de Jay Skyker paru dans Diabetes Care(19), il est permis de penser que les insulines hebdomadaires devraient transformer le traitement du diabète de type 2 et par extension celui du diabète de type 1. L’un des atouts majeurs de ces préparations insuliniques est de faciliter l’insulinothérapie basale en évitant les contraintes des injections quotidiennes. Dans ces conditions, de nombreux patients de type 2 nécessitant une insulinothérapie seront sûrement moins réticents pour accepter la mise en route d’un traitement insulinique, évitant ainsi l’inertie thérapeutique classique dans ce cas de figure. Pour aller plus loin, la mise sur le marché des insulines hebdomadaires pourrait conduire à la production de préparations de type « PreMix » les associant dans un même conditionnement (stylos par exemple) à des formes également hebdomadaires d’incrétinomimétiques(8,19) tels que des agonistes simples des ré cepteurs du GLP-1 comme le dulaglutide ou le sémaglutide (médicaments déjà bien connus et reconnus) ou tels que des agonistes doubles des récepteurs du GLP-1 et du GIP (médicaments en devenir) comme le très prometteur tirzépatide(20). Pourquoi dès lors ne pas envisager que le traitement de certains patients diabétiques (par exemple ceux ayant un type 2 ne répondant pas suffisamment aux antidiabétiques oraux) puisse être réduit à une seule injection par semaine (« a one shot weekly therapy ») en associant dans la même forme galénique l’icodec et l’incrétinomimétique simple ou double. Pour les schémas plus complexes nécessitant des protocoles insuliniques de type basal-bolus, on peut penser, au vu de la faible variabilité temporelle de la pharmacodynamie de l’icodec(14), que les prises alimentaires pourraient devenir plus flexibles dans leurs horaires, leur nombre et leurs teneurs en glucides. Dès lors les bolus d’insulines prandiales (analogues rapides ou ultra rapides de l’insuline) pourraient eux-mêmes devenir flexibles. L’avenir dira si ces perspectives correspondront à des petits pas ou à un grand bond, mais il est certain que l’insulinothérapie reste toujours, cent ans après sa découverte(21,22), l’objet de progrès incessants et que sa pratique d’aujourd’hui sera encore modifiée par les insulines hebdomadaires.
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