Cardiovasculaire
Publié le 25 avr 2019Lecture 9 min
L’hypercholestérolémie familiale : une maladie génétique méconnue et un risque coronaire majeur
Jean FERRIÈRES, Fédération de cardiologie, CHU de Toulouse
Il y a très peu de maladies génétiques qui soient aussi bien décrites que l’hypercholestérolémie familiale hétérozygote. Pourtant, cette maladie « avance cachée » et ce n’est qu’après plusieurs complications cardiovasculaires que l’on se pose la question de l’origine génétique de cette maladie métabolique. Le cardiologue est pourtant en première ligne. Il doit évoquer le diagnostic face à un accident coronaire prématuré chez un patient présentant des valeurs de LDL-cholestérol élevées. Une enquête familiale rapide permet d’évoquer le diagnostic et la certitude viendra d’un faisceau d’arguments cliniques ou du diagnostic génétique.
L’athérosclérose et le rôle des lipides
Depuis le tout début du XXe siècle, les chercheurs ont démontré que les plaques d’athérosclérose contiennent du cholestérol. Ces mêmes chercheurs ont pu reproduire chez l’animal une athérosclérose expérimentale directement liée à la consommation des graisses (tableau 1). L’année 1938 reste la date de la description clinique de l’hypercholestérolémie familiale. Depuis lors, les chercheurs et les cliniciens n’ont eu de cesse de démontrer la relation physiopathologique et les effets néfastes du LDL-C sur l’ensemble du réseau artériel. Comme pour tous les facteurs de risque, le risque lié au LDL-C est basé sur une notion probabiliste avec un risque coronaire d’autant plus élevé que l’exposition est plus grande (en intensité et en durée).
Néanmoins, il est apparu rapidement que l’hypercholestérolémie au sens large recouvrait 2 entités nosologiques différentes. D’une part, l’hypercholestérolémie polygénique correspond à des interactions complexes entre la nutrition et certains polymorphismes génétiques favorisant l’émergence d’une hypercholestérolémie. D’autre part, l’hypercholestérolémie familiale hétérozygote correspond à une maladie monogénique où l’exposition au LDL-C intervient dès la naissance. Cette affection monogénique correspond à un dysfonctionnement des LDL récepteurs et a fait l’objet d’une intense recherche étiologique et thérapeutique (tableau 1).
Une maladie méconnue pendant longtemps et diagnostiquée trop tard
La plupart des études montrent que seulement 10 % des patients porteurs d’hypercholestérolémie familiale (HF) sont diagnostiqués. Cela provient du fait que l’HF est une maladie lentement progressive depuis la naissance, où les dépôts de cholestérol dans les artères se constituent à bas bruit. Cette affection n’a pas d’impact sur la thrombose, à l’exception des patients qui ont une élévation combinée de la lipoprotéine (a). Ainsi, le premier diagnostic est généralement un syndrome coronarien aigu ou un angor d’effort. Si le cardiologue ne prête pas d’attention particulière à l’histoire familiale, l’hypercholestérolémie génétique se fond dans la masse des hypercholestérolémies pures et mixtes qui sont rencontrées tous les jours aux soins intensifs.
De manière schématique, les dyslipidémies proviennent soit de la voie exogène, soit de la voie endogène du métabolisme lipidique. La voie exogène est à l’origine des hypertriglycéridémies et est le plus souvent liée à un environnement défavorable comme un apport calorique exagéré et une sédentarité anormale. La voie endogène peut correspondre à une surproduction de LDL-C ou à un défaut de catabolisme des lipoprotéines riches en cholestérol. C’est ce 2e volet qui est concerné par l’HF hétérozygote. C’est bien une anomalie du LDL récepteur qui est à l’origine d’une accumulation anormale de lipoprotéines LDL dans la circulation et dans les tissus.
Un diagnostic facile et une origine génétique parfaitement connue
Le gène du LDL récepteur (LDLR) est parfaitement identifié. Il comporte 18 exons qui correspondent aux différentes parties du LDL-R, dont la partie extramembranaire qui capte les lipoprotéines LDL. À ce jour la prévalence de l’HF hétérozygote est de 1/200 ou 1/250. Il s’agit de très loin de la plus fréquente des anomalies génétiques en médecine, très loin devant la mucoviscidose dont la prévalence est 10 fois inférieure en population générale. À ce jour, plus de 1 200 mutations ont été individualisées sur le gène qui code pour le LDL-R, ainsi qu’un petit nombre de mutations sur le gène qui code pour l’apolipoprotéine B et quelques dizaines de mutations pour le gène qui code pour la protéine PCSK9.
Le diagnostic clinique peut se faire très aisément lorsque les dépôts extravasculaires de cholestérol sont présents. C’est le cas des xanthomes tendineux, des xanthélasmas et des arcs cornéens précoces chez les sujets de moins de 45 ans (figure 1). De nos jours, ces dépôts extravasculaires sont moins fréquents car les sujets hypercholestérolémiques sont traités plus précocement que dans le passé. C’est pour cela que des scores cliniques ont été élaborés afin de faciliter le dépistage de cette affection génétique. Le plus populaire de ces scores diagnostiques est le score de Dutch qui combine l’histoire familiale de cholestérol et de maladie cardiovasculaire prématurée, l’histoire clinique personnelle avec les dépôts extravasculaires et la maladie cardiovasculaire prématurée ainsi que les valeurs de LDL-C avant la mise en route d’un traitement médicamenteux. Bien évidemment, la présence d’une mutation affirme le diagnostic et permet de se passer des éléments cliniques classiques (tableau 2).
Figure 1. Les dépôts extravasculaires de cholestérol dans l’hypercholestérolémie familiale. A. Xanthome tendineux du tendon d’Achille. B. Xanthome tendineux des tendons extenseurs de la main. C. Xanthélasma. D. Arcs cornéens.
La maladie génétique la mieux définie en médecine
La forme clinique la plus sévère dans l’HF est sa forme homozygote dans laquelle les récepteurs peuvent être encore partiellement fonctionnels ou être complètement inopérants ; c’est dans la forme clinique où les LDL-R sont complètement inactifs que le LDL-C et le risque cardiovasculaire sont les plus élevés. Si l’un des 2 récepteurs est encore opérationnel, la forme homozygote est moins sévère et le risque d’infarctus du myocarde est moins élevé. Lorsque l’HF homozygote comporte 2 anomalies différentes du LDL-R, on parle d’hypercholestérolémie homozygote composée. Lorsque l’HF homozygote comporte une anomalie sur le LDL-R et une anomalie sur l’apo B ou sur la protéine PCSK9, on parle d’HF double hétérozygote.
Enfin, l’HF hétérozygote, la plus fréquente, comporte une forme très sévère avec un LDL-R inopérant et une forme grave avec un LDL-R partiellement inactif. C’est le rôle du généticien que de transformer l’information génétique portant sur les modifications des nucléotides de l’ADN en information clinique portant sur la fonctionnalité du LDL-R chez un patient donné. Le risque coronaire du patient dépend de cette fonctionnalité résiduelle du LDL-R.
Le risque de maladie coronaire prématurée dépend à la fois de la mutation et du niveau du LDL-C
À partir d’une série de 632 patients examinés dans notre service de cardiologie, nous avons individualisé 344 patients qui présentaient potentiellement une HF, c’est-à-dire ceux qui ont un LDL-C > 1,9 g/l. Parmi ces 344 patients, nous avons mis en évidence 197 mutations, soit 57 % de patients avec un diagnostic génétique certain. Parmi ces 197 patients, un patient était porteur d’une HF homozygote et, dans 17 situations, le généticien n’a pas pu conclure à la pathogénicité de la mutation rencontrée. Ainsi, seuls 179 patients sur 326 patients, soit 55 % des patients, portaient une mutation pathogène sur le LDL-R ou l’apo B. Parmi l’ensemble des patients, 13 % avaient déjà présenté une maladie coronaire prématurée, c’est-à-dire survenue avant 55 ans chez l’homme et 60 ans chez la femme. L’âge de survenue de cette maladie coronaire prématurée était de 48 ans chez ceux qui étaient porteurs d’une mutation positive. Les patients porteurs d’une mutation avaient un LDLC à 2,96 g/l comparativement à 2,66 g/l en l’absence de mutation individualisée.
En analyse multivariée, la présence d’une maladie coronaire prématurée et un taux de LDL-C > 3,3 g/l sont associés à une plus grande probabilité d’avoir une mutation positive ; le fait d’avoir un HDLC élevé et des triglycérides élevés est associé à une moindre probabilité d’avoir une mutation positive.
Lorsque l’on analyse les facteurs qui sont associés à la présence de la maladie coronaire prématurée, des résultats inédits dans la littérature médicale sont mis en évidence. En effet, le LDL-C > 3,30 g/l ainsi que la présence d’une mutation sont tous les 2 associés de manière indépendante à la présence d’une maladie coronaire prématurée. En d’autres termes, le niveau de LDL-C ne suffit pas à lui seul pour prédire la présence d’une maladie coronaire prématurée ; ceci justifie la recherche d’une mutation en pratique quotidienne afin de circonscrire au mieux le risque d’athérosclérose accélérée.
Les mesures thérapeutiques dans l’HF
La première mesure thérapeutique restera toujours la mise en route de règles hygiéno-diététiques et la promotion de l’exercice physique d’endurance. Néanmoins, dans l’HF, l’impact de la diététique ne dépasse pas 10 % de baisse du LDL-C. Par ailleurs, à l’autre extrémité des mesures thérapeutiques, se situe la LDL aphérèse. La LDL aphérèse est un traitement remarquable permettant la stabilisation des plaques d’athéros clérose coronaire et l’amélioration du pronostic vital chez les patients les plus sévères. Pour les centres de cardiologie qui disposent d’un centre de LDL aphérèse, ce traitement de dernier recours permet de sauver de nombreux patients et de les maintenir dans une situation compatible avec une vie normale. Il s’agit néanmoins d’une contrainte sociale et professionnelle dans la mesure où 2 demi-journées par mois doivent être consacrées à ces séances de LDL aphérèses.
En général, l’HF est traitée avec des médicaments (figure 2). D’une part, on peut prescrire des médicaments qui diminuent la production des VLDL : statines, mipomersen et lomitapide. D’autre part, on peut prescrire des médicaments qui favorisent l’expression du LDL-R : statines, ézétimibe et anticorps monoclonaux anti-PCSK9. Tous ces traitements sont complémentaires et doivent être utilisés de manière séquentielle en débutant d’abord par les statines puis par l’ézétimibe. Ce n’est qu’en cas de résistance à ces thérapeutiques de base que l’on envisage la prescription des anti-PCSK9 ou de la LDL aphérèse.
Figure 2. Les grands principes de traitement de l’hypercholestérolémie familiale.
Les recommandations ESC/EAS distinguent deux situations où la prescription des anticorps monoclonaux doit être envisagée. La première correspond aux patients porteurs d’une affection cardiovasculaire qui ne sont pas à l’objectif pour le LDL-C (figure 3). S’il s’agit d’un patient coronarien tout-venant, le niveau de LDL-C de 1,40 g/l est proposé comme seuil d’instauration d’un anti-PCSK9. Pour les sujets porteurs d’une affection cardiovasculaire et dont la progression de l’athérosclérose est inquiétante, ou qui cumule cette affection cardiovasculaire avec une HF ou un diabète, c’est le seuil de 1 g/l pour le LDL-C qui a été choisi. Pour les patients porteurs d’une HF hétérozygote sans atteinte cardiovasculaire, d’autres seuils de LDL-C ont été proposés pour prescrire un anti-PCSK9 (figure 4) :
– 1,80 g/l s’il s’agit d’une HF authentique qui n’est pas équilibrée avec des traitements classiques ;
– 1,40 g/l, si les patients porteurs d’une HF hétérozygote cumulent l’élévation du LDL-C avec une élévation de la LP(a), un diabète, d’autres facteurs de risque ou des antécédents familiaux de maladie cardiovasculaire prématurée.
Figure 3. La prescription des anticorps monoclonaux anti-PCSK9 dans la maladie cardiovasculaire. D’après Eur Heart J 2017.
Figure 4. La prescription des anticorps monoclonaux anti-PCSK9 dans l’hypercholestérolémie familiale hétérozygote. D’après Eur Heart J 2017.
En France à ce jour, deux seules indications sont remboursées par l’assurance maladie : l’évolocumab chez les patients porteurs d’une HF homozygote et l’alirocumab chez les patients porteurs d’une hypercholestérolémie sévère relevant de LDL aphérèses. Cette attitude ne correspond ni à l’autorisation européenne ni aux résultats des essais cliniques de morbi-mortalité publiés à ce jour. La cardiologie fait donc avec les anticorps monoclonaux l’objet d’une expérimentation des prix dans le nouveau domaine des biothérapies.
Conclusion
L’HF hétérozygote est la maladie génétique la plus fréquente en médecine. C’est l’exemple le plus démonstratif d’une athérosclérose accélérée au niveau coronarien.
Elle ne pose pas de problème de diagnostic clinique. Néanmoins, le diagnostic se fait tardivement à l’occasion de complications cardiovasculaires, comme un syndrome coronarien aigu. Le diagnostic génétique précis est disponible pour l’ensemble des patients français et permet d’optimiser l’évaluation du risque coronaire de manière très performante.
Les perspectives thérapeutiques dans l’HF sont très larges et feront l’objet dans les années à venir de nouvelles indications de remboursement.
À ce jour, la mission du cardiologue est de dépister au sein du flux de patients, ceux dont le LDL-cholestérol est le plus élevé et qui méritent une attention particulière à la fois sur le plan diagnostique, pronostique, et thérapeutique.
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