Publié le 25 avr 2019Lecture 13 min
Pèlerinage aux lieux saints : le Hadj - Quelques conseils pratiques destinés aux patients diabétiques
Bernard BAUDUCEAU et coll*, Ancien chef du service d’endocrinologie, Hôpital Bégin, Saint-Mandé
Le pèlerinage est un moment très fort de la vie des musulmans puisque le Hadj constitue l’un des 5 piliers de l’islam (figure 1).
Figure 1. La Kaaba est située au centre de la mosquée al-Haram de La Mecque. Les pèlerins en font 7 fois le tour dans le cadre de la circumambulation (Tawâf).
Ce pèlerinage, d’une durée habituelle de 1 mois, est obligatoire une fois dans la vie pour tous les croyants qui disposent des capacités financières et physiques nécessaires à sa participation.
Contrairement au Omra, dont la durée est de 15 jours et qui se déroule toute l’année, la date du début du Hadj est fixée 2 mois après la fin du ramadan. La période du pèlerinage varie donc au fil des années, ce qui induit des contraintes climatiques très variables.
Le nombre des pèlerins est établi par quota, si bien que seuls 36 000 Algériens et 24 000 musulmans de France se sont rendus sur les lieux saints en 2012, chiffres bien inférieurs à la demande, ce qui explique la nécessité d’un tirage au sort.
Compte tenu de l’âge de la population des pèlerins, statistiquement une personne sur cinq présente un diabète justifiant des précautions particulières afin de limiter les risques liés à la maladie et au traitement.
Les soignants prenant en charge des personnes diabétiques doivent connaître les conditions pratiques du déroulement du pèlerinage afin de pouvoir conseiller leurs patients et que le Hadj se passe le mieux possible pour eux.
Risques liés au Hadj dans la population générale
La durée totale du voyage jusqu’à La Mecque est parfois très longue et peut dépasser 24 heures. Les pèlerins sont fréquemment sans expérience des séjours à l’étranger et il n’est pas rare qu’il s’agisse de leur premier voyage.
Le pèlerinage se caractérise par une grande densité de population, ce qui sous-entend la possibilité de bousculades et de mouvements de foules qui peuvent contribuer à l’épuisement physique de personnes affaiblies et à des chutes parfois très graves. La foule des pèlerins explique les longues périodes d’attente et le bouleversement des rythmes quotidiens.
La chaleur lors de marches prolongées expose au risque de déshydratation ou de colique néphrétique, surtout durant les mois les plus chauds. Les contrastes thermiques liés à la climatisation facilitent les infections respiratoires. Les chambres sont fréquemment partagées par plusieurs personnes, expliquant que les conditions de séjour ne soient pas toujours optimales.
Enfin, l’alimentation est souvent défectueuse, les pèlerins réservant les dépenses à l’achat de souvenirs.
Risques particuliers pour les patients diabétiques
Le pèlerinage est une épreuve physiquement très éprouvante, tout particulièrement pour les patients diabétiques.
L’ambiance du pèlerinage, qui détourne l’attention du pèlerin, peut conduire à un oubli du traitement du diabète, voire à son arrêt. Malheureusement, ce séjour dans les lieux sains ne supprime pas la maladie d’autant que des facteurs de premier plan interviennent sur la qualité de l’équilibre du diabète, soit à type d’hyperglycémie en cas d’arrêt du traitement, soit d’hypoglycémie du fait des efforts physiques et de l’inadaptation de l’alimentation.
Les risques de bousculades peuvent provoquer des chutes et des traumatismes, en particulier au niveau des pieds, tandis que la promiscuité et la chaleur favorisent les infections pulmonaires ou cutanées.
Aussi, le patient diabétique devrait-il en théorie être bien équilibré et en bonne santé pour effectuer le Hadj, mais il s’agit souvent au contraire de personnes âgées fragiles présentant des complications et des maladies associées.
Le soignant peut déconseiller le pèlerinage en fonction de l’état de santé du patient diabétique. Cependant, malgré les risques potentiels, les musulmans diabétiques sont souvent déterminés à effectuer le pèlerinage en raison du contexte religieux et socioculturel mais aussi du fait des aléas du tirage au sort car le nombre de pèlerins est limité par un quota annuel.
Dans ce contexte, le médecin doit accompagner et préparer son patient pour que le Hadj se passe dans de bonnes conditions et avec le moindre risque.
Préparation du voyage
S’informer
Le futur pèlerin doit absolument se renseigner sur les conditions de vie et de séjour, sur les dispositions sanitaires et sur les possibilités de soins sur place. La nécessité d’une assurance, les conditions de rapatriement et les vaccinations obligatoires en fonction du pays de départ doivent être également bien déterminées. La vérification de la provision des médicaments, des matériels de contrôle de la glycémie et des documents administratifs est impérative avant de partir (figure 2).
Figure 2. Vérifier la check-list avant le départ.
La visite de la commission médicale
Elle est réalisée en général 3 mois avant le départ. Ce délai laisse largement le temps au médecin traitant d’assurer une bonne préparation qui doit porter sur l’éducation thérapeutique, l’équilibre du diabète, l’ajustement des antidiabétiques oraux ou de l’insuline. En concertation avec la commission médicale, les médecins en charge du patient ne doivent pas hésiter à contre-indiquer le Hadj si le pronostic vital risque d’être engagé. Cette décision difficile doit être bien expliquée pour qu’elle soit acceptée le moins mal possible.
Faire le point de l’état de santé global du patient diabétique est impératif
La qualité de l’équilibre du diabète et le risque des accidents hypoglycémiques doivent être évalués. Le traitement peut être éventuellement modifié à cette occasion afin de limiter les épisodes prévisibles de déséquilibre. C’est ainsi que la prescription d’un inhibiteur des DPP-4 à la place d’un sulfamide ou d’un analogue lent en remplacement de l’insuline NPH peut limiter les risques d’hypoglycémie.
Les complications susceptibles de s’aggraver intéressant notamment les pieds, les reins ou le cœur doivent être explorées afin de mettre en place les mesures qui s’imposent.
Revoir le niveau d’éducation du patient ou de son accompagnant
Les facteurs susceptibles de déséquilibrer le diabète ainsi que les symptômes d’hyperglycémie et d’hypoglycémie doivent être bien connus. Le patient doit être sensibilisé à la nécessité de la prise régulière des repas et de l’importance des périodes de repos.
De nombreux autres points sont indispensables à vérifier comme la maîtrise de l’autosurveillance glycémique, la méthode de resucrage en cas d’hypoglycémie et les principes d’adaptation des doses d’insuline.
Une attention toute particulière doit être portée à la prévention des risques podologiques en insistant sur la nécessité de porter des chaussures confortables en évitant celles qui sont neuves et sur l’importance des soins en cas de blessure, même minime.
Enfin, une mise en garde est nécessaire sur les risques de la chaleur et du soleil, sur l’intérêt d’une réhydratation suffisante et du port d’un masque pour éviter les infections transmises par voie aérienne. Enfin, une consultation dentaire est très souhaitable avant le départ.
Une prise de contact avec le médecin accompagnateur est une mesure de précaution. Un certificat médical comportant l’état de santé du patient et ses risques potentiels notamment sur le plan cardiovasculaire, rénal et podologique permet d’améliorer la qualité et la continuité des soins.
Vaccinations
La promiscuité d’un très grand nombre de pèlerins (plus de 2 millions en 2018) venant du monde entier explique l’importance du risque infectieux et de l’obligation de la vaccination. Les contrôles des autorités locales sont particulièrement stricts en ce domaine.
Le vaccin obligatoire
Il est représenté par vaccin quadrivalent antiméningococcique A, C, Y et W135 qui doit être administré 10 jours avant le départ et dont l’immunité dure 3 ans. La vaccination habituellement réalisée en France contre les méningites A et C est insuffisante pour le pèlerinage qui nécessite impérativement le vaccin quadrivalent. L’absence de certificat de vaccination, même si le sujet est bien vacciné, rendra impossible l’accès à l’Arabie saoudite et le pèlerin devra immédiatement revenir dans son pays d’origine.
Les vaccins recommandés
Ce sont :
– diphtérie, tétanos, poliomyélite et coqueluche ;
– rougeole et hépatite B ;
– hépatite A : fortement recommandé ;
– typhoïde ;
– grippe : pour les sujets à partir de 65 ans ou atteints de maladies chroniques ;
– pneumocoque : pour les personnes présentant certaines maladies chroniques incluant naturellement le diabète.
Les vaccins inutiles
• Fièvre jaune : ce vaccin est inutile pour les pèlerins venant de France ou du Maghreb puisque l’Arabie saoudite ne figure pas dans la liste des zones d’endémie. En revanche, il est obligatoire pour les personnes venant de pays d’Afrique ou d’Amérique du Sud exposés au risque de cette maladie.
• Choléra : ce vaccin est uniquement nécessaire pour les personnels de santé travaillant dans les zones où sévit une épidémie.
Au cours du voyage
Le voyageur, souvent âgé et inexpérimenté, doit prévoir de s’alimenter régulièrement en raison des attentes ou de la durée du voyage et par conséquent se munir de provisions. Au cours du vol, une bonne hydratation en buvant suffisamment d’eau et les déplacements réguliers dans l’avion sont recommandés pour éviter la stase veineuse et les phlébites.
Pour un voyage entre la France ou le Maghreb et l’Arabie saoudite, la gestion du décalage horaire est assez simple puisque la différence d’horaire n’est que de 2 heures et que le traitement ne nécessite d’être modifié qu’au-delà de 3 heures.
D’une manière générale, il n’existe aucun problème pour les voyages Nord-Sud, tandis que ceux d’Est en Ouest allongent la journée et que ceux d’Ouest en Est la raccourcissent. Lorsque cela s’avère nécessaire, une injection d’un analogue rapide au moment des repas au cours du voyage permet de combler le décalage.
Pour le pèlerin diabétique voyageant seul, il est préférable de signaler à l’hôtesse la nature de la maladie et le risque éventuel de malaise hypoglycémique. Le contrôle régulier des glycémies capillaires constitue également une excellente précaution.
La prévision en suffisance d’une réserve de matériel est indispensable. Une partie du traitement doit être gardée dans le bagage à main. Le transport de l’insuline est autorisé en cabine aussi bien qu’en soute car il n’existe pas de risque de gel, la température restant supérieure à 4 °C.
Les passages sous les portiques peuvent dérégler les pompes à insuline. Deux solutions sont possibles : soit enlever le dispositif avant les contrôles, soit conserver la pompe en la signalant à l’agent chargé des mesures de sûreté.
Une ordonnance et un certificat médical rédigés en français, en anglais et si possible en arabe constituent des moyens utiles pour faciliter les démarches administratives aéroportuaires.
Conseils pratiques durant le pèlerinage
Dès l’arrivée à destination, la personne diabétique doit s’informer sur le lieu de la délégation nationale qui assure le soutien sanitaire des pèlerins.
• Un certain nombre de pièges et de croyances doivent être soulignés et combattus. Celui faisant état que le diabète disparaîtrait lors du pèlerinage est sans doute le plus dangereux. En effet, cette illusion conduit au sentiment de ne pas avoir besoin de traitement et donc à l’oubli des prises médicamenteuses avec les conséquences que cela implique.
• La protection de l’insuline est un objectif prioritaire. Le médicament doit être placé dans une poche réfrigérante lors des déplacements et la réserve d’insuline conservée au frais dans le lieu d’hébergement.
• Le port d’un bracelet autour du poignet comportant le numéro du passeport est obligatoire. Une carte indiquant que le pèlerin présente un diabète et quel traitement doit être administré en cas de malaise est une sage précaution. Disposer d’un téléphone portable est également très utile.
• Un rythme de vie inhabituel, des repas insuffisants et une activité physique importante pour des personnes souvent sédentaires conduisent fréquemment à des malaises ou à des accidents hypoglycémiques chez les patients traités par sulfamides hypoglycémiants ou par insuline. La vérification des glycémies capillaires au moindre doute surtout en cas de symptôme ou avant de démarrer un rituel sous-entend l’obligation de disposer d’un lecteur et de ne pas l’avoir oublié dans la chambre. Une alimentation régulière et une provision de produits sucrés disponibles en cas d’hypoglycémie sont des mesures préventives de bon sens.
Enfin, un échange avec le médecin accompagnateur ou avec celui de la mission officielle peut être utile afin d’ajuster le traitement pour éviter la survenue de ces accidents hypoglycémiques.
• La prévention des lésions du pied est un point capital car ils sont très exposés au cours du pèlerinage. Le port de chaussures larges et confortables déjà utilisées avant le départ ainsi que de chaussettes peut permettre d’éviter les plaies, surtout en cas de neuropathie. Le pèlerin doit donc absolument éviter de marcher pieds nus, d’autant qu’il existe des dérogations pour permettre de le faire contre une aumône. L’utilisation des aménagements et des moyens mis à disposition pour effectuer les rituels comme les fauteuils roulants est également une mesure très utile. Une attention particulière doit être portée sur la longue marche entre Mina et Mouzdalifa qui nécessite de bonnes chaussures et une grande énergie. Il est donc recommandé aux personnes fragiles de prendre l’autobus.
L’inspection quotidienne des pieds doit s’assurer de l’absence de rougeurs ou de blessures. En cas de plaie, une désinfection locale, la mise en place d’un pansement protecteur et une consultation rapide permettent d’éviter des catastrophes (figure 3).
• L’alimentation doit être saine et diversifiée en respectant l’heure des principaux repas et des collations. Laver les fruits et peler les légumes ou les cuire avant de les consommer sont des recommandations indispensables pour éviter les affections transmissibles par voie digestive, même si cela n’est pas toujours facilement réalisable. La recommandation de prendre d’abondantes boissons est habituellement observée durant le Hadj, d’autant que l’eau bénite de Zamzam est largement disponible.
Figure 3. Le risque podologique est extrême au cours du pèlerinage.
Au total, pour le patient diabétique, prendre soin de soi et suivre son traitement constituent un acte essentiel du pèlerinage car cette attitude lui permettra de mieux s’acquitter de ses devoirs religieux.
Conseils durant l’accomplissement de certains rituels
Ne pas marcher seul durant l’accomplissement des rituels et accomplir les rites exigés avec modération et prudence sont des précautions indispensables. En prévision des activités physiques importantes, une adaptation du traitement et notamment des doses d’insuline doit être discutée avec le médecin accompagnateur. Il est essentiel d’éviter les bousculades dans les grands rassemblements, notamment lors de l’escalade du mont Arafat qui est déconseillée aux patients diabétiques.
Certains aménagements sont possibles comme celui de déléguer une tierce personne pour le lancer de cailloux (jamarate). Enfin il ne faut pas hésiter à prendre les moyens de transport pour les trajets qui sont les plus longs (figure 4).
Figure 4. Parcours des pèlerins dans les lieux saints.
Les recommandations sont de ne débuter le Tawâf (tours rituels autour de la Kaaba) ou le Sa’i (marche entre Safâ et Marwah) qu’après avoir pris les médicaments et un repas afin d’éviter une hypoglycémie tout en veillant à ne pas manger excessivement mais en consommant régulièrement des boissons.
Lors de ces rituels, il est préférable de choisir un moment où il ne fait pas trop chaud, de se protéger du soleil et de se tenir loin des zones dans lesquelles la foule est très dense.
Enfin, l’interruption temporaire d’effectuer les rites est impérative en cas de malaise ou de symptômes d’hypoglycémie. En cas de nécessité, un grand nombre d’infrastructures et de services de santé sont mis en place par le ministère pour offrir les soins nécessaires.
Toutes ces précautions qui peuvent paraître exagérées sont en réalité nécessaires car le pèlerinage est le fait de personnes habituellement âgées et souvent malades, voire très malades. Chaque année, un millier de décès est à déplorer sans compter les grandes bousculades qui peuvent entraîner plusieurs centaines de morts supplémentaires.
Globalement, lorsqu’un décès est déclaré, tout doit aller très vite et la famille est sollicitée pour signer une procuration afin d’autoriser les autorités saoudiennes à enterrer le défunt sur place. Si l’expérience peut être difficile pour les familles, mourir à La Mecque ou à Médine est considéré par les croyants comme une excellente fin et même comme une bénédiction. L’enterrement a lieu à Mina, à quelques kilomètres de la Grande Mosquée.
Au retour
Le patient doit informer son médecin habituel sur d’éventuels problèmes survenus lors du Hadj comme un épisode de désorientation dans la foule, des malaises hypoglycémiques ou d’accident d’hyperglycémie souvent en rapport avec l’oubli de médicaments. Les infections broncho-pulmonaires ou digestives, les lésions des pieds ainsi que les hospitalisations en Arabie saoudite doivent être signalées afin de réaliser éventuellement des examens complémentaires ou de prescrire un traitement adapté.
Ces informations doivent permettre pour les soignants prenant en charge des patients diabétiques désireux d’effectuer le pèlerinage de mieux connaître leur état d’esprit et les contraintes du voyage et des rituels. Éviter les accidents parfois très graves chez des personnes âgées et souvent fatiguées doit rester l’objectif prioritaire des échanges entre les patients et leurs médecins afin que cette période très intense de la vie des musulmans se passe dans les meilleures conditions possibles.
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