Physiologie-Physiopathologie
Publié le 15 avr 2018Lecture 11 min
Pollution chimique et atmosphérique, nouveau facteur de risque du diabète ?
Jean-Louis SCHLIENGER, Université de Strasbourg
La prise de conscience que la pollution générée par la révolution industrielle avait des effets sanitaires néfastes a été tardive. La constatation d’une diminution de la médiane de concentration spermatique de près de 50 % entre 1940 et 1990 a été une première alerte(1). Depuis, de nombreux arguments expérimentaux et des études observationnelles ont confirmé les répercussions néfastes des changements environnementaux (variation climatique, contaminants et nuisances) et sociétaux (stress, sédentarité) sur la santé publique et la qualité de vie. Aujourd’hui, la contamination des aliments et la qualité de l’air inhalé sont devenues de tels sujets de préoccupation pour le grand public – toujours prêt à mettre en cause l’industrie et les progrès dont il était censé être le premier bénéficiaire – que les scientifiques et les autorités se sont saisis du problème les uns par le biais de l’écotoxicologie et les autres par des initiatives législatives. Qu’en est-il de l’impact des polluants sur les maladies métaboliques ?
Sources de contamination
Les produits chimiques ayant des répercussions potentielles sur la santé sont très présents dans l’environnement. L’alimentation est une voie majeure de contamination car les aliments contiennent de nombreuses substances à risque, soit présentes naturellement, soit ajoutées intentionnellement (additifs) ou non, les aliments étant contaminés par le contact avec leur contenant. Les substances à risque sont également présentes dans l’air ambiant. Dans le sol, elles contaminent les nappes d’eau souterraines avec des répercussions inéluctables sur l’eau de boisson et la chaine alimentaire. Personne n’échappe à cette contamination. Aujourd’hui, l’ensemble de la population présente dès la naissance des taux détectables de bisphénol A (BPA), l’un des perturbateurs endocriniens parmi les plus médiatiques(2).
Les perturbateurs endocriniens
Parmi les dizaines de milliers de composés chimiques résultant de l’activité humaine, il en est qui ont été reconnus comme des perturbateurs endocriniens environnementaux (PE) en raison de leur capacité à interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et à induire des effets délétères sur l’individu ou sa descendance tels que des pathologies chroniques du développement et de la reproduction, des cancers hormonodépendants ou des pathologies métaboliques(3). Le concept de PE né en 1991 regroupe plus de 900 molécules chimiques capables de mimer une action hormonale ou de l’empêcher ou d’interférer avec la régulation hormonale (tableau). Souvent peu solubles dans l’eau mais très lipophiles, ils subissent une détoxification hépatique partielle par l’intermédiaire des cytochromes p450 et s’accumulent dans le tissu adipeux, expliquant la bioaccumulation et la rémanence des pesticides organochlorés et des dioxines bioactives pendant des années.
Les perturbateurs endocriniens : un défi pour les toxicologues
Beaucoup de PE échappent aux règles de la toxicologie classique du fait de la complexité de leur action sur les processus de régulation des grandes fonctions physiologiques. Ils ne possèdent pas de seuil toxicologique bien défini, n’agissent pas selon le principe dose/effet et leurs effets sont souvent différés. Ils peuvent induire des anomalies à très faibles doses alors que, paradoxalement, ils peuvent n’avoir qu’un effet faible ou nul à forte dose ou agir selon une courbe en U ou en U inversé. Leurs effets délétères sont plus marqués lors des fenêtres de vulnérabilité que sont la période fœtale et périnatale du fait de l’immaturité du système endocrinien et du système de détoxication hépatique des polluants présents dans le sang du cordon. En l’absence de méthodes spécifiques d’évaluation et face aux divergences de point de vue des toxicologues, des épidémiologistes et des biologistes moléculaires, la controverse quant à l’opportunité d’une réglementation spécifique bat son plein. Le cas très médiatisé du BPA est emblématique. La principale source d’exposition de ce plastique qui entre dans la composition de nombreux objets (emballages alimentaires, boîtes de conserve, plastiques d’usage courant) est alimentaire du fait de la migration du BPA du contenant vers le contenu. L’exposition d’une gestante au BPA est susceptible d’altérer le développement du fœtus et d’entraîner des conséquences métaboliques et cardiovasculaires néfastes à l’âge adulte. En France, après l’émoi suscité par la présence de BPA dans les biberons, les autorités ont suspendu la commercialisation des biberons contenant du BPA (en 2010) puis celle des conditionnements en contact direct avec les aliments (en 2015). La dose journalière admissible (DJA) a également été revue à la baisse de 50 à 4 μg/kg/jour par les autorités européennes alors que l’Anses(4) proposait un repère toxicologique moyen de 0,25 μg/kg/jour en fonction des effets neurotoxiques et reprotoxiques. Aujourd’hui, l’exposition moyenne au BPA est inférieure aux repères toxicologiques les plus sévères et 50 fois inférieure à celle des phtalates au potentiel estrogénique comparable, qui devraient faire prochainement l’objet d’une réglementation.
Dans la vraie vie, il est difficile d’établir l’effet dose-exposition d’une substance en raison de l’ingestion ou de l’inhalation simultanée d’un grand nombre de substances dont aucune ne dépasse le seuil de toxicité mais dont l’ensemble réalise un cocktail de PE potentiellement délétère. Même à des doses présumées infratoxiques, il peut y avoir une addition des effets sur un même mécanisme d’action ou une action indépendante due au produit le plus toxique. Il est donc essentiel de réaliser des études de toxicologie sur les mélanges les plus communs d’aliments, dits d’occurrence, pour préciser l’ampleur des phénomènes synergiques et définir des seuils toxicologiques adaptés.
La perturbation endocrinienne
La perturbation endocrinienne est un mécanisme impliqué dans de nombreuses maladies multifactorielles. Les PE interfèrent de façon complexe et non prévisible avec l’ensemble des systèmes endocriniens de l’organisme, mais aussi avec le système nerveux central ou le système cardiovasculaire. Leur mode d’action ne se limite pas à une interaction avec les récepteurs hormonaux nucléaires (estrogènes, androgènes, hormones thyroïdiennes). Ils agissent également par l’intermédiaire des récepteurs membranaires, des récepteurs non nucléaires, des récepteurs orphelins et même des voies de signalisation enzymatique. Chez le fœtus, de faibles doses de PE sont à même d’avoir des répercussions cliniques à l’âge adulte en intervenant sur la programmation fœtale selon la théorie de Barker qui a postulé que les conditions environnementales fœtales pouvaient être à l’origine du développement de maladies à l’âge adulte(5).
Les perturbateurs endocriniens, facteurs obésogènes et diabétogènes ?
Les mécanismes de l’augmentation de la prévalence de l’obésité et du diabète de type 2 à l’échelle mondiale au cours des 5 dernières décennies sont manifestement plus conjoncturels que génétiques. Ils dépendent de facteurs liés aux modifications du mode de vie et de l’environnement favorisant une insulinorésistance et/ou un défaut d’insulinosécrétion. Parmi ceux-ci figurent désormais en bonne place certains composés chimiques dont la diffusion a accompagné les progrès de l’agriculture et de l’industrie. D’aucuns n’ont pas hésité à établir un parallèle entre l’utilisation des produits chimiques et l’épidémie d’obésité et de diabète(6). Tous les récepteurs nucléaires impliqués dans la régulation du métabolisme énergétique sont des cibles potentielles des PE.
Données expérimentales
De nombreux arguments expérimentaux sont en faveur du rôle obésogène et diabétogène des PE. Une exposition chronique au BPA s’accompagne d’une augmentation pondérale soit par une action directe sur les adipocytes soit par un déséquilibre de la balance énergétique en lien avec la modulation de la prise alimentaire et une diminution la dépense énergétiquepar un effet central ou du fait d’une amélioration de l’efficacité énergétique des calories ingérées(7). Chez la souris, l’exposition des adipocytes à des polluants organiques induit une insulinorésistance et l’exposition aux phtalates détermine une activation des récepteurs PPAR. Un effet obésogène transgénérationnel observé à la 3e génération de rongeurs non en contact avec les PE mais dont les mères de la 1re génération avaient été exposées au DDT, au BPA ou aux phtalates traduit des effets de type épigénétique. L’exposition prénatale de rongeurs aux PE entraine des anomalies du métabolisme glucidique dans la descendance. Les souris exposées au DES durant leur phase fœtale ont un plus petit poids à la naissance, suivi d’un rebond pondéral précoce puis d’une obésité à l’âge adulte et, par ailleurs, des taux plus élevés de glycémie, d’adiponectine et de leptine. Des résultats comparables, quoique plus variables, ont été décrits après une exposition pergravidique au BPA, témoignant de la vulnérabilité du fœtus aux polluants environnementaux et de l’effet des PE sur la programmation fœtale(8). L’exposition chronique de rongeurs à de faibles doses de BPA s’accompagne d’une insulinorésistance comparable à celle décrite dans le syndrome métabolique ou le DT2 chez l’homme(9). In vitro ces composés provoquent des modifications épigénétiques par l’intermédiaire de la méthylation de l’ADN, d’une dysrégulation des microARN et de modifications des histones responsables d’une perturbation de l’expression des gènes. Les effets métaboliques tardifs, voire trans-générationnels, observés après une exposition du fœtus au BPA et aux phtalates sont attribués à un tel mécanisme(10). Ainsi la suppression de l’insulinosécrétion gluco-induite et la diminution du nombre et de la vitalité des cellules bêta ont été mises en rapport avec la surexpression du microARN miR375(11) (figure).
Figure. Principaux liens entre pollution et maladies métaboliques.
Données cliniques
Diabète de type 2
Les expositions accidentelles ponctuelles à de fortes doses de PE ou de POP ont été suivies d’une augmentation de l’incidence du DT2, notamment chez les femmes. Les études cas-témoins menées dans des régions polluées ont établi une association entre une exposition chronique sur le risque d’obésité et de DT2. La plupart des études épidémiologiques s’accordent à reconnaître la probabilité d’un impact des PE dans l’étiologie de l’épidémie d’obésité et/ou DT2 – même si la méthodologie est souvent critiquable et si les réponses sont différentes selon l’âge, le sexe et l’IMC. Le fait que les corrélations soient plus étroites chez les personnes en surpoids ou obèses suggère que les PE pourraient avoir un effet synergique sur l’augmentation pondérale et le déterminisme du diabète. L’étude de population prospective nord-américaine NHANES débutée en 1960 dans le but de préciser les relations entre l’état nutritionnel et l’état de santé, qui a comporté depuis la fin des années 1990 la recherche systématique de divers PE dans le sang et les urines, dont le BPA, a établi l’existence d’une relation significative après ajustement sur l’IMC et l’âge (odds ratio = 2,74 ; IC 1,44-5,23) entre l’exposition aux PCB, aux dioxines, aux phtalates et au BPA(12). Une relation entre l’exposition au BPA et aux phtalates et l’incidence du DT2 a également été décrite dans la Nurses’ Health Study(13). Une relation entre les métabolites des phtalates et la prévalence du diabète et les marqueurs de l’insulinorésistance a été rapportée dans une étude de population âgée suggérant un mécanisme autre que la perturbation de la programmation fœtale(14).
Diabète de type 1
L’exposition fœtale et périnatale aux PE a également été envisagée pour expliquer l’augmentation de l’incidence du DT1. Ces composés pourraient avoir des effets négatifs sur le développement du système immunitaire et être responsables d’une plus grande susceptibilité aux infections virales. Ils pourraient également agir directement sur les cellules bêta ou indirectement sur l’immunomodulation chez des sujets génétiquement prédisposés(15). Enfin, l’impact négatif des contaminants chimiques de l’eau et de l’alimentation sur la composition du microbiote pourrait entrainer une altération de l’autoimmunité et favoriser l’apparition d’un DT1. En effet, dans l’étude PRODIA, l’introduction précoce de probiotiques est associée à une réduction de l’incidence du DT1 chez des enfants à haut risque(16).
Pollution atmosphérique : l’hypothèse des particules fines (PF)
En 2010, une revue systématique de la littérature avait conclu à l’existence d’une relation entre la pollution atmosphérique et la prévalence du diabète et la morbi-mortalité diabétique(17). Les mécanismes invoqués à partir de données expérimentales sont nombreux : dysfonction endothéliale, hyperactivité du système nerveux sympathique, perturbation de la réponse immunitaire dans le tissu adipeux viscéral, stress du réticulum endothélial entrainant une altération de la transduction de l’insuline, de la sensibilité à l’insuline et du métabolisme glucosé, etc. Une métaanalyse confirme l’existence d’une association positive entre la pollution de l’air liée au trafic et le DT2(18). Par ailleurs, la présence en excès d’ozone et de sulfates dans l’air ambiant a été associée à la prévalence du DT1 alors que l’oxyde de carbone favoriserait l’apparition d’un DT2. La pollution par les particules fines (PF) est également associée à la survenue de complications métaboliques et à un état d’insulinorésistance. Les PF induiraient la formation d’espèces réactives à l’oxygène dans les cellules endothéliales pulmonaires et dans les monocytes avec des lésions de l’ADN et un processus épigénétique entrainant une surexpression des molécules de l’inflammation secondairement responsables d’une insulinorésistance. Chez l’homme, il paraît acquis que la pollution atmosphérique par des particules < 10 μm est associée à une prévalence accrue du diabète et à une moindre sensibilité à l’insuline. Dans une cohorte danoise, le risque de DT2 imputable à la pollution atmosphérique était paradoxalement plus élevé chez les sujets non-fumeurs menant une vie saine et ayant une activité physique(19) ! Récemment une étude menée dans la région de Boston chez des sujets non diabétiques a confirmé l’impact des PF de < 2,5 μm sur le métabolisme glucosé et l’inflammation. La glycémie à jeun augmentait significativement avec les quartiles de concentration de PF(20). La pollution aux PF est à considérer comme un facteur diabétogène candidat qui s’ajoute aux autres facteurs environnementaux déjà identifiés(21).
Conclusion
Les phénomènes en jeu dans l’impact des polluants alimentaires et atmosphériques sur la santé sont complexes et dépassent les conceptions toxicologiques traditionnelles. Ils conduisent à la refondation d’une nouvelle toxicologie et aboutissent à de nouvelles conceptions physiopathologiques illustrant l’impact de l’environnement sur l’épigénome.
Les données concernant les perturbateurs endocriniens et leur rôle potentiel dans le développement des maladies métaboliques consolident le paradigme de l’origine précoce des maladies et de la santé et leur caractère transmissible transgénérationnel.
Ainsi, les responsabilités en termes de prévention des maladies dépassent le cadre du comportement individuel et privé et interpellent l’ensemble de l’environnement sociétal et politique.
Néanmoins, il faut se garder de conclure hâtivement ou de façon définitive car, d’une part, les données expérimentales ne sont pas nécessairement extrapolables et, d’autre part, la description d’une association entre l’exposition aux polluants et la survenue d’un diabète n’a pas valeur de causalité car elle peut être fortuite ou liée à des facteurs confondants.
De nouvelles recherches sont indispensables pour mieux décrypter les maillons qui unissent l’environnement et la genèse des maladies au-delà de la ritournelle mettant en exergue la dysnutrition et la sédentarité.
Glossaire :
BPA : bisphénol A ; DDT : dichlorophényltrichloréthylène ; PCB : polychlorobiphényl ; PEE ou PE : perturbateur endocrinien de l’environnement ;
PF : particules fines ; POP : polluants organiques persistants ; PTS : persistant toxic substance
L’auteur ne déclare aucun lien d’intérêts en rapport avec la teneur de cet article.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :