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Cardiovasculaire

Publié le 09 juin 2017Lecture 9 min

Les femmes, le diabète et le tabac

Véronique KERLAN*, Bernard BAUDUCEAU** *Service d’endocrinologie, CHU de Brest **Service d’endocrinologie, Hôpital d’Instruction des Armées Bégin, Saint-Mandé

« Obtenir que les femmes fument sera comme ouvrir une nouvelle mine d’or juste devant notre jardin ». Ce voeu particulièrement cynique, émis par g.W. Hill, président directeur général de l’American Tobacco Company en 1928, a été exaucé. Le ciblage des femmes par l’industrie du tabac grâce à une adaptation de l’offre sous la forme de cigarettes « lights », des slims et des transformables en mentholées, associée à une publicité attractive a permis de parvenir à ce but. L’adoption des comportements masculins et un sentiment de transgression de la part des jeunes filles font que la consommation de tabac explose chez les femmes et notamment chez les plus jeunes. Cette épidémie de tabagisme n’épargne pas les patientes diabétiques et les conséquences néfastes sont encore plus importantes que dans le reste de la population.

Les risques du tabagisme pour l’ensemble de la population La dépendance au tabac conduit à une véritable addiction, ce qui explique que les tentatives de sevrage soient fréquemment vouées à l’échec et que l’abstinence totale à 1 an ne soit observée que dans 10 % des cas. Le tabagisme tue 7 fois plus de femmes en France qu’il y a 20 ans et près de 20 000 fumeuses françaises sont mortes en 2010. Ce chiffre est largement supérieur aux accidents de la route même quand ils étaient à leur sommet. Ainsi, si la mortalité liée au tabac diminue chez les hommes, elle augmente de façon très rapide chez les femmes. Chacun connaît les effets néfastes du tabagisme qui intervient sur la quasi-totalité des organes déclenchant de nombreux cancers, y compris du sein ou du col de l’utérus et favorise les maladies cardiovasculaires. Quelques chiffres simples illustrent la gravité de cette addiction : l’espérance de vie des fumeurs chroniques est réduite en moyenne de 10 à 15 ans, la moitié d’entre eux mourront du tabac et 2 fumeurs sur 3 n’atteindront pas l’âge de la retraite selon une étude anglaise publiée en 2004. Enfin, le coût du tabac pour la société est considérable et atteint annuellement au moins 15 milliards d’euros. Malgré les conseils des professionnels de santé, le pourcentage de fumeurs est malheureusement identique dans la population des patients diabétiques. Ainsi, selon l’étude ENTRED, 39 % des patientes diabétiques de type 1 et 13 % des patientes diabétiques de type 2 sont fumeuses. Ces chiffres apparemment discordants proviennent vraisemblablement de la différence d’âge. Les patientes diabétiques de type 2, plus âgées, ont sans doute pris conscience des risques du tabagisme, parfois un peu tard à la suite d’un accident et ont pu se sevrer. Le tabagisme majore le risque de diabète De nombreuses études s’inscrivent en faveur d’une majoration du risque d’apparition d’un diabète de type 2 chez les fumeurs par rapport aux non-fumeurs. Ainsi, en 2007, une métaanalyse de 25 études, publiée dans le JAMA, estimait le risque relatif de diabète chez les fumeurs à 1,44 après ajustement sur les facteurs confondants. Dans la cohorte prospective Nurses’ Health Study (NHS) qui a porté sur plus de 100 000 femmes suivies pendant 24 ans et dans laquelle 5 392 cas incidents de diabète ont été observés, les fumeuses sont plus à risque de développer un diabète avec une majoration dépendante de la dose. Le risque relatif est de 1,28 après ajustement multivarié chez les anciennes fumeuses, de 1,39 chez les femmes qui fument de 1 à 14 cigarettes par jour, de 1,68 chez celles dont la consommation est de 15 à 24 et 1,98 chez les femmes qui fument au moins 25 cigarettes par jour. Une récente métaanalyse qui a porté sur 98 études prospectives compilant près de 6 millions de sujets et 295 446 cas incidents de diabète, confirme ce sur-risque. En comparaison avec les sujets n’ayant jamais fumé, les fumeurs avaient un sur-risque de diabète de type 2 de 37 % (84 études), les anciens fumeurs de 14 % (47 études) et les fumeurs passifs de 22 % (7 études). Ces liens persistaient dans tous les sousgroupes et une relation dosedépendante a été retrouvée entre la quantité de tabac consommée et le risque d’apparition d’un diabète de type 2. Ainsi, la majoration du risque était de 21 % chez les petits fumeurs, de 34 % chez les fumeurs modérés et de 57 % chez les grands fumeurs. Il existe donc, selon ces études, une relation causale entre le tabagisme et le diabète, si bien que 11,7 % des cas de diabète chez les hommes et 2,4 % chez les femmes sont attribuables au tabagisme actif, ce qui correspond pour le monde entier à un total de 27,8 millions. Ces chiffres pourraient s’avérer encore plus élevés dans les populations chez lesquelles la prévalence du tabagisme est très importante comme en Chine. Les résultats sont plus contradictoires en ce qui concerne le diabète gestationnel. Dans la cohorte NHS, 823 diabètes gestationnels ont été observés au cours de 14 437 grossesses. Le risque relatif de voir apparaître un diabète gestationnel chez les fumeuses après ajustement sur les facteurs de risque classiques est de 1,43 et non significativement différent chez les exfumeuses par rapport aux nonfumeuses. En revanche, une étude chinoise qui a porté sur 16 430 femmes dont 1 378 avec un diabète gestationnel n’a retrouvé aucune augmentation significative du risque chez les fumeuses. Le tabagisme passif n’est pas innocent et constitue également un facteur de risque de diabète de type 2. Dans la cohorte NHS, le risque relatif après ajustement sur l’âge était de 1,19 lors d’une exposition occasionnelle et de 1,47 en cas d’exposition régu lière au tabagisme passif. L’étude de la cohorte E3N (Étude Épidémiologique auprès de femmes de l’Éducation Nationale) s’appuie sur le suivi de près de 100 000 femmes pendant en moyenne 13 ans et demi. Parmi les 37 343 femmes non diabétiques et non fumeuses, 795 sont devenues diabétiques. L’exposition au tabagisme passif dans l’enfance était significativement associée à une incidence plus élevée de diabète à l’âge adulte. Après l’arrêt du tabac, ce surrisque diminue lentement passant de 54 % chez les personnes ayant cessé de fumer depuis moins de 5 ans à 18 % chez celles qui avaient arrêté entre 5 et 10 auparavant et à 11 % lorsque la période du sevrage dépassait 10 ans. Les mécanismes de l’augmentation du risque de diabète chez les fumeurs Plusieurs facteurs expliquent le risque d’apparition d’un diabète de type 2 en cas d’intoxication tabagique. Le mécanisme principal semble être en rapport avec une majoration de l’insulinorésistance, comme l’ont montré plusieurs études utilisant la technique des clamps. Ainsi, la captation périphérique du glucose est diminuée chez les fumeurs de façon proportionnelle au nombre de cigarettes fumées chez des patients diabétiques appariés pour l’âge, le sexe, l’ancienneté du diabète et l’indice de masse corporelle. La modification de la répartition des graisses chez les fumeurs explique au moins pour partie cette insulinorésistance. En effet, alors que l’IMC est significativement plus bas chez les fumeurs en raison d’une diminution de l’appétit et d’une majoration des dépenses énergétiques de repos, le rapport tour de taille sur tour de hanches est plus élevé. Lors de l’arrêt du tabac, la prise de poids de l’ordre de 3 kg est redoutée, particulièrement par les femmes, ce qui les incite fréquemment à poursuivre leur addiction. Toutefois, cette majoration pondérale est moindre chez les patients diabétiques dans l’étude de Framingham. Elle survient rapidement après le sevrage, mais 4 ans plus tard, les patients diabétiques retrouvent leur poids initial alors qu’un gain pondéral persistant de près de 1 kg est observé chez les sujets non diabétiques. Le tabac favorise ainsi l’accumulation de la graisse abdominale impliquée dans l’insulinorésistance, mais intervient aussi directement en altérant la fonction bêta pancréatique. Le tabac majore également le stress oxydatif, l’inflammation, la dysfonction endothéliale et la stimulation sympathique. Le tabac et la macroangiopathie Les effets néfastes du tabagisme sur les accidents cardiovasculaires sont bien connus dans l’ensemble de la population. Chez les patients diabétiques, hyperglycémie et tabac constituent une véritable association de malfaiteurs. Ainsi, les complications macroangiopathiques surviennent plus fréquemment chez les diabétiques fumeuses. Dans la cohorte NHS comportant 7 400 femmes diabétiques, le risque relatif de mortalité par décès cardiovasculaire est de 1,43 pour une consommation de 1 et 14 cigarettes par jour, de 1,64 pour 15 à 34 cigarettes par jour et de 2,19 pour les patientes fumant plus de 35 cigarettes par jour. Les données de la Women’s Health Initiative (WHI) montrent un taux d’incidence de maladies cardiovasculaires de 3 pour 1 000 personnes-année chez les femmes qui n’ont jamais fumé, de 3,7 chez celles qui avaient déjà fumé et de 7,6 chez les fumeuses actives. En revanche, ce chiffre n’est « que » de 5,3 chez les femmes qui venaient d’arrêter le tabac, même chez celles qui venaient de cesser de fumer de façon récente. Cet effet bénéfique n’est pas modifié par la prise de poids qui est en moyenne de 3 kg. Dans cette étude qui porte sur un suivi de 3 ans, cette évolution favorable observée chez les patientes diabétiques, ne diffère pas de celle de la population générale. Dans d’autres enquêtes, la régression complète du risque n’apparaît qu’après 10 ans de sevrage. L’incidence des coronaropathies augmente avec la consommation de tabac chez les sujets qui ne sont pas diabétiques et plus encore chez les patients diabétiques. Cette incidence est globalement majorée d’un facteur 5 chez les patients diabétiques fumeurs actifs. Dans la cohorte NHS, la majoration du risque des accidents vasculaires cérébraux de 84 % est significative chez les patientes diabétiques fumeuses comparativement à celles qui sont abstinentes. Enfin, le risque relatif des atteintes vasculaires périphériques est de 2,9 dans l’UKPDS et de 2,15 dans une métaanalyse récente. Comment expliquer les liens entre tabac et macroangiopathie ? Le tabagisme majore les complications cardiovasculaires de l’ensemble des sujets fumeurs. Il constitue en effet un puissant facteur de risque cardiovasculaire et favorise l’apparition de l’athérosclérose, tout particulièrement au niveau des artères des membres inférieurs et des coronaires. Le tabac induit également des spasmes artériels qui peuvent être responsables d’infarctus du myocarde chez les sujets jeunes. À ces mécanismes essentiels, s’ajoutent des anomalies lipidiques tout particulièrement chez les patients diabétiques. En effet, en dépit de la perte de poids, l’exposition au tabac majore l’insulinorésistance de façon dose-dépendante, augmente l’adiposité viscérale et prédispose au syndrome métabolique avec les conséquences athérogènes du profil lipidique. La dyslipidémie observée chez les fumeuses comporte ainsi une élévation des triglycérides, une diminution du HDL-cholestérol mais moins de conséquences sur le LDL-cholestérol. Après le sevrage tabagique, une évolution favorable est notée en particulier avec une augmentation du HDL-cholestérol. Tabac et complications microangiopathiques Le tabagisme favorise l’apparition des complications rénales aussi bien chez les patients diabétiques de type 1 que de type 2. Le risque relatif d’apparition d’une microalbuminurie à 4 ans chez des patients diabétiques de type 1 est multiplié par 3 chez des fumeurs après ajustement sur l’âge, l’hémoglobine glyquée, la pression artérielle et l’ancienneté du diabète. Enfin, le tabac aggrave le taux d’une protéinurie préexistante et accélère le déclin de la fonction rénale. Pour ce qui concerne la rétinopathie diabétique, la plupart des publications soulignent le rôle néfaste du tabagisme qui favorise l’apparition et l’aggravation des atteintes rétiniennes liées au diabète. Conclusion En dépit des campagnes d’information, des décisions prises sur le prix du tabac, de l’instauration du paquet neutre et de la restriction des lieux où il est autorisé de fumer, la consommation de cigarettes a augmenté de façon vertigineuse chez les femmes, en particulier chez les jeunes. L’avenir est donc sombre puisque le pic des complications, notamment cardiovasculaires et carcinologiques, apparaîtra dans les années qui viennent. Tout doit être fait à l’échelon national pour diminuer la consommation de tabac qui constitue un véritable fléau pour la santé publique. Malheureusement, les efforts des autorités de santé se heurtent à de puissants lobbies dont l’efficacité et l’imagination ne sont plus à démontrer. Les patientes diabétiques sont plus encore atteintes par les conséquences néfastes du tabac qui favorise l’apparition de la maladie et aggrave les complications. Les messages de santé publique devraient donc ajouter le diabète à la liste déjà longue des conséquences néfastes du tabagisme. Les patients diabétiques doivent donc être informés de ces faits, et des mesures nécessitent d’être prises pour les inciter à cesser cette addiction particulièrement dangereuse en utilisant tous les moyens disponibles, plus encore que chez les sujets non diabétiques.

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