Publié le 14 juin 2016Lecture 6 min
Bénéfices de l’insulinothérapie intensive précoce du diabète de type 1
L. ALEXANDRE, É. LARGER, Service de diabétologie, Unité INSERM U 1016, Hôpital Cochin, Paris
Une nouvelle théorie physiopathologique impliquant le stress du réticulum endoplasmique lors de la sécrétion d’insuline vient soutenir l’intérêt de l’insulinothérapie intensive dès le diagnostic de diabète de type 1.
L’étude DCCT et son suivi épidémiologique EDIC ont largement démontré le bénéfice du traitement intensif du diabète de type 1 (DT1). Les enquêtes épidémiologiques à l’échelle d’une population montrent que ces données sont vérifiées à grande échelle : à durée égale de diabète, les individus dont le diabète a été diagnostiqué récemment ont un moindre risque de complication que ceux dont le diagnostic est plus ancien, et ceci est associé à une HbA1c plus basse. Plus encore, les données les plus récentes du suivi du DCCT montrent que les patients du groupe traitement intensif pendant le DCCT ont une réduction de la mortalité par rapport au groupe traitement conventionnel. Cependant, une étude suédoise récente montre que, même en l’absence de néphropathie, les diabétiques de type 1 présentent un surrisque de mortalité, y compris ceux dont l’HbA1c est inférieure à 8 %. Malgré la généralisation des analogues de l’insuline, l’obstacle majeur à une diminution supplémentaire de l’HbA1c pour réduire encore le risque de complication et la mortalité reste le risque d’hypoglycémie.
Des données récentes montrent qu’un pourcentage significatif de patients gardent une sécrétion mesurable d’insuline même après plusieurs décennies de diabète. Ces patients ont une HbA1c plus basse, moins d’hypoglycémies et moins de complications à long terme que les patients sans insulinosécrétion résiduelle.
On a longtemps pensé que l’immuno-intervention à la phase précoce du DT1 permettrait de maintenir la sécrétion d’insuline à long terme, mais à ce jour sa balance bénéfice/risque est défavorable ; les bonnes cibles et les bons médicaments restent à trouver.
Un résultat curieux du DCCT a été que dans le groupe d’intervention primaire, c’est-à-dire chez des patients dont le diabète était récent, les patients du groupe intensif avaient plus de chance de garder une sécrétion résiduelle d’insuline. Des données expérimentales récentes montrent un mécanisme physiopathologique qui peut rendre compte du bénéfice de l’insulinothérapie intensive à la phase précoce du diabète, et éclairent d’un jour nouveau la phase tardive de la maladie auto-immune, autour du diagnostic de diabète.
Persistance d’une sécrétion de peptide C à long terme : bénéfice sur la stabilité des glycémies et sur le risque de complication
Le peptide C, protéine issue du clivage de la proinsuline dans les cellules β, est sécrété en concentration équimolaire à l’insuline. Plusieurs études démontrent une persistance de sécrétion chez certains patients, même de nombreuses années après le diagnostic, avec une proportion de patients présentant un peptide C détectable variant de 30 à 70 % selon les études. Un faible pourcentage de patients garde même une sécrétion dans les valeurs basses de la normale.
En outre, les coupes histologiques de pancréas de patients DT1 depuis au moins 50 ans (« Médaillés » du Joslin Center) montrent des îlots atrophiques mais, chez certains patients, des cellules isolées positives à l’immunomarquage de l’insuline (figure)(1).
Enfin, dans l’étude DCCT, on observe une incidence plus faible de néphropathie dans les groupes dont le peptide C était détectable à l’inclusion, quel que soit leur traitement, et une incidence plus faible de rétinopathie dans ces mêmes groupes seulement chez les patients ayant reçu le traitement intensif. Au sein du groupe « intensif », les patients avec peptide C indétectable ont une prévalence 3 fois supérieure de rétinopathie comparativement à ceux avec sécrétion persistante. Par ailleurs, les patients sous traitement intensif avec sécrétion persistante présentent moins d’hypoglycémies. Ils parviennent donc à obtenir des HbA1c plus basses.
Persistance de quelques cellules positives à l’immunomarquage de l’insuline (en marron) chez une patiente diabétique de type 1 décédée à 60 ans. Durée du diabète : 59 ans, AC anti-GAD et IA2 positifs. Base nPOD, case ID 6042, ImageID 7136.
Photo : Network for Pancreatic Organ Donors with Diabetes (nPOD) online pathology site. nPOD is a collaborative type 1 diabetes research project sponsored by JDRF. Organ Procurement Organizations partnering with nPOD to provide research resources are listed at http://www.jdrfnpod.org/for-partners/npod-partners/.
Insulinothérapie intensive à la phase précoce et persistance d’une sécrétion endogène
Il apparaît donc logique de chercher à préserver le plus longtemps possible une sécrétion endogène d’insuline qu’on peut évaluer par la mesure du peptide C.
Le travail princeps de S.C. Shah(2) (suite aux travaux pionniers de J. Mirouze(3)) montrait des taux de peptide C plus élevés à un an du diagnostic de diabète chez des adolescents qui avaient reçu une insulinothérapie intraveineuse très intensive pilotée par pancréas artificiel pendant les trois premières semaines de traitement, comparativement à ceux traités par insuline sous-cutanée biquotidienne. Les HbA1c du groupe traité intensivement initialement étaient plus basses à un an (7,2 % contre 10,8 %).
Ces résultats vont dans le même sens que ceux du DCCT publiés en 1998(4) : les patients qui, à l’inclusion, avaient une bonne réponse du peptide C au test par repas mixte (peptide C > 0,2 pmol/ml), conservaient un peptide C plus élevé par la suite s’ils étaient dans le groupe intensif alors que la perte du peptide C était plus rapide dans le groupe conventionnel. On avait alors interprété ces résultats comme étant la conséquence d’une mise au repos des cellules β avec moindre exposition de leurs antigènes au système immunitaire.
La souris insuline KO inductible
D’autres hypothèses que cet échappement au système immunitaire par la mise au repos des cellules β ont été proposées, mais des données récentes montrent que le stress du réticulum, par une surcharge de travail des cellules β résiduelles, pourrait rendre compte de la perte de l’insulinosécrétion endogène. Parmi les données importantes, celles d’un travail tout récent de M. Szabat et coll.(5), qui ont créé un modèle de souris chez qui on peut « éteindre » à volonté la fonction de synthèse d’insuline par les cellules β ; ceci crée le seul modèle connu de diabète sans destruction des cellules β. Ce modèle a permis à ces auteurs de montrer que la cellule β, une « usine à produire de l’insuline », fonctionne spontanément à la limite de ses capacités de synthèse de l’insuline : elle est en permanence en état de stress du réticulum, que leur mise au repos a permis de dévoiler. Ainsi, en miroir de ce qui est montré dans cette étude, on peut imaginer qu’une surcharge de travail, par perte d’un pourcentage significatif de cellules β, majore le stress des cellules résiduelles, conduisant ainsi à des phénomènes d’apoptose, on pourrait dire à la mort par épuisement des cellules β résiduelles. Ceci pourrait rendre compte de la perte de l’insulinosécrétion résiduelle après le diagnostic de diabète, à un moment où la maladie auto-immune semble marquer le pas.
La phase tardive de la maladie auto-immune
Un argument en faveur de cette hypothèse est apporté en 2014(6) : la part due à l’auto-immunité dans la physiopathologie du DT1 pourrait être plus faible que ce qui était supposé jusqu’à présent.
En effet, l’infiltration inflammatoire des îlots, ou insulite, est faible à la fois en quantité (peu de lymphocytes par îlot) et en extension (moins de 10 % des îlots touchés), ce qui ne correspond pas aux observations connues dans d’autres maladies auto-immunes. En outre, les traitements immunosuppresseurs ou immunomodulateurs, qui peuvent être très efficaces dans certaines de ces maladies, s’avèrent particulièrement décevants dans le DT1.
L’insulinothérapie intensive, en diminuant le stress du RE, pourrait éviter en partie la destruction terminale des cellules β.
Conclusion
Une sécrétion prolongée dans le temps de peptide C est gage de moindre variabilité glycémique, d’HbA1c plus basse et d’une diminution d’incidence des complications.
Elle est favorisée par l’insulinothérapie intensive précoce, qui, en réduisant la charge de travail des cellules β résiduelles, diminuerait leur apoptose par stress du réticulum.
Les stratégies actuelles d’insulinothérapie intensive avec des objectifs glycémiques les plus normaux possibles dès le diagnostic du DT1 trouvent ainsi une base physiopathologique.
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