Physiologie-Physiopathologie
Publié le 14 juin 2013Lecture 11 min
Ferritine, surcharge en fer et insulinorésistance - Quels sont les bénéfices métaboliques des saignées ?
F. BONNET, Service d’endocrinologie-diabétologie, hôpital Sud, Rennes
On observe fréquemment en pratique clinique l’association d’une hyperferritinémie modérée (définie par une concentration plasmatique entre 300 et 1 000 μg/l) à des altérations métaboliques et/ou un état d’insulinorésistance. L’hépatosidérose dysmétabolique (HSD) se définit comme une surcharge en fer inexpliquée chez un patient présentant par ailleurs une ou plusieurs anomalies métaboliques. Sa prévalence est de l’ordre de 1 à 2 % dans les populations européennes.
L’HSD concerne surtout l’homme de la cinquantaine. Elle se traduit par une hyperferritinémie à saturation de la transferrine le plus souvent normale et s’associe dans 50 % des cas à une stéatohépatite et dans 12 % des cas à une fibrose hépatique sévère. Le diagnostic nécessite une preuve directe de l’excès de fer par IRM, saignées, voire biopsie hépatique. Ses causes demeurent incertaines, mais sa présence pourrait être associée à un risque de majoration de l’insulinorésistance et à un risque accru de complications vitales, notamment cancéreuses. Pour ces raisons, une déplétion martiale est souvent engagée.
Étiologies
L’augmentation de la concentration plasmatique de la ferritine évoque en premier lieu l’hémochromatose, dont le risque de diabète secondaire est connu depuis de nombreuses décennies. L’intérêt des saignées dans cette affection est bien établi et celles-ci sont à présent initiées précocement en raison d’un dépistage familial plus efficace. Depuis l’identification du gène en cause dans l’hémochromatose (HFE), la connaissance du métabolisme du fer s’est considérablement enrichie avec la découverte de l’hepcidine, molécule clé de la régulation du fer systémique et l’identification de nombreux gènes impliqués dans l’homéostasie systémique et cellulaire du fer et sa pathologie(1). La classification des surcharges en fer a ainsi évolué, distinguant les causes génétiques et acquises (tableau).
Les surcharges génétiques sont avant tout représentées par les surcharges dites « hémochromatosiques » liées à une carence en hepcidine et qui présentent un phénotype commun (hyperferritinémie, élévation du coefficient de saturation de la transferrine, surcharge parenchymateuse). Elles correspondent à un groupe d’affections largement dominé par l’hémochromatose HFE par homozygotie pour la mutation C282Y.
Les surcharges non hémochromatosiques constituent un ensemble plus disparate d’un point de vue physiopathologique et clinique.
Les surcharges acquises sont plus fréquentes et sont liées à des affections hématologiques, métaboliques ou hépatiques ayant un retentissement sur le métabolisme du fer. Une telle classification demeure toutefois schématique, facteurs génétiques et acquis s’associant fréquemment pour moduler l’expression clinico-biologique des surcharges en fer(2).
L’hépatosidérose dysmétabolique ou « insulin resistance- associated hepatic iron overload » est définie comme une surcharge hépatique en fer chez un patient présentant une ou plusieurs anomalies métaboliques telles qu’une obésité, une adiposité androïde, une dyslipidémie ou une élévation de la glycémie(3,4). Une telle définition implique l’élimination des autres causes, acquises ou génétiques, de surcharge en fer et d’hyperferritinémie sans surcharge en fer, dont une consommation excessive d’alcool (tableau).
Il s’agit le plus souvent d’hommes entre 45 et 55 ans avec une obésité abdominale ou un syndrome métabolique et une hyperferritinémie autour de 500 μg/l sans aucune mutation liée à l’hémochromatose(5). Fer sérique et saturation de la transferrine sont en règle générale normaux. La moitié des patients ont une élévation de leur GGT et un tiers d’entre eux présentent une cytolyse modérée, comprise entre 1,5 et 2,5 fois la limite supérieure de la normale et prédominant en ALAT(3). Lorsqu’elle est pratiquée, la biopsie hépatique met en évidence une surcharge le plus souvent mixte, concernant les hépatocytes et les cellules de Kupffer, à la fois parenchymateuse et mésenchymateuse, toujours modérée, c’est-à-dire comprise entre 50 et 150 μmol/g (N < 36).
Ferritine et syndrome métabolique
Les données épidémiologiques montrent qu’il existe dans la population générale une association transversale entre la concentration plasmatique de ferritine et des états associés à l’insulinorésistance : obésité, syndrome métabolique, syndrome des ovaires polykystiques(6,7). L’obésité et le syndrome métabolique sont associés à une augmentation de la concentration plasmatique de ferritine(8). Le tour de taille de même que la quantité de graisse viscérale et de graisse intrahépatique mesurée par tomodensitométrie sont positivement corrélés à la concentration plasmatique de ferritine, indépendamment de l’âge et de l’IMC(9,10).
Ferritine et risque de diabète de type 2
Plusieurs études transversales cas-contrôle ont mis en évidence une augmentation de la ferritininémie chez les patients diabétiques de type 2 par comparaison aux témoins(11). Cette association persistait après ajustement sur les principaux facteurs de risque de diabète et a été notée dans des populations différentes. D’autres marqueurs du métabolisme du fer, comme le fer non lié à la transferrine ou le récepteur soluble à la transferrine, ont été associés au risque de diabète de type 2(11,12).
Les études prospectives ayant évalué la relation entre les marqueurs du métabolisme du fer et le risque de diabète incident sont relativement peu nombreuses. Cependant, leurs résultats sont concordants et montrent une augmentation du risque de diabète de type 2, à la fois chez les hommes et les femmes, chez les individus avec une ferritinémie dans les quartiles les plus élevés(13-16). Un point important est que la relation entre ferritine et risque de diabète restait significative après ajustement sur les facteurs métaboliques, y compris l’IMC et les marqueurs de l’inflammation lorsque ceux-ci étaient disponibles.
Cependant, il convient de noter que, dans ces études prospectives qui ont été conduites dans des populations en bonne santé, le risque de diabète incident ne devenait significatif que pour le dernier quartile de ferritinémie. Cela suggère que l’augmentation avérée du risque de diabète de type 2 n’est observée que pour des valeurs de ferritine > 300 μg/l pour les hommes et > 200 μg/l pour les femmes environ, ce qui est noté dans des états de surcharge en fer caractérisés comme l’hépatosidérose dysmétabolique.
Fer et insulinorésistance
La surcharge hépatique en fer est associée chez l’homme dysmétabolique à une augmentation de l’insulinorésistance et à une glycémie à jeun plus élevée, et cela reste vrai en présence d’une stéatose hépatique(17). La concentration plasmatique de ferritine est corrélée positivement à l’insulinémie, à la glycémie à jeun et à l’aire sous la courbe de la glycémie après charge orale en glucose(18). De plus, il a été noté une relation inverse entre les concentrations plasmatiques de ferritine et d’adiponectine, ce qui va dans le sens d’une relation entre hyperferritinémie et insulinorésistance(19).
Dans l’hémochromatose génétique, il existe un certain degré d’insulinorésistance qui participe à la pathogénie du diabète au-delà des altérations de la fonction bêta-pancréatique(20). De plus, la diminution des doses d’insuline requises après saignées chez ces patients plaide en faveur d’une amélioration de la sensibilité à l’insuline secondaire à la déplétion martiale induite.
Quelques études ayant évalué des sujets souffrant de thalassémie ou de surcharge en fer secondaire à des transfusions multiples ont montré une association entre la concentration de ferritine et la sensibilité à l’insuline au clamp (r = – 0,60 à – 0,70), en faveur d’un rôle physiopathologique propre du fer(21).
Cependant, l’association entre la ferritinémie et les marqueurs indirects d’insulinorésistance n’est pas linéaire et est surtout observée pour des valeurs élevées de ferritinémie (> 200 μg/l)(18).
Quels mécanismes ?
Les mécanismes impliqués dans l’insulinorésistance associée à la surcharge martiale seraient une augmentation du stress oxydatif d’une part et la surcharge hépatique en fer (hépatosidérose) d’autre part (figure).
Le fer est facilement transformé de sa forme ferrique (Fe3+) en ferreux (Fe2+). Cette propriété essentielle fait qu’il est impliqué dans de nombreuses réactions d’oxydoréductions mais également dans la production de réactifs oxygénés. Dans une étude chez des sujets thalassémiques, le taux de ferritine est corrélé au taux de superoxyde dismutase et de F2-isoprostane, un métabolite réactif de l’acide arachidonique qui est considéré comme un marqueur du stress oxydatif. Il a donc été proposé que la surcharge en fer puisse entraîner une insulinorésistance via une augmentation du stress oxydant et de ses effets sur les organes cibles de l’insuline.
Une surcharge martiale hépatique, quelle que soit son étiologie, est associée à une insulinorésistance hépatique(3). Une étude récente chez le sujet dysmétabolique a montré une corrélation significative inverse entre le contenu hépatique en fer évalué par l’IRM et la sensibilité à l’insuline(17).
L’accumulation intrahépatique de fer pourrait interférer avec l’extraction et la clairance hépatique de l’insuline, contribuant ainsi au maintien d’un hyperinsulinisme périphérique chronique(22) (figure). Sur le plan physiopathologique, si la relation entre insulinorésistance et stéatose hépatique est bien établie avec une base étiopathogénique faisant intervenir l’augmentation du captage des acides gras libres par le foie, les mécanismes moléculaires expliquant l’association entre surcharge martiale hépatique et insulinorésistance demeurent mal connus. L’inflammation et la synthèse de cytokines pro-inflammatoires qui sont étroitement associées à l’insulinorésistance pourraient également favoriser l’augmentation de l’expression de la ferritine dans les macrophages puis dans les hépatocytes.
L’insulinorésistance pourrait aussi favoriser la surcharge en fer. Pour étayer cette hypothèse, il a été observé chez le rat insulinorésistant une inhibition de la production d’hepcidine en lien avec une stimulation de l’érythropoïèse et une redistribution à la surface cellulaire des récepteurs de la transferrine sous l’effet de l’insuline(23). Un rôle direct de l’insuline ou de l’IGF-1 sur l’absorption intestinale de fer a été suggéré, avec deux mécanismes principaux : l’insuline et l’IGF-1 sont des facteurs de croissance pour le développement des réticulocytes, induisant ainsi une augmentation des besoins en fer. L’hyperinsulinémie a également une action directe sur l’absorption intestinale de fer en régulant négativement l’hepcidine et en régulant positivement HIF-α (hypoxia-inducible factor-1α), qui agit comme senseur à la fois de l’hypoxie et de la carence en fer.
Enfin, le traitement par metformine de femmes présentant un syndrome des ovaires polykystiques s’associe à une diminution de la ferritinémie proportionnelle à l’amélioration de la sensibilité à l’insuline(24). De même, une autre classe d’insulinosensibilisateur, la pioglitazone, a aussi montré une diminution de la ferritinémie chez des patients avec une stéatose hépatique. Ces données renforcent l’hypothèse d’un rôle direct de l’insulinorésistance sur le métabolisme du fer.
Figure. Interactions entre la surcharge en fer, l’adiposité et l’insulinorésistance.
Place des saignées
Les règles hygiénodiététiques sont le plus souvent insuffisantes pour corriger l’hyperferritinémie. Plusieurs études où le diagnostic d’une surcharge hépatique en fer avait été confirmé ont montré l’incapacité du régime seul à normaliser la ferritinémie et le stock en fer(25). Une concentration plasmatique de ferritine > 450 μg/l est proposée comme le seuil au-dessus duquel seules les saignées permettent de normaliser la ferritinémie. Le recours à un chélateur du fer semble très prématuré à l’heure actuelle.
Les saignées sont pratiquées classiquement au rythme d’une soustraction sanguine de 300 à 450 cm3 tous les 15 jours jusqu’à l’obtention d’une ferritine < 100 μg/l (voire 50) ; elles sont en règle générale bien tolérées et efficaces pour réduire la charge en fer(25). Leur impact sur le devenir à moyen et à long terme des lésions hépatiques et des anomalies métaboliques demeure incertain, si bien qu’il est conseillé de les pratiquer dans le cadre d’études randomisées. La mise en œuvre d’un traitement d’entretien après désaturation n’est pas justifiée en l’état actuel des connaissances et en raison du risque théorique d’augmentation chronique de l’absorption digestive du fer.
Effets métaboliques des saignées
Il a été montré que les donneurs de sang réguliers ont une meilleure sensibilité à l’insuline que des sujets appariés non donneurs de sang(26).
Des études interventionnelles non randomisées suggèrent que la déplétion en fer pourrait améliorer la sensibilité à l’insuline chez le sujet sain ou diabétique comme au cours de la stéatohépatite(27,28). In vitro, une augmentation de l’activités de GLUT-1 et 4 dans le muscle a été décrite après déplétion martiale. De même, chez des patients avec une hémochromatose, une amélioration à la fois de la sensibilité à l’insuline et de l’insulinosécrétion a été décrite après une période de 2 ans de saignées en parallèle à une diminution de la concentration intrahépatique en fer(29). Enfin, chez des diabétiques de type 2 avec hyperferritinémie, une amélioration significative de la dysfonction endothéliale après saignées a été décrite(30).
Conclusion
Notre équipe a lancé deux essais prospectifs randomisés afin de tester l’effet métabolique des saignées + mesures hygiénodiététiques versus mesures hygiénodiététiques seules chez des patients avec HSD sans diabète de type 2 (études SAINPOS et SAIGNÉES). L’un est destiné à étudier l’effet des saignées sur la glycémie à jeun après 1 an et l’autre sur la sensibilité à l’insuline à 6 mois à l’aide de la technique de référence du clamp euglycémique hyperinsulinémique.
Le résultat de ces études permettra de démontrer ou d’infirmer l’intérêt des saignées dans l’HSD. À l’heure actuelle, leur efficacité sur la sensibilité à l’insuline ou l’amélioration de la glycémie n’est pas formellement démontrée.
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