Publié le 31 mai 2012Lecture 12 min
Débat : Le patient expert - Pourquoi l’AFD dit oui ! Défense et illustration d’une approche qui a de l’avenir
Association française des diabétiques, Paris <www.afd.asso.fr>
Liée à la prise en charge des maladies chroniques, l’idée fait l’objet de débats passionnants et de développements très concrets dans de nombreux pays. L’Association française des diabétiques (AFD) qui a conçu et mis en place depuis 2008 un programme de formation de patients experts revient sur cette action d’accompagnement d’envergure soutenue par la CNAMts et la Direction générale de la santé (DGS).
Patient expert, expert profane… le concept n’a pas encore fait l’objet de recherches spécifiques mais il fait son chemin sous des formes très diverses. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) soulignait il y a 5 ans déjà l’intérêt de l’entraide de patient à patient (peer to peer) dans la prise en charge du diabète, la qualifiant d’« approche prometteuse »1.
Dans un contexte d’évolution profonde, des rapports des malades à la maladie et à la médecine, on a vu émerger « la maladie des malades », « la recherche profane du sens de la maladie »2. Une évolution majeure dont témoigne fortement l’AFD, qui a conçu et mis en œuvre un programme de formation de patients experts, aujourd’hui étendu à 19 départements.
L’idée de patient expert est indissociable des maladies chroniques dont l’impact sur l’identité des personnes atteintes est unanimement reconnu. Avec elles se sont développées des stratégies d’éducation des patients chez les soignants mais aussi des réflexions et des pratiques du côté des associations de patients, qui ont pris au cours des dernières décennies une part de plus en plus active dans les systèmes de santé.
La prise en charge de ces pathologies au long cours nécessite un suivi complexe et une coopération forte de l’entourage du malade, d’autant qu’elles posent de façon aiguë le problème de l’observance. De l’avis même de l’OMS, résoudre le problème de la non-observance serait plus bénéfique que n’importe quel progrès biomédical… On estime en effet qu’un patient sur deux ne suit pas les recommandations médicales à la lettre et plus le traitement est long, plus le risque de mauvaise observance est grand. La situation de consultation et la forme prise par la communication médecin-patient est de ce point de vue un moment clé mais au-delà, c’est le lien social qui apparaît essentiel à l’adhésion thérapeutique.
Le système de soin formel ne permet pas à lui seul de contrôler de manière efficiente les pathologies chroniques ; il faut en passer par différentes formes de soutien car il s’agit bien d’apprendre à vivre avec la maladie. Le contexte plaide donc pour des approches empathiques et complémentaires.
De fait, l’éducation thérapeutique, l’accompagnement du patient et l’apprentissage comme acte de soin ont pour la première fois été reconnus par la loi HPST du 26 juillet 2009. Si les programmes d’éducation thérapeutique relèvent clairement des professionnels de santé, les actions d’accompagnement du patient qui, selon la loi même, visent à « apporter une assistance et un soutien aux malades ou à leur entourage dans la prise en charge de la maladie » impliquent des acteurs aussi différents que l’Assurance maladie (avec le programme Sophia par exemple), des organismes de protection complémentaire, des associations de patients, etc. Elles sont, rappelons-le, toujours en attente d’un cahier des charges, les textes d’application n’étant toujours pas parus depuis le vote de la loi.
Aux sources de l’accompagnement entre pairs…
L’éducation par des pairs puise ses principes dans plusieurs courants des sciences sociales et comportementales : théories de l’apprentissage social, approches éducatives comme celles de Paulo Freire, psychosociologie des groupes, avec les techniques d’animation de Carl Rogers. Dans le domaine de la santé, le pair est un malade ou une personne d’influence appartenant à la communauté des malades qu’il soutient de son écoute active. Une approche largement promue par les associations de lutte contre le sida au travers desquelles s’est en particulier développée une dimension de l’éducation thérapeutique du patient liée aux notions de counseling3 (technique reconnue aujourd’hui par l’OMS pour nombre de pathologies chroniques) et d’empowerment4, à travers des programmes et des interventions d’accompagnement psychosocial visant à renforcer les capacités des patients à mieux vivre avec la maladie et les traitements.
Le premier programme de patients experts a été initié aux États-Unis à partir de 1999 sur l’université de Stanford par le professeur Kate Loring. S’appuyant sur des cours assurés par des bénévoles eux-mêmes atteints de maladies chroniques et également tuteurs (où sont abordés la gestion des symptômes cognitifs, l’exercice, la nutrition, la gestion des relations et la communication avec les professionnels de santé), ce programme d’auto-management a fait depuis école, de l’Australie, à la Grande-Bretagne, au Canada et jusqu’en Chine. Les évaluations multiples de ces expériences ont fait apparaître des bénéfices conséquents : réduction de la sévérité des symptômes, soulagement significatif de la douleur, amélioration de la qualité de vie, de la satisfaction personnelle et de l’estime de soi. Sans oublier des effets très positifs sur la prise en charge globale des malades chroniques (avec une baisse des coûts et de meilleurs résultats sur la santé publique) et sur la relation avec les soignants et médecins.
Aujourd’hui, le travail d’une association comme Peers for Progress qui mutualise les expériences de peer support dans le monde, met par ailleurs en lumière l’essor que connaît cette approche.
Au Royaume-Uni qui compte plus de 17 millions de malades chroniques, la notion de patient expert entendue au sens d’éducateur a fait son entrée en 1999 dans un texte officiel du ministère de la santé. Le NHS, le système de santé national, a fortement investi depuis 2001 dans des lay-led programmes, programmes d’éducation dirigés par des patients aux objectifs clairs : améliorer l’estime de soi, diminuer les complications des maladies chroniques mais aussi réduire le recours au système de santé, donc les coûts. Des programmes qui n’ont toutefois été que peu soutenus par les médecins (21 % seulement les approuvant), le patient expert étant bien souvent perçu comme illégitime…
Variations critiques autour d’un concept aux acceptions très différentes
Qu’il s’agisse de dénier toute forme d’expertise aux patients, de juger impossible la formation entre pairs ou encore de dénoncer le risque de désinformation que cette approche ferait courir, les critiques ne manquent pas.
« Il reste encore beaucoup à faire en France pour que le patient expert puisse être regardé comme un formateur, un pédagogue, voire un étudiant de plein droit », souligne ainsi
C. Tourette-Turgis, maître de conférence en Sciences de l’éducation à l’origine du premier diplôme universitaire en éducation thérapeutique lancé en 2009 à l’université Pierre et Marie Curie et qui intègre 30 % de patients.
Au patient expert, A. Grimaldi (Pitié-Salpêtrière et directeur de la revue de l’AFD, Equilibre) préfère le « patient ressource », choisi par les équipes soignantes sur la base de sa singularité5.
« L’expertise acquise par le patient est du côté de l’illness6, de l’expérience subjective, explique de son côté G. Reach, (Hôpital Avicenne de Bobigny7), elle est souvent utilisée de façon implicite et extrêmement personnelle, ce qui la rend intransmissible. Penser que le soigné puisse jouer le rôle de l’éducateur, c’est-à-dire en fait du soignant, pourrait bien ne représenter qu’un contresens démagogique ».
« Tout patient chronique est appelé à devenir un patient expert, c’est-à-dire à acquérir et développer des connaissances à la fois expérientielles et médicales sur sa maladie », plaide, quant à lui, P. Barrier8 philosophe, docteur en sciences de l’éducation et patient diabétique. Revenant sur le problème de la non-observance, il rappelle tout le poids des représentations de la maladie, « c’est à ce niveau, dit-il, que se situe peut-être le premier soin et la première prévention ». Cependant si chaque patient devient un patient expert, il s’agit avant tout d’un expert de sa propre maladie. Or, l’extrême diversité des diabètes fait que, par sa propre expérience, il n’acquiert pas forcément l’expertise des autres diabétiques, ce qui plaide pour la nécessité d’une formation générale sur la connaissance des diabètes pour ces bénévoles.
Le patient expert selon l’AFD… ni professionnel de santé ni éducateur mais un accompagnant
Modifier de manière favorable les représentations de la maladie pour favoriser une meilleure observance, c’est bien l’un des enjeux forts du programme d’accompagnement entre pairs mis en place par l’AFD. L’association définit le patient expert comme un expert profane, un patient qui après une formation le rendant compétent sur la maladie, est en mesure d’accueillir, d’informer, d’écouter d’autres patients avec empathie, de témoigner et d’intervenir auprès de professionnels de santé. Son expertise est fondamentalement liée à l’expérience quotidienne qu’il a du diabète et surtout à la distance qu’il doit avoir acquise vis-à-vis de son vécu. Ce n’est pas un patient formateur, rejoignant ici l’analyse de L. Euller-Ziegler, à l’origine d’un programme de patient-partenaire au sein de l’Association française de lutte antirhumatismale (AFLAR) : « Le patient ne doit pas être le messager de sa propre expérience mais d’un vécu global de la maladie, de ses traitements et de ses conséquences sur tous les aspects de la vie quotidienne ».
« Il n’est certainement pas non plus un professionnel de santé, poursuit G. Raymond, président de l’AFD. Il vise à aider ses pairs à améliorer leur qualité de vie avec la maladie, sans ingérence dans le traitement, à contribuer à la qualité de la relation entre malades et médecins. Patients experts et professionnels ont chacun leur champ propre, de même qu’on ne saurait confondre éducation thérapeutique et accompagnement du patient, ils ont besoin de collaborer en toute complémentarité ».
Prolongement du patient acteur promu de longue date par l’AFD, le patient expert était pour ainsi dire inscrit dans la logique de cette association de patients dirigée par des patients. Représentant la communauté des personnes atteintes de diabète en regroupant plus d’une centaine d’associations locales, elle a affirmé depuis 2005 sa position d’acteur de santé, proclamant les trois valeurs qui fondent son identité solidarité, partage et entraide, faisant de l’accompagnement des patients pour une meilleure qualité de vie une de ses grandes missions. C’est dans ce cadre qu’elle a lancé en 2008 « dynamisation qualité de vie diabète » son programme d’accompagnement par des patients experts. L’Académie nationale de médecine lui remettait d’ailleurs en 2009 la médaille d’or pour l’accompagnement des patients et l’amélioration de la qualité de vie.
« L’engagement bénévole a des exigences de qualité, insiste G. Raymond, il passe donc par des formations, des sélections et des évaluations ».
Un accompagnement de qualité soumis à l’évaluation
Conçu indépendamment de toute participation des professionnels de santé, son cursus Patient expert comporte deux dimensions : la première qui vise à former les patients à la connaissance du diabète et ses complications, est validée par une autoformation à partir d’un logiciel et d’un livret d’activités en 10 modules et par une journée avec d’autres bénévoles qui ont achevé l’autoformation. La deuxième dimension vise à être formé à l’accueil, l’écoute et l’animation de groupes de rencontre. Deux formations de 2 jours chacune précèdent la validation et l’obtention du label de Patient expert. « Ce cursus, c’est bien la traduction de notre engagement à renforcer de manière qualitative notre action traditionnelle d’entraide entre pairs. Il est né de l’analyse de la situation : le diabète ne peut être combattu uniquement sur le terrain de l’organisation des soins, il nécessite la mise en place d’une solidarité entre pairs soutenue, reconnue et partagée. Nous voulons que l’efficience des relations entre médecins et patients experts contribue beaucoup plus largement à l’amélioration de la qualité de vie des patients à risque ou atteints de diabète », souligne encore Gérard Raymond.
Depuis moins d’un an, un nouveau support d’animation des groupes de rencontre, la Conversation Map, a fait son entrée dans le dispositif. Créé à l’origine avec la Fédération internationale du diabète pour être utilisé par des professionnels de santé dans le cadre de programmes d’éducation thérapeutique, l’outil a été adapté pour les patients experts par le Siège de l’AFD, afin de favoriser l’émergence de questions sur le vécu avec la maladie et donc nourrir les échanges.
L’accompagnement proposé par l’AFD s’adresse à toute personne atteinte de diabète ou proche d’une personne atteinte.
« Ce que les gens viennent chercher, c’est de l’aide, du soutien, de l’écoute et de la compréhension par l’échange, sans tabou ni préjugé, précise C. Lebeau, responsable du programme.
Un accompagnement indispensable quand on sait les difficultés que peuvent rencontrer au quotidien les diabétiques. Comme a pu le rappeler A. Grimaldi9, la personne diabétique est exposée à la dépression (elle est 2 fois plus souvent déprimée que les autres), parce qu’elle doit mener un combat sur plusieurs fronts : d’abord contre elle-même, quand elle se dévalorise et se culpabilise, ensuite vis-à-vis de la société qui tend à la réduire à sa maladie, et enfin à l’égard des soignants quand ceux-ci lui fixent des objectifs inatteignables en expliquant que c’est une question de volonté, puisque d’autres y arrivent… ».
Les bienfaits de cette entraide entre pairs, ce sont encore les participants qui en parlent le mieux : Monique raconte comment son groupe a accueilli une jeune fille de 19 ans qui avait découvert son diabète depuis 3 semaines et qui cherchait un soutien. « Les discussions où tout le monde s’exprime sans réticence, cela permet de faire le point sur ce que les gens ont compris de la maladie, mais attention, on n’échange absolument pas sur les traitements, ce n’est pas notre rôle ».
« Avec le médecin, on ne peut pas parler comme ça, et ici, les médecins sont débordés, raconte Françoise. Et puis je trouve qu’on n’en sait jamais trop ».
« Dans le groupe, explique Luc, 60 ans, personne n’est là pour donner des leçons. Avec mon médecin, je vois les grandes lignes et, dans le groupe, on reprend les choses de façon plus détaillée. Se retrouver, cela encourage à se tenir à son régime, à avoir une activité physique ».
Depuis son lancement, 120 patients experts bénévoles ont été formés sur 19 départements, 500 groupes de rencontres (réunions de groupe) ont été organisés et environ 3 000 participants ont été ainsi accompagnés. Une première convention a été signée en 2008 avec la CNAMTS sur 8 départements, suivie d’une seconde, tripartite cette fois, la DGS soutenant le projet depuis 2010, ce qui a permis de l’étendre à 19 départements.
Trois évaluations nationales ont eu lieu. Leur dimension qualitative met en lumière des bénéfices importants à trois niveaux. Pour les patients accompagnés : en abordant la gestion de la maladie au quotidien, en évoquant ses implications personnelles, professionnelles, sociales, familiales, les échanges réduisent leurs angoisses, dédramatisent les situations et rompent l’isolement. Le dialogue entre médecins et patients s’en trouve amélioré. Pour les patients experts eux-mêmes : l’aide apportée aux autres profite aussi aux bénévoles formés. Pour les associations locales enfin : le programme a attiré de nouveaux adhérents et de nouveaux bénévoles. L’antenne régionale Midi-Pyrénées de l’AFD qui a débuté le projet en 2008 a par exemple vu son nombre d’adhérents quasiment doubler…
« À quand la participation de patients experts à des consultations en diabétologie ? lance G. Raymond qui en appelle à l’action. La qualité de notre programme peut encore être améliorée, nous voulons développer la formation continue des patients experts et une évaluation externe serait certainement très profitable ».
Rappelons ce que l’OMS a elle même souligné : compte tenu du poids des maladies chroniques, développer et évaluer des interventions peu coûteuses est une priorité absolue. L’intervention de pairs est, de ce point de vue aussi, une voie d’avenir…
1. Dans son rapport 2007 Peer Support programmes in diabetes.
2. Selon les termes de Michel Morin, spécialiste de la psychologie sociale de la santé et auteur de Parcours de santé, Ed. Armand Colin.
3. Dans la culture anglo-saxonne, le terme de counseling est utilisé pour désigner un ensemble de pratiques aussi diverses que celles qui consistent à orienter, aider, informer, soutenir, traiter. Cf. les écrits de Catherine Tourette-Turgis.
4. Le terme est difficile à traduire en français ; il dépend directement de la définition donnée par la Charte d’Ottawa à la démarche de promotion de la santé : « processus qui confère aux populations le moyen d’exercer un plus grand contrôle sur leur propre santé ». Il s’agit d’accroître sa capacité d’action sur sa propre santé, mais cela dans une démarche collective car le processus concerne « les populations ».
5. Les différents habits de l’expert profane - Les Tribunes de la Santé n° 27 été 2010.
6. Le terme maladie est traduit en anglais par disease, qui concerne le médical et illness, qui représente le vécu avec la maladie.
7. Il a soumis à une critique en règle les lay-led programmes, ces programmes d’éducation dirigés par des profanes non issus du milieu médical et mis en œuvre au Royaume-Uni. « Une critique du concept de patient-éducateur », In Médecine des Maladies Métaboliques, 2009 ; 3 (1).
8. « Le contrôle dans la maladie chronique, le point de vue du patient expert », mars 2009.
9. « Dépression et diabète », Equilibre n° 261 janvier-février 2008.
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