30 ans de Cardiologie
Publié le 30 juin 2020Lecture 6 min
Vingt ans de peptides natriurétiques en cardiologie
G. LAMBERT, Paris
Les peptides natriurétiques sont aujourd’hui des biomarqueurs incontournables dans le diagnostic et la prise en charge de l’insuffisance cardiaque. Retour avec Patrick Jourdain (hôpital Bicêtre, Le Kremlin-Bicêtre) sur 20 ans de développement.
C’est à la fin des années 1990 que les biomarqueurs ont commencé a émergé dans l’insuffisance cardiaque (IC). L’IC est une maladie chronique à risque qui se présente sous deux formes, l’une avec fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) altérée, l’autre avec une FEVG conservée. Malgré une amélioration de la prise en charge à FE altérée, l’IC reste une maladie grave qui tue plus que la plupart des cancers. Les peptides natriurétiques ont d’abord été mis en évidence dans le cerveau des lapins, avant d’être identifié dans le cœur. Le pro-BNP est secrété par les cardiomyocytes (88 % par le ventricule gauche) puis il est clivé en BNP et NT-proBNP. Le BNP, qui a une action physiologique, existe sous plusieurs formes, 1-32 et 1-76 ainsi que sous forme glycosylée. Il existe une bonne corrélation entre le BNP et la pression intracardiaque, la sécrétion survenant dès que les myocytes sont étirés. En augmentant la diurèse, les peptides natriurétiques agissent comme une boucle de rétrocontrôle de l’organisme. D’autres facteurs, comme l’âge, influencent la sécrétion des peptides natriurétiques. C’est pourquoi les seuils pathologiques ont été fixés au-dessus des valeurs normales, par exemple à 100 pg/ml pour le diagnostic d’IC, de façon à limiter le nombre de faux positifs.
Évolution de l’utilisation des PN
Les PN ont d’abord été utilisés dans une démarche diagnostique de la dyspnée aiguë, pour confirmer ou infirmer l’IC. En effet, sur le plan clinique le poids et les œdèmes ne permettent pas de faire le diagnostic d’IC par rapport à d’autres causes, notamment rénales. Le dosage du NT-proBNP permet d’augmenter la sensibilité et la spécificité du diagnostic, comme le montre une étude qui a évalué l’indécision thérapeutique à 40 % des cas se présentant aux urgences avant l’arrivée de ces biomarqueurs, indécision qui chute à 11 % par la suite. Le bénéfice se traduit également sur le plan financier avec un coût de séjour divisé par 2 pour les soins intensifs et un coût total du traitement réduit d’un tiers(1), le temps hospitalier étant raccourci.
Il existe de nombreux marqueurs pronostiques de l’IC, mais les peptides en sont de bons indicateurs. Ainsi, dans la cohorte ADHERE(2), le taux de mortalité des patients admis pour IC décompensée était directement corrélé au taux de peptides dosé à l’arrivée à l’hôpital, et ce quelle que soit la valeur de la FEVG. Il en va de même pour le NT-proBNP(3), plus les taux sont élevés et plus le risque est important avec un seuil de 1 000 pg/ml pour le NT-proBNP au-dessus duquel ce risque est important, valeur qui constitue donc une cible thérapeutique. En sachant que la plupart des patients avec IC sont réhospitalisés dans les premiers mois suivant l’épisode aigu, la valeur pronostique du NT-proBNP s’applique à l’admission, mais également à la sortie. Les marqueurs cliniques et échographiques ne suffisent pas à établir ce pronostic, les peptides amènent un élément en plus.
Au-delà de l’IC, chez les patients avec un angor stable, plus le NT-proBNP est élevé et plus le risque décès toutes causes au cours des 12 années suivantes est important(4). Le taux de ce biomarqueur a une valeur pronostique plus forte sur ce critère que la présence d’un diabète. Il en va de même pour évaluer le risque dans l’année suivant la survenue d’un infarctus.
Suivi thérapeutique de l’IC
Du fait des comorbidités et de l’âge des patients en IC, la plupart d’entre eux sont sous-traités. Les peptides sont de bons marqueurs pour savoir si, dans les cas limites, l’intensification thérapeutique est nécessaire. L’étude TIME-CHF(5) a inclus 499 patients avec une FEVG < 45 %, une hospitalisation au moins dans l’année précédente et un NT-proBNP > au moins 2 fois la normale. Ceux-ci ont été randomisés en 2 groupes : l’un avec l’objectif de baisser le NT-proBNP en dessous de 400 pg/ml pour les patients < 74 ans et moins de 800 pg/ml pour ceux âgés de plus de 75 ans ; l’autre groupe recevant un traitement en accord avec les recommandations européennes. L’étude n’a pas atteint la significativité pour le critère primaire d’évaluation, mais le traitement guidé par les peptides procure un bénéfice sur la survie sans hospitalisation. Chez les patients les plus jeunes de cette étude on constate une diminution de 24 % de la mortalité, ce qui n’est pas le cas chez les plus âgés. Cela s’explique par le fait que chez ces patients les traitements ne variaient pas significativement entre les deux groupes, de même que les dosages du peptide qui étaient en moyenne > 3 000 pg/ml. Cet essai a également fait l’objet d’une étude coût-efficacité qui montre que le suivi guidé par le dosage des peptides est plus efficace et sans impact financier à la hausse, voire génère une économie liée à la baisse du nombre d’hospitalisation.
Dans une autre étude(6), 278 patients âgés de 70 à 73 ans avec une FEVG < 40 % ont été randomisés en 3 bras : l’un recevant le traitement usuel, l’autre bénéficiant d’un suivi rapproché avec une équipe pluridisciplinaire et le dernier avec un ajustement du traitement en fonction des taux de NT-proBNP. Le pourcentage de patients recevant un traitement optimal était respectivement de 7 % dans le premier groupe, 20 % dans le second et > 35 % dans celui ajusté sur les peptides. On voit donc que cette stratégie permet de mieux ajuster le traitement et d’obtenir ainsi une efficacité thérapeutique supérieure.
Dans l’étude PROTECT des patients avec FEVG < 40 % ont été randomisés en deux groupes selon que le traitement était ajusté ou non sur le dosage des peptides. Une analyse intermédiaire(7) sur 151 patients a confirmé le bénéfice significatif obtenu sur les taux de réhospitalisations. Toutefois, plusieurs essais d’optimisation n’ont pas montré de bénéfice, sans doute parce qu’ils ont été conduits dans des centres universitaires dans lesquels les insuffisants cardiaques bénéficiaient déjà de traitements conformes aux recommandations en vigueur.
Prédiction de l’IC
L’étude PONTIAC(8) a inclus 300 patients âgés en moyenne de 68 ans présentant un diabète de type 2 depuis plus de 15 ans avec un NT-proBNP > 125 pg/ml, mais sans pathologie cardiaque connue. Ils ont été randomisés en deux groupes, l’un avec un suivi habituel, l’autre avec un renforcement des traitements à visée cardiovasculaire, notamment sur la prise en charge de l’HTA. Le suivi à 2 ans a montré que dans cette deuxième population, le traitement intensif permet d’abaisser significativement le risque de survenue d’un événement.
Deuxième étude de prédiction, STOP-HF(9) a recruté une population plus large de 1 235 patients avec comme critères d’inclusion : âge > 40 ans, au moins un facteur de risque de dysfonction ventriculaire gauche, et en excluant les sujets avec une maladie cardiaque connue. Dans les deux groupes randomisés le BNP était dosé, mais sans incidence thérapeutique dans le premier groupe, alors que dans le deuxième un dosage > 50 pg/ml suscitait une consultation chez le cardiologue et la réalisation d’une échographie. Le suivi sur 8 ans a montré une différence de survenue d’une IC entre ces deux groupes, les courbes divergeant dès la première année, avec un écart qui s’accroit dans le temps. Les recommandations européennes proposent donc un dosage de NT-proBNP chez les patients à risque, tout sujet présentant un taux > 125 pg/ml devant faire l’objet d’un suivi spécialisé.
Les peptides natriurétiques comme cible thérapeutique
Le BNP est passé du statut de marqueur de l’IC à celui de cible thérapeutique du fait de son rôle physiologique diurétique et vasodilatateur. En effet, le sacubitril contenu dans la nouvelle famille des ARNI (Angiotensin Receptor Neprilysin inhibitor) inhibe la dégradation du BNP. Son association à un ARA II permet d’obtenir un bénéfice sur les décès toutes causes et les hospitalisations pour IC. Le suivi de ces patients et l’évaluation de l’efficacité du traitement doit donc se faire sur le NT-proBNP (voir communication Michel Galinier).
À l’avenir de nombreuses questions restent ouvertes, par exemple l’interprétation des dosages chez les patients obèses dont on sait que les taux sont abaissés, les adipocytes présentant de nombreux récepteurs aux peptides natriurétiques. Une autre question est de savoir si une combinaison de biomarqueurs seraient préférables à un seul.
D'après la communication de Patrick Jourdain (Le Kremlin-Bicêtre) dans le cadre de la journée "30 ans d'innovation en cardiologie", organisée par Roche Diagnostics France
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