Rein
Publié le 31 mai 2011Lecture 6 min
Toutes les néphropathies chez un diabétique ne sont pas des néphropathies diabétiques
H. GIN, Université de Bordeaux 2
La mise en évidence d’une microalbuminurie, d’une macroprotéinurie, d’une élévation de la créatinine, chez un patient diabétique amène « très rapidement » à évoquer le diagnostic de « néphropathie diabétique » avec toute la prise en charge thérapeutique bien codifiée qui en découle. Cependant, cette prise en charge ne peut être basée que sur la certitude du diagnostic ; or, toutes les néphropathies ne sont pas des néphropathies diabétiques, même chez un patient diabétique. La preuve histologique est la seule certitude réelle, mais la pratique de la biopsie rénale ne doit pas être systématique, bien au contraire. Entre l’attitude du « tout néphropathie diabétique » ou du « tout biopsie rénal », il y a la place pour un raisonnement clinique bien conduit et généralement suffisant pour une prise en charge adaptée et efficace.
Caractéristiques de la néphropathie diabétique
La néphropathie diabétique est caractérisée par une atteinte glomérulaire expliquant l’évolution progressive de la micro- à la macroalbuminurie, puis l’apparition d’une éventuelle dégradation de la fonction rénale avec perte progressive du débit de filtration glomérulaire (moins de 3 à 4 ml/min/an). Cette atteinte glomérulaire s’inscrit dans le cadre d’une microangiopathie, ce qui fait que d’autres lésions microangiopathiques sont généralement retrouvées au niveau des autres organes cibles, la rétine entre autres. Enfin, l’évolution se fait de manière progressive sur 10 à 20 ans : il n’y a jamais aucune surprise lorsque l’on suit de manière régulière un patient diabétique ; on ne retrouve jamais d’une année sur l’autre une faible microalbuminurie, puis l’année suivante une forte macroprotéinurie, ou une dégradation brutale et majeure de la clairance de la créatinine ; on ne passe pas en 1 an d’un état de fonction rénale normale à une insuffisance rénale grave quand on est dans le cadre d’une néphropathie diabétique.
A priori on doit considérer que toutes les évolutions non chroniques ou non prévisibles des paramètres classiques que sont la microalbuminurie et la clairance de la créatinine ne s’inscrivent pas dans l’évolution naturelle d’une néphropathie diabétique et qu’il y a alors une forte suspicion d’une autre cause de néphropathie devant amener à la vigilance et à l’éveil du raisonnement.
Autres causes de microalbuminurie
La microalbuminurie observée au cours de la néphropathie diabétique correspond à une atteinte glomérulaire. Elle doit déjà être validée en tant que telle, c’est-à-dire que toutes les autres causes doivent être éliminées, entre autres une infection urinaire associée, ou surtout une hématurie microscopique : celle-ci pouvant correspondre à une autre néphropathie glomérulaire ou à une lésion des voies excrétrices urinaires.
Il importe donc, avant de retenir un diagnostic de microalbuminurie, d’avoir éliminé une hématurie microscopique.
De la même manière les microprotéinuries peuvent être glomérulaires mais peuvent aussi être tubulaires, interstitielles ou même être liées à un état inflammatoire de l’appareil excréteur urinaire. L’analyse du sédiment est donc importante ; il faut un sédiment urinaire normal pour éliminer toute pathologie inflammatoire ou un microsaignement des voies excrétrices ou du parenchyme rénal ; de même il faut une uroculture négative.
Toute protéinurie qui ne serait pas glomérulaire doit conduire à une échographie des voies excrétrices urinaires et en toute hypothèse exclut le diagnostic de néphropathie diabétique.
Autres causes de dégradation de la créatinine
La dégradation progressive de la clairance de la créatinine est un signe classique de l’évolution vers une insuffisance rénale allant du grade modéré au grade sévère. Cependant, là encore, la créatinine peut aussi se dégrader pour des raisons liées à d’autres types de néphropathie.
Il peut s’agir d’autres néphropathies glomérulaires dont l’évolution est généralement subaiguë s’intégrant parfois dans un contexte clinique particulier (polyarthrite, multinévrite, manifestations cutanées de vascularite, etc.) ou immunologique avec présence d’autoanticorps (antinucléaires, anticytoplasmes polynucléaires, antimembranes basales) ou d’une gammapathie monoclonale, etc. Il importe, bien sûr, de ne pas demander cette « batterie d’examens » de manière systématique devant les tableaux typiques, mais au contraire de savoir la demander systématiquement dès que le tableau devient atypique, en particulier devant une évolution rapide, brutale et massive de la protéinurie ou de la créatinine d’un mois ou d’une année à l’autre, ou devant l’existence de signes cliniques associés évocateurs d’autres étiologies ou devant un tableau clinique atypique.
Il importe aussi de savoir évoquer les causes iatrogènes, certaines étant réversibles ou évitables, telle la prise d’AINS, certains antibiotiques, les produits de contraste, les rhabdomyolyses sous médicaments hypolipémiants, les produits iodés, notamment chez les patients porteurs de gammapathie monoclonale.
Enfin, il existe des uropathies sur obstacles pouvant conduire à une lésion du rein en quelques années ; il importe donc d’avoir une certitude de la liberté de l’arbre urinaire excréteur.
Dans tous les cas, le contexte général doit être pris en compte
On est plus rassuré par l’existence de lésions microangiopathiques dans d’autres organes cibles (la rétine particulièrement), ou bien d’avoir connaissance de l’histoire prolongée d’une hypertension, contrairement à la découverte récente d’une HTA. À l’inverse, l’absence de toute lésion rétinienne, même minime, doit éveiller la vigilance.
Ces préalables étant bien établis, plusieurs situations peuvent être envisageables.
Quelques situations exemplaires
Il s’agit d’un patient diabétique de type 1 que l’on suit depuis de nombreuses années chez lequel on voit progressivement s’installer une microprotéinurie puis une dégradation de la clairance de la créatinine ; ce patient présente, par ailleurs, une rétinopathie : ce tableau est celui d’une néphropathie diabétique caricaturale ; en fonction de son âge, on pourra demander une échographie des voies urinaires, mais le tableau ne laisse guère de doute.
Il s’agit d’un patient diabétique de type 1, que l’on ne connait pas, qui est adressé avec des signes déjà avancés d’altération de la fonction rénale, qui ne présente pas de lésions rétiniennes : ce tableau est très douteux d’une néphropathie diabétique. Il faut savoir aller plus loin, obtenir une certitude diagnostic ou avoir recours à un avis spécialisé.
Il s’agit d’un patient diabétique de type 1, jeune, d’une vingtaine d’années, connu pour un diabète depuis 2 à 3 ans, qui présente une microprotéinurie : ce tableau est excessivement douteux. D’autres étiologies doivent être évoquées, telles les néphropathies à IgA, surtout s’il existe une hématurie microscopique, ou une malformation des voies urinaires excrétrices, mais ce n’est probablement pas une néphropathie diabétique, même si ce jeune homme est diabétique.
Il s’agit d’un patient diabétique de type 2 d’un certain âge régulièrement suivi et chez lequel brutalement on trouve une décompensation de la fonction rénale ou une macroprotéinurie jusque-là méconnue : il ne s’agit probablement pas d’une néphropathie diabétique. À cet âge-là, toutes les choses sont possibles, la tumeur vésicale chez le fumeur actif ou même ancien repenti, l’obstacle sur les voies excrétrices urinaires, la tumeur des voies excrétrices urinaires, une maladie immunologique d’apparition récente… Un bilan complet s’impose.
Il s’agit d’un patient diabétique de type 2, d’un certain âge, présentant une rétinopathie, chez lequel on découvre une altération de la créatinine, mais qui par ailleurs a une vitesse de sédimentation accélérée, à 100 : même si ce patient présente des lésions typiques de microangiopathie au niveau de son œil, la vitesse de sédimentation accélérée doit amener à évoquer les néphropathies des dysglobulinémies.
Conclusion
On voit donc, à travers ces quelques exemples que toute néphropathie chez un patient diabétique n’est pas obligatoirement une néphropathie diabétique. Un dossier médical bien tenu, permettant de voir venir et évoluer progressivement les symptômes biologiques, avec par ailleurs la notion d’une microangiopathie associée au niveau rétinien, facilite le diagnostic de néphropathie diabétique.
À l’inverse, toute dégradation brutale des paramètres biologiques rénaux, ou l’absence de toute lésions microangiopathiques dans les autres territoires cibles tend à faire évoquer d’autres diagnostics.
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